Néonicotinoïdes : la fin des dérogations pour les betteraves ?

Néonicotinoïdes : la fin des dérogations pour les betteraves ?

Les pesticides néonicotinoïdes, tueurs d’abeilles, sont interdits depuis 2018 en France. Seule exception : la culture de la betterave, à la suite d’une épidémie de jaunisse qui a décimé les parcelles en 2020. Un arrêt rendu jeudi 19 janvier par la Cour de justice de l’Union européenne a jugé illégales ces dérogations, ce qui pourrait bien signer la fin de l’utilisation des néonicotinoïdes sur l’ensemble des cultures françaises.
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Par Tam Tran Huy

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Une interdiction depuis 2018 et une dérogation depuis 2020

Les néonicotinoïdes, ces pesticides tueurs d’abeilles et plus largement de nombreux autres insectes pollinisateurs, on ne les présente plus. En France, le taux de mortalité des abeilles atteint aujourd’hui 30 %, alors qu’il n’était que de 5 % en 1990. Les abeilles, pollinisateurs essentiels dans notre écosystème, sont en danger. Premiers responsables désignés : le réchauffement climatique mais aussi l’agriculture intensive et son recours aux néonicotinoïdes. Utilisés pour lutter contre les pucerons et les mouches, ces pesticides s’attaquent aussi au système nerveux des pollinisateurs, ils les désorientent, les tuent parfois.

Interdits depuis 2018 grâce à l’entrée en application de la loi sur la biodiversité (2016), ces pesticides ne devaient plus être utilisés sur aucune culture en France. Ils sont également interdits au niveau européen. Une exception toutefois, la culture de la betterave, qui, en raison d’une épidémie de jaunisse qui avait décimé les parcelles et mettait toute la filière en danger, a obtenu une dérogation votée par le Parlement fin 2020. La dérogation, qui a été renouvelée chaque année par le ministère de l’agriculture après la remise d’un avis d’un conseil de surveillance, devait arriver à son terme l’été prochain.

La fin des pesticides néonicotinoïdes sur toutes les cultures françaises ?

Mais voilà que cette dérogation, et toutes les dérogations qui ont été accordées dans plusieurs pays européens, a été jugée illégale par la Cour de justice de l’Union européenne. Le ministre de l’agriculture a indiqué aujourd’hui « prendre acte de la décision à conséquences européennes. Il faut poursuivre et accélérer encore la recherche d’alternatives aux néonicotinoïdes, s’assurer de notre souveraineté française et européenne sur cette filière vitale. Ce n’est ni facile ni simple, mais nous sommes mobilisés pour y arriver. »

Pour Pierre Louault, sénateur Union centriste d’Indre-et-Loire et président du conseil de surveillance, cet arrêt n’était pas « attendu » et signe bien la fin de l’utilisation des néonicotinoïdes sur la betterave : « pour moi, ça veut dire, pas de dérogation cette année », réagit-il avant de préciser « et c’est aussi la position du ministère de l’agriculture. » Le sénateur écologiste Joël Labbé, qui avait été le premier à se saisir du sujet au Sénat, salue l’arrêt européen : « pour ceux qui combattent de longue date contre ces poisons, c’est une vraie satisfaction. » Et de rappeler le chemin parcouru : « En février 2015, j’avais présenté une proposition de résolution européenne pour les interdire. J’avais arraché ma cravate en signe de protestation, j’avais été moqué. Et un an après, on prenait la décision d’interdire. L’Union européenne a suivi. »

Quelles alternatives à l’utilisation des pesticides néonicotinoïdes ?

Comment remplacer ces pesticides longtemps jugés indispensables par les agriculteurs conventionnels pour cultiver la betterave ? C’est la question depuis le début et la recherche n’est désormais plus sans réponse. Le conseil de surveillance de la betterave, qui comprend aussi bien des parlementaires que des betteraviers, des organisations environnementales et des représentants du monde de la recherche, devait se réunir aujourd’hui. Face à l’arrêt rendu hier par la CJUE, Pierre Louault a préféré annuler la réunion qui devait d’abord se prononcer sur la reconduction de la dérogation : « Notre réunion n’avait plus de sens », explique-t-il, justifiant le report d’une semaine, au 26 janvier pour « examiner les méthodes alternatives autorisées. » Le conseil de surveillance a connu des turbulences ces derniers jours : plusieurs associations environnementales, membres de ce conseil, voulaient d’ailleurs boycotter la réunion, estimant que la décision de reconduire la dérogation était déjà prise. L’arrêt européen vient donc bouleverser la donne.

Le sénateur Pierre Louault, qui estime que la nouvelle situation « ne va pas être sans poser problème aux planteurs de betterave », donne désormais pour mission au conseil de surveillance d’accompagner la recherche. L’ANSES fait valoir aujourd’hui 22 solutions alternatives et le sénateur d’Indre-et-Loire, ancien agriculteur, a bien ses préférences : « certaines solutions, applicables dès aujourd’hui, consistent en des plantes compagnes, comme l’avoine, qui attirent les pucerons. Cela a une efficacité de l’ordre de 50 % à 60 % . » Il faut à la fois faire pousser l’avoine puis l’éradiquer pour qu’il n’envahisse pas la betterave : « contraignant et pas assez efficace » résume le parlementaire. On peut aussi utiliser des insecticides conventionnels : on ne les pulvérise que s’il y a des pucerons alors qu’aujourd’hui, les agriculteurs utilisent des graines enrobées, préalablement traitées aux néonicotinoïdes. Mais cela consiste à remplacer un pesticide par un autre : hors de question pour Joël Labbé, qui refuse tout « insecticide et néonicotinoïde ».

Une solution semble aujourd’hui satisfaire les deux camps. « Sans doute, ce qui va apporter une vraie solution, c’est la recherche variétale de plants de betterave qui résistent à la jaunisse. Cela demande encore 2-3 ans avant mise sur le marché. » explique Pierre Louault. Joël Labbé, qui plaide par ailleurs pour la polyculture, voit aussi la lumière au bout du tunnel dans ces « variétés plus rustiques et plus résistantes ». Mais le hic, car il y a un, c’est que ces variétés ont un plus faible rendement. Et certains s’inquiètent donc de l’effet pour une économie de la betterave et du sucre qui emploie 45 000 personnes en France.

La filière française de la betterave est-elle en danger ?

Pierre Louault alerte sur le risque de l’abandon d’une culture qui pourrait être jugée insuffisamment rentable par certains agriculteurs français : « Cela pourrait mettre en cause toute la filière française. C’est un enjeu de souveraineté alimentaire : d’autres pays hors Europe prendront la place du marché du sucre aux dépens de l’agriculture européenne et française. » Des pays, comme le Brésil et la Chine, qui n’ont pas besoin de se passer des néonicotinoïdes dans leur culture et dont les produits sont importés dans l’Union européenne, qui interdit de telles cultures sur son territoire.

Joël Labbé, lui, balaye cet argument du revers de la main. « Le rendement baisse peut-être mais de toute façon, c’est interdit. » Il faut donc faire avec. L’élu écologiste du Morbihan pointe aussi du doigt une hypocrisie française : « la France exporte des milliers de tonnes de pesticides néonicotinoïdes vers le Brésil. C’est tout un business. » Un business florissant même : entre janvier et septembre 2022, la France a encore exporté plus de 7 400 tonnes de pesticides dont elle interdit l’utilisation sur son territoire.

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