Obligation vaccinale : une mesure qui divise

Obligation vaccinale : une mesure qui divise

Mardi, la ministre de la Santé a annoncé vouloir étendre l’obligation vaccinale à onze vaccins, contre trois actuellement. Une mesure qui divise.
Public Sénat

Par Alice Bardo

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« Vous n’avez pas le choix d’appliquer ou non le Code de la route parce que de son application dépend non seulement de votre vie, mais aussi celle de vos concitoyens. C’est pareil pour la vaccination : ce qui justifie l’obligation vaccinale, c’est que de la vaccination de chacun d’entre nous, dépend la santé de tous.  »  Une « question de solidarité » avant d’être un « acte individuel », voilà l’un des arguments d’Agnès Buzyn, la ministre de la Santé, pour justifier de rendre obligatoire onze vaccins supplémentaires chez le « petit enfant ». « Aujourd’hui la situation est totalement différente car ces maladies ne circulent plus (99% de la population est immunisée) », lui oppose dans L’Obs Dominique Dupagne, médecin généraliste pro vaccins, parmi les premiers à avoir dénoncé la dangerosité du Médiator.

Actuellement, seulement trois vaccins sont obligatoires : la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite. Devraient s’ajouter à cette liste, à partir de 2018, des vaccins jusqu’alors « recommandés » mais pas obligatoires (coqueluche, rougeole, oreillons, rubéole, hépatite B, bactérie Haemophilus influenzae, pneumocoque, méningocoque C).

« Des hospitalisations et des décès évitables »

« La couverture vaccinale en France est insuffisante, assure la ministre. Elle à l’origine d’épidémies, a conduit à la réémergence de certaines maladies et engendré des hospitalisations et décès évitables » Elle appuie son propos par des chiffres. L’hépatite B aurait touché 200 sujets non vaccinés entre 2006 et 2013, contre 408 ces trois dernières années. Et sur les 24 000 cas de rougeole déclarés entre 2008 et 2016, 1500 ont présenté une pneumopathie grave, 34 des complications neurologiques et 10 enfants sont décédés. « Soit un décès par an ! C’est regrettable mais ce n’est pas un réel problème de santé publique » estime Dominique Dupagne.

 « Nous ne pouvons accepter que des enfants et des adolescents meurent en France, aujourd’hui, alors que des vaccins existent et sont susceptibles de les protéger. », maintient Agnès Buzyn.

Autre argument avancé par la ministre, celui du processus d’ « autorisation de mise sur le marché, fondée sur des critères scientifiques de qualité, de sécurité et d’efficacité ». Mais il se pourrait bien qu’une autre raison ait poussé les pouvoirs publics à vouloir étendre l’obligation vaccinale.

« Rendre disponibles des vaccins correspondant aux seules obligations de vaccination »

En février 2016, le Conseil d’État a enjoint la ministre de la Santé de l’époque, Marisol Touraine, « de prendre des mesures ou de saisir les autorités compétentes pour permettre de rendre disponibles des vaccins correspondant aux seules obligations de vaccination. » En effet, depuis 2008, aucun vaccin contre la diphtérie n’est plus commercialisé seul : les laboratoires pharmaceutiques l’associent à d‘autres vaccins, qui eux ne sont pas obligatoires mais « recommandés ». Le tout étant vendu plus cher : environ 40 euros pour un vaccin polyvalent, contre 7 euros contre le DTP classique. Le gouvernement disposait alors de trois solutions : obliger les laboratoires à commercialiser le DTP seul, supprimer toute obligation vaccinale ou étendre l’obligation à d’autres vaccins.

Thomas Dietrich, secrétaire général de la Conférence nationale de santé (CNS) était alors monté au créneau, dénonçant une « véritable opération de propagande qui est menée pour inciter les Français à se vacciner, en occultant totalement toute réflexion sur la question de la balance bénéfices/risques ». Quant à Dominique Dupagne, il considère qu’ « une des premières choses à faire serait d’assurer la mise à disposition d’un vaccin DTP conforme à l’obligation actuelle », au risque de froisser certains laboratoires. « Certains prêtent à la ministre le dessein d’étendre l’obligation vaccinale dans le seul but d’étendre l’obligation vaccinale dans le seul but  d’échapper aux foudres du Conseil d’État. C’est plausible bien sûr, mais je refuse de croire à un tel scénario qui serait indigne de nos autorités sanitaires », confie le médecin dans L’Obs de cette semaine.

Un « cadeau fait » aux laboratoires pharmaceutiques

L’eurodéputée écologiste Michèle Rivasi émet, elle aussi, l’hypothèse d’un « cadeau fait » aux laboratoires pharmaceutiques. D’autant que la ministre « s’est toujours dite proche de l’industrie pharmaceutique ». Agnès Buzyn a en effet déclaré en janvier 2016, à l’occasion de tables rondes sur la prévention des conflits d’intérêts en matière d’expertise sanitaire organisées par la commission des affaires sociales du Sénat, que « vouloir des experts sans aucun lien avec l’industrie pharmaceutique pose la question de la compétence des experts ».

Dans le camp des anti-vaccins, c’est l’argument de la dangerosité qui prime. La majorité des vaccins inactivés (qui ne comportent pas de microbe vivant) sont composés d’adjuvants pour permettre une réponse immunitaire. Or les sels d’aluminium sont parmi les adjuvants les plus utilisés dans le monde. Au total, ils seraient présents dans 60% des vaccins. Plusieurs actions en justice ont été intentées par des particuliers arguant que l’aluminium serait à l’origine d’une maladie neurologique, la myofasciite à macrophage (MFM). En juillet 2015, le Conseil d’État s’est déclaré favorable à l’indemnisation de deux personnes atteintes d’une MFM apparue à la suite d’une vaccination obligatoire contre l’hépatite B.

 « Aucun élément qui justifierait de recommander la modification des pratiques »

Toutefois, aucune preuve scientifique n’a pour l’instant été apportée pour établir de manière certaine un lien de causalité entre les sels d’aluminium contenu dans certains vaccins et le développement d’une MFM. L’Organisation mondiale de la santé estime ainsi ne disposer à l’heure actuelle d’aucun élément qui justifierait de recommander la modification des pratiques dans le cas de vaccins contenant de l’aluminium ».

Selon le sénateur communiste Michel Le Scouarnec, le principe de précaution devrait tout de même primer. Il estime que « toutes les garanties » ne sont pas là pour être sûr que les vaccins contenant des sels d’aluminium ne présentent aucun risque pour la santé. En février 2016,  il avait souhaité alerter Marisol Touraine « sur la question de la dangerosité de l’adjuvant aluminium contenu dans les vaccins ». Il s’était notamment référé à un rapport de 2003 de l’institut de veille sanitaire, qui « remettait en cause l’aluminium vaccinal » : « De nombreuses études montrent à présent que l’aluminium peut être toxique pour les plantes, les animaux et les hommes » peut-on y lire. Ce à quoi la ministre avait répondu que « tout vaccin, pour être commercialisé, doit faire l’objet d’une autorisation de mise sur le marché délivré par les autorités compétentes ou nationales que sont la Commission européenne, après avis de l’agence européenne d’évaluation des médicaments ou de l’ANSM) » et que ces autorités « évaluent le produit selon des critères scientifiques de qualité, de sécurité et d’efficacité ». Une position reprise mot pour mot par Agnès Buzyn lors de sa conférence de presse de mardi.

56% des Français sont opposés à ce que l’obligation vaccinale soit étendue

Comme Michel Le Scouarnec, 56% des Français sont opposé à ce que l’obligation vaccinale soit étendue, d’après un sondage Odoxa pour Le Figaro et Franceinfo publié ce vendredi. Un paramètre auquel la ministre de la Santé semble réfléchir, avec l’éventuelle introduction d’une « clause d’exemption ». Dans son rapport sur la vaccination du 30 novembre 2016, le Comité d’orientation de la concertation citoyenne sur la vaccination présidé par le professeur Alain Fischer, présent mardi aux côtés de la ministre, recommande « l’élargissement temporaire des obligations vaccinales de l’enfant avec possibilité d’invoquer une clause d’exemption ». Une clause qui pourrait être invoquée par les parents qui ne souhaitent pas faire vacciner leur enfant du fait de leurs convictions. « Sur ce point ma réflexion n’est pas arrêtée », confie Agnès Buzyn.

D’autant qu’un problème de constitutionnalité pourrait se poser. Le Conseil constitutionnel a ainsi jugé en mars 2015 que l’obligation vaccinale est conforme « à l’exigence constitutionnelle de protection de la santé ». Ainsi la possibilité de lever de cette obligation par l’activation de la clause d’exemption pour cause de convictions personnelles pourrait être inconstitutionnelle. Ce qui ne serait pas le cas dans l’hypothèse où des contre-indications médicales seraient invoquées. « J’ai demandé une expertise juridique sur cette question de constitutionnalité », précise l’actuelle ministre de la Santé. Agnès Buzyn va devoir trouver le juste  équilibre entre respect de la décision du Conseil d’État, santé publique, et pression des lobbies et de l’opinion publique.

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