Naufrage dans la Manche : la coopération européenne à l’épreuve de la crise migratoire

Naufrage dans la Manche : la coopération européenne à l’épreuve de la crise migratoire

Au lendemain du naufrage d’une embarcation de migrants dans la Manche causant la mort de 27 personnes, l’exécutif annonce une réunion entre ministres européens, dimanche prochain à Calais, et pointe du doigt la responsabilité des passeurs. Au Sénat, on insiste sur la renégociation des accords du Touquet et la révision des politiques d’accueils des réfugiés.
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C’est une crise aux multiples facettes qui se dessine au lendemain du naufrage d’une embarcation de migrants au large de Calais qui a entraîné la mort de 27 personnes.

Mercredi, cette petite embarcation serait partie des environs de Loon-Plage, proche de Dunkerque avec à son bord des réfugiés kurdes, irakiens, iraniens et somaliens, qui stationnaient probablement dans les campements voisins de Grande-Synthe. La mer était calme et propice à la traversée. La découverte des victimes et du canot partiellement dégonflé par un bateau de pêche au large des eaux britanniques, a provoqué immédiatement une onde de choc des deux côtés de la Manche.

Réunion entre ministres européens dimanche à Calais

« La France ne laisserait pas la Manche devenir un cimetière », a affirmé Emmanuel Macron. A l’issue d’une réunion de crise interministérielle, le Premier ministre annonce la tenue d’une rencontre intergouvernementale, dimanche prochain à Calais, « réunissant les ministres en charge de l’immigration belge, allemand, néerlandais et britannique, ainsi que la Commission européenne ». « Cette réunion devra permettre de définir les voies et moyens de renforcer la coopération policière, judiciaire et humanitaire à mettre en place pour mieux lutter contre les réseaux de passeurs à l’œuvre dans les flux migratoires », précise le communiqué.

Pour Marc Fesneau, les passeurs « créent les conditions pour que des drames comme ceux-là arrivent »

Le bilan du drame est de loin de plus meurtrier depuis la multiplication des traversées en « smalls boats ». Pour les associations humanitaires, l’augmentation des traversées périlleuses serait liée au verrouillage croissant du port de Calais et d’Eurotunnel, empruntés jusque-là par les migrants tentant de rallier l’Angleterre. Avant ce naufrage le bilan humain depuis janvier s’élevait à trois morts et quatre disparus, après six morts et trois disparus en 2020

Jeudi matin, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin a pointé du doigt la responsabilité des passeurs qui fonctionnent comme des « organisations mafieuses » qui « relèvent du grand banditisme » avec l’utilisation notamment de « téléphones cryptés ».

Invité de la matinale de Public Sénat, Bonjour chez vous, le ministre des Relations avec le Parlement, Marc Fesneau a lui aussi mis en cause une « situation créée par les passeurs, qui « s’engraissent sur le dos de la misère humaine » et « créent les conditions pour que des drames comme ceux-là arrivent. »

« Ce drame est atterrant, mais ce n’est pas une surprise »

Jean-François Rapin, président LR de la commission des affaires européennes du Sénat appelle « à une unité européenne sur la question migratoire ». « Comme on le voit à la frontière polonaise, l’immigration est devenue un outil de guerre. En faisant passer des flux migratoires considérables, vous pouvez déstabiliser un pays, voire un continent. Pour le sénateur du Pas-de-Calais, « ce drame est atterrant, mais ce n’est pas une surprise. A la SNSM (Société nationale de sauvetage en mer) de Berck, j’ai vu des embarcations qui étaient faites pour 4 personnes, mais empruntées par une vingtaine de migrants. Avec l’arrivée de l’hiver, ce drame peut se produire si rien n’est fait. Les moyens de Frontex (l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes) doivent être renforcés, et il faut repréciser ses missions, afin de la rendre véritablement opérationnelle. Il faut aussi insister sur le Pacte européen sur la migration et l’asile qui n’avance pas », demande-t-il.

L’un des grands principes de ce Pacte présenté il y a un an, serait d’installer un mécanisme de solidarité entre les États membres. En cas de pression migratoire ou de crise, le nouveau système devrait permettre des réponses solidaires et imposerait de prendre en charge des relocalisations ou des retours de demandeurs d’asile.

Lire notre article : Le Sénat pessimiste sur les chances d’adoption du pacte européen sur la migration et l’asile

« Il y a une situation de blocage entre les deux pays qui s’exprime par le refus d’une prise en charge humanitaire et des demandes d’asile »

La mise en avant de la responsabilité des passeurs par le gouvernement est un peu trop facile pour la gauche du Sénat. « Ce drame humain est insupportable et nous rappelle ce qu’il se passait il y a quelques années dans la Méditerranée. Les passeurs ont une responsabilité mais la France et la Grande Bretagne aussi. Lutter contre les passeurs ne veut pas dire abandonner ces gens. Il y a une situation de blocage entre les deux pays qui s’exprime par le refus d’une prise en charge humanitaire et des demandes d’asile », s’inquiète Pierre Laurent, vice-président communiste de la commission des affaires européennes du Sénat qui plaide pour « la signature d’accords bilatéraux entre la France, l’Union européenne et la Grande Bretagne « afin de créer des conditions sécurisées d’immigration ».

Car la crise humanitaire pourrait virer à la crise politique entre Paris et Londres. Le Premier ministre britannique, Boris Johnson a pointé doigt la responsabilité de la France, affirmant mercredi soir avoir « eu des difficultés à persuader certains de (ses) partenaires, en particulier les Français, d’agir à la hauteur de la situation ». Le locataire du 10 Downing street s’est empressé de citer l’aide britannique de 60 millions d’euros pour renforcer la surveillance de leur littoral. Londres a également réitéré sa proposition d’envoyer des forces patrouiller sur les côtes françaises, que Paris rejette jusqu’à présent pour des raisons de souveraineté. De son côté, l’Elysée a demandé au chef du gouvernement britannique de ne pas « instrumentaliser une situation dramatique à des fins politiques ».

Depuis de nombreuses années, la question migratoire empoisonne les relations franco-britanniques. En 2016, le vote du Brexit avait posé dans le débat public la proposition d’une renégociation des accords du Touquet de 2003. En vertu du traité, signé entre la France et la Grande-Bretagne après la fermeture de Sangatte (le centre d’hébergement d’urgence humanitaire géré par la Croix Rouge), le contrôle aux frontières britanniques se fait sur le territoire français avant la traversée vers l’Angleterre. La révision de ces traités est une demande de longue date du candidat à l’investiture LR, Xavier Bertrand. Le numéro deux de LFI, Adrien Quatennens, a également appelé à renégocier ces traités.

« La porte d’entrée pour l’Angleterre ne peut pas se situer en France. C’est inacceptable »

Un point de vue partagé par le sénateur LR, Marc-Philippe Daubresse. « C’est un problème qui ne date pas d’hier et pourtant on n’avance pas. Emmanuel Macron arrive en fin de mandat et il nous dit qu’il va s’atteler à trouver des solutions lors de la présidence française de l’Union européenne. C’est un peu tard. Et je ne veux pas jeter la pierre à mon ami Michel Barnier, mais on n’a mal négocié les 100 derniers mètres du Brexit. La porte d’entrée pour l’Angleterre ne peut pas se situer en France. C’est inacceptable », tacle ce proche de Xavier Bertrand. Pour l'’élu du Nord, le sujet doit avant tout être abordé sous l’angle sécuritaire car « il traduit malheureusement une impuissance totale de l’Union européenne et de Frontex face aux passeurs. Il va falloir mettre plus d’efficacité dans la protection de nos côtes, car nous sommes qu’au début de la crise migratoire », estime-t-il.

L’Angleterre : « C’est un mirage pour les migrants »

« Ce n’est pas en renégociant les accords du Touquet qu’on va remédier à cette situation dramatique et qu’on va empêcher les passeurs de faire ce qu’ils veulent », considère pour sa part Jean-Yves Leconte. Le sénateur socialiste met en avant « la différence d’attractivité » entre les deux pays. « En Grande Bretagne, la situation fait que, dès que vous posez le pied sur la plage, vous pouvez travailler au noir. C’est un mirage pour les migrants. En France, ils doivent attendre 18 mois pour avant de recevoir une réponse à leur demande d’asile. Et pendant ce temps, ils ne peuvent pas travailler, ni avoir un logement. C’est à l’Angleterre de remédier à ses propres contradictions. D’un côté, elle tient des discours de fermeté contre l’immigration irrégulière, mais elle crée les conditions pour l’attirer. De notre côté, nous devons, comme l’a fait Bernard Cazeneuve en son temps, mener une politique de conviction pour que les migrants qui remplissent les conditions des demandes d’asile, choisissent de rester. Il faut accélérer le traitement des demandes, leur trouver un emploi, un logement, leur apprendre la langue. Il y a des milliers d’emplois non pourvus. Je sais que ce n’est pas dans l’air du temps de dire ça mais la France, comme bon nombre de pays occidentaux, a besoin de main-d’œuvre étrangère ».

« Nous proposons systématiquement aux migrants des hébergements dans des centres d’accueil, mais il n’y en a qu’un sur deux qui accepte. Car en Angleterre, ils peuvent travailler au noir dans des réseaux communautaires et ainsi rembourser leur dette aux passeurs. J’ai exprimé le souhait que ces personnes puissent être hébergées loin de Calais et ainsi ne pas être à portée de main des passeurs », explique Didier Leschi, directeur de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) qui a été à la tête d’une mission de médiation à Calais sur cette question des migrants. Quant à la renégociation des accords du Touquet ? « C’est hors de ma compétence, mais ce n’est pas ça qui poussera les Anglais à envoyer des ferrys pour prendre en charge les migrants », lâche-t-il.

 

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