Moralisation : la fiscalisation de l’IRFM et ses effets sur le salaire des parlementaires

Moralisation : la fiscalisation de l’IRFM et ses effets sur le salaire des parlementaires

La loi de moralisation promise par Emmanuel Macron pourrait porter le revenu des parlementaires à environ 13 000 euros, conséquence de la fiscalisation de leur indemnité de frais de mandat. Soit « de quoi vivre » expliquait en fin de campagne le Président, qui souhaite qu’un parlementaire soit payé « comme un cadre supérieur » pour attirer des personnes issues de l’entreprise.
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C’est l’un des premiers grands chantiers du quinquennat. Le ministre de la justice, François Bayrou, prépare la loi de moralisation de la vie publique. Elle sera présentée en conseil des ministres avant les législatives, soit la semaine prochaine, 31 mai, ou le 7 juin prochain. Parmi les mesures promises pendant la campagne par Emmanuel Macron figure la fiscalisation de l’indemnité représentative de frais de mandat (IRFM) (a voir sur le site d'En marche).

Députés et sénateurs ne paient en effet actuellement pas d’impôts sur cette IRFM. Mais derrière ce qui semble au premier abord être une bonne idée, se cache une conséquence qui pourrait faire débat : la fiscalisation de l’IRFM pourrait avoir pour effets de doubler le salaire des parlementaires.

Le député PS de l’Aisne, René Dosière, qui s’est spécialisé dans la transparence, met en garde le nouvel exécutif. « Fiscaliser l’IRFM, c’est d’une part augmenter de manière apparente le salaire des députés, le doubler, ce n’est pas un bon signal à donner » affirmait lundi à Public Sénat le député, avant de présenter au garde des Sceaux ses douze propositions en matière de transparence (voir notre article). « Le Président dit qu’il faut fiscaliser l’IRFM. Or dans ce cas, on considère que l’indemnité parlementaire est de 13 000 euros » ajoutait René Dosière, qui a soutenu Emmanuel Macron pendant la campagne.

Moralisation de la vie publique : « Fiscaliser l’IRFM, c’est doubler le salaire des députés » met en garde René Dosière
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Actuellement aucun contrôle sur l’IRFM

Explications : l’IRFM s’élève à 5.372 euros nets pour les députés et de 6109 euros nets pour les sénateurs. Il s’agit en quelque sorte d’une avance sur les frais liés à l’exercice du mandat du parlementaire. Ce n’est pas un revenu complémentaire. Les parlementaires ne paient donc pas d’impôts dessus.

Le salaire des parlementaires, ou indemnité parlementaire de base, s’élève lui à 7 209 euros bruts. Elle comprend l’indemnité parlementaire de base (5 599,80 euros), l’indemnité de fonction (1 441,95 euros) et l’indemnité de résidence (167,99 euros).

Fiscaliser l’IRFM reviendrait à la considérer comme un revenu. C’est pourquoi René Dosière arrive au chiffre de 13.000 euros (ce serait du brut), en ajoutant indemnité parlementaire et IRFM. Elle serait d’ailleurs un peu plus élevée pour les sénateurs dont l’IRFM est supérieure de 737 euros nets à celle des députés.

Aucun contrôle n’est exercé sur l’IRFM. Seuls des guides de bonne conduite ont été définis par l’Assemblée et le Sénat. L’achat de sa permanence parlementaire avec l’IRFM est par exemple proscrit. Mais du fait de cette absence de contrôle, les parlementaires peuvent, s’ils le désirent, utiliser cette enveloppe comme bon leur semble. En clair, la détourner de sa fonction et l’utiliser comme un complément de revenu. Dans son rapport 2016, la Haute autorité pour la transparence de la vie publique avait identifié « plusieurs situations dans lesquelles l’IRFM avait contribué à un accroissement sensible du patrimoine des déclarants »… Mediapart vient ainsi de révéler que le député Alain Tourret, soutien d’Emmanuel Macron, a eu recours à l’IRFM « pour acheter sa télévision mais aussi des tickets de cinéma, des parties de golf, ou encore lors de vacances au Club Med au Sénégal ». Plutôt qu’essayer de faire changer les pratiques, fiscaliser l’IRFM reviendrait donc à adapter la règle aux pratiques de certains parlementaires qui l’utilisent comme un revenu.

« Si vous prenez la rémunération principale d’un parlementaire et que vous ajoutez l’IRFM, il a de quoi vivre » (Emmanuel Macron, le 21 mars 2017)

Pendant la campagne, Emmanuel Macron avait expliqué et justifié son idée au media en ligne Explicite. Il s’agit, à ses yeux, de payer convenablement les parlementaires, dont les revenus seraient actuellement insuffisants. En comptant l’IRFM, soit un revenu autour de 13 000 euros, le parlementaire aurait en revanche « de quoi vivre », expliquait-il. Il liait cette réforme à son intention d’interdire à un parlementaire d’avoir une société de conseil. Puisqu’il ne pourra plus gagner de l’argent à côté, il faut donc mieux le payer.

« Si vous prenez la rémunération principale d’un parlementaire et que vous ajoutez l’IRFM, il a de quoi vivre. Il faut que ce soit fiscalisé, que ce soit transparent. Je suis pour payer de manière correcte un parlementaire. Mais aller derrière toucher des dizaines voire des centaines de milliers d’euros, dans des activités de conseil, c’est un problème » affirmait fin mars le candidat. Emmanuel Macron continuait : « Je ne suis pas pour paupériser les parlementaires. Quand vous comparez aux autres grands régimes parlementaires, vous êtes entre 7 000 et 9 000 euros. On est comparable à des régimes parlementaires européens où ils font un vrai travail. En Allemagne, on est à peu près à ça. Au Etats-Unis, ils sont payés davantage encore, avec un staff. Je veux des gens indépendants et de qualité ». Selon une étude comparative réalisée par le site irlandais thejournal.ie, la France se situe au neuvième rang européen pour le salaire de ses parlementaires. Chiffre que le site compare au produit national brut par habitant.

Afin d’attirer des personnes issues du monde de l’entreprise, Emmanuel Macron expliquait vouloir payer les députés comme « des cadres supérieurs ». « (En interdisant les fonctions de conseil), on ne pourra plus être avocat. Aujourd’hui, on combine les deux, donc ils vivent largement plus de rémunérations qu’ils touchent en dehors de leur mandat. Je souhaite du coup qu’un élu soit payé comme un cadre supérieur. Ça me semble normal. Je veux faire venir des gens à la vie politique, des entrepreneurs, des cadres d’entreprise. Ils prennent un risque, celui d’arrêter leur carrière professionnelle, leur entreprise (…). Vous n’attirerez personne qui a un niveau de responsabilité dans le privé si vous le rémunérez 3 000 ou 4 000 euros. Il faut être réaliste » soutenait le candidat. Regardez :

Mais comment fera le parlementaire, s’il veut se faire rembourser ses frais ? « Ensuite vous pouvez déduire vos frais professionnels. (…) Un parlementaire doit être comme un cadre commercial. Il a des frais pour fonctionner. Il les déclare.  Aussi vrai que le déontologue (de l’Assemblée) peut regarder les choses, le fisc doit pouvoir les regarder » expliquait Emmanuel Macron.

Indépendance du Parlement

C’est aussi pour cette raison que le député René Dosière s’oppose à la fiscalisation de l’IRFM. « Ce serait obliger les parlementaires à justifier aux services fiscaux les frais professionnels qu’ils ont eus. Or je considère que l’indépendance du Parlement rend impossible que l’exécutif vienne s’occuper du fonctionnement interne du Parlement » explique le spécialiste des comptes de l’Elysée et de l’Assemblée. René Dosière souligne par ailleurs qu’une part des frais des députés sont déjà réglés, hors de l’enveloppe de l’IRFM : « Il faudrait ajouter les dépenses prises en charge directement par l’Assemblée : taxi, train, avion. J’avais calculé, c’est entre 2 000 et 3 000 euros par mois par député ».

Le projet de loi de moralisation conservera-t-il la fiscalisation de l’IRFM ? Sollicité à plusieurs reprises, le cabinet de François Bayrou n’a pas répondu à nos questions. Reste que cette disposition semblait très claire dans l’esprit d’Emmanuel Macron pendant la campagne. René Dosière pense cependant « que les choses ne sont pas du tout figées. On connaît l’orientation du projet, mais ce n’est pas gravé dans le marbre ».

La démocratie a un coût. Mais fiscaliser l’IRFM et ses conséquences sur le salaire des parlementaires pourrait être politiquement mal perçu. Le bon niveau de rémunération d’un député ou d’un sénateur reste peut-être à déterminer.

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