« Paradise papers » : ce que l’Europe a fait (et n’a pas fait)

« Paradise papers » : ce que l’Europe a fait (et n’a pas fait)

Tout le monde se tourne vers l’Union européenne après les révélations des « Paradise papers ». Si certaines choses ont avancé, l’unanimité des Etats membres est nécessaire pour s’accorder en matière fiscale. De quoi bloquer tout changement. Pour Eva Joly, la pression de l’opinion publique est indispensable.
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Les révélations des « Paradise Papers » rappellent le poids de l’optimisation fiscale dans le monde. Et le rôle de l’Europe dans la lutte contre ces pratiques, dont le coût est estimé entre 60 et 80 milliards d’euros par an à l’échelle du continent.

Hasard du calendrier, les ministres européens de l’Economie et des Finances, l’Ecofin, se sont réunis mardi matin, à Bruxelles, pour parler de la liste européenne des paradis fiscaux. Le commissaire européen aux affaires économiques et à la fiscalité, le français Pierre Moscovici, encourage vivement les Etats membres à s’entendre sur une liste des paradis fiscaux « d’ici la fin de l’année ». « Une liste doit sortir rapidement, crédible et assortie de sanctions » a demandé Pierre Moscovici, interrogé ce mardi sur Public Sénat. « Ce matin, les ministres des Finances se sont engagés à ce qu’il y a une première liste en 2017 ». Regardez :

« Paradise Papers » : « Un aiguillon pour les états membres » selon Pierre Moscovici
05:05

En juin 2015, la Commission européenne avait présenté sa propre liste noire, inspirée des différentes listes des Etats membres. Loin de faire l’unanimité, on y trouvait Monaco, Guernesey, le Liechtenstein…

Ce matin sur France Inter, le commissaire français a assuré que « la lutte contre la fraude, l’optimisation est une priorité de cette commission depuis 3 ans ». La commission européenne présidée par Jean-Claude Juncker, ancien premier ministre du Luxembourg, Etat qui en connaît un rayon en matière d’optimisation et de fraude fiscale… Après les « Panama papers », le Luxembourgeois avait été mis à mal, mais il est toujours en place.

Pour Pierre Moscovici « ces scandales sont toujours des mauvaises et des bonnes nouvelles»

Pour Pierre Moscovici, « ces scandales sont toujours des mauvaises et des bonnes nouvelles», car « il y a une prise de conscience qui est là. L’Union européenne n’est pas le problème, elle est la solution ». Il rappelle qu’« a été créé l’échange automatique d’informations sur les comptes bancaires (…) le secret bancaire, c’est terminé. (…) Et nous avons mis en place deux directives contre la fraude et l’évasion fiscale qui fait qu’une entreprise doit payer des impôts là où elle génère des profits ».

Autre proposition de Pierre Moscovici : rendre plus responsables les intermédiaires que sont les cabinets d’avocat, cabinets fiscaux ou les banques en les poussant à la « transparence » sur les montages d’optimisation fiscale. Le processus est en cours au Conseil européen. Pierre Moscovici défend aussi « le reporting public pays par pays » pour rendre public les données comptables et fiscales des entreprises multinationales. Le Parlement européen a adopté le principe cet été. Mais il faut encore que les Etats membres l’adoptent à leur tour. « C’est une proposition qui suscite les réticences chez à peu près la moitié des Etats » reconnaît le commissaire.

Eric Bocquet : « On est dans la connivence »

Alors ça avance ? « On est encore très loin du compte malheureusement » pense le sénateur PCF Eric Bocquet, rapporteur de deux commissions d’enquête du Sénat sur l’évasion et la fraude fiscale, qui craint « malheureusement qu’il n’y ait pas de résultats concrets ». Pour le sénateur du Nord, « on est dans la connivence, c’est l’une des explications des arrangements entre multinationales et pays amis ». Eric Bocquet rappelle que « les Bermudes ne figurent même pas dans la liste française des paradis fiscaux. Elles ont été retirées en 2014, comme Jersey. Il y a un lobbying efficace ». Quant à Pierre Moscovici, « il fait de bonnes propositions, mais qu’a-t-il fait quand il était aux affaires comme ministre de l’Economie ? »

Julien Bayou, porte-parole d’Europe Ecologie-Les Verts, dénonce même pour sa part « l’hypocrisie » de Pierre Moscovici ou de Bruno Le Maire. « Moscovici, quel tartuffe ! Un ancien ministre de l'Economie, qui a systématiquement lutté contre tous les amendements déposés par les députés écologistes et (socialistes) frondeurs pour encadrer l'évasion fiscale... » s’est-il indigné auprès de l’AFP.

Eva Joly : « On peut espérer un miracle car l’opinion publique est très remontée »

Au Parlement européen, Eva Joly a beaucoup travaillé sur le sujet de la fraude et de l’optimisation. Elle a été vice-présidente des commissions d’enquête mises en place après le « Lux leaks » et les « Panama papers ». Alors que les entreprises profitent des différences de régimes fiscaux entre Etats membres, la députée européenne EELV demande que « les multinationales soient taxées unitairement ». De quoi contribuer à « régler la non-imposition des multinationales » souligne Eva Joly.

Mais il ne suffit pas que le Parlement vote le texte. « Il faut encore que le Conseil européen, c'est-à-dire les Etats membres, soient d’accord. Et ceux qui en bénéficient, le Luxembourg, les Pays-Bas, l’Irlande mais aussi dans une moindre mesure, Malte et Chypre, ne vont pas être d’accord. Or il faut l’unanimité au Conseil sur les questions fiscales » souligne Eva Joly. Autrement dit, cela risque de bloquer. Mais « on peut espérer un miracle car l’opinion publique est très remontée » espère l’ancienne candidate à la présidentielle.

En cas de blocage, « l’Union dispose de moyens de passer outre l’unanimité »

En cas de blocage persistant, « l’Union dispose de moyens de passer outre l’unanimité » souligne Eva Joly. « L’article 116 du Traité permet à la Commission, si elle considère que ces régimes fiscaux sont attentatoires à l’égalité de traitements de la concurrence, de passer en codécision, donc à la majorité simple » explique la députée européenne EELV. Autre voie : « La coopération renforcée » entre quelques Etats qui seraient d’accord pour se regrouper face aux plus petits Etats, responsables au sein de l’Union de l’optimisation fiscale.

Il reste encore beaucoup à faire pour changer « le rapport de force », constate l’élue. « Ça n’avancera que s’il y a une alliance entre l’opinion publique, la presse et quelques hommes et femmes qui ont envie que ça change » souligne Eva Joly. L’ancienne magistrate ajoute : « Il y a une pression à exercer sur Jean-Claude Junker, qui est l’optimisateur fiscal en chef ! »

« Il faut arrêter toutes les niches fiscales, tout ce qui pousse à l’optimisation » selon Jean Arthuis

Jean Arthuis, président de la commission des budgets au Parlement européen, est pour sa part plutôt pessimiste sur la capacité des Européens à trouver un terrain d’entente. Le député européen, ancien de l’UDI qui a soutenu Emmanuel Macron pour la présidentielle, ne mâche pas ses mots non plus : « Les ministres des finances se sont réunis fin juin 2016. Le soir, ils ont dit qu’ils avaient passé un accord contre l’évitement de l’impôt. En fait, c’était du pipeau intégral ! Il faudrait un front commun pour une fiscalité convergente ».

S’il trouve l’évasion fiscale « moralement blâmable », l’ancien ministre de l’Economie français pointe des « taux d’imposition élevés qui génèrent l’optimisation ». Pour le député, membre du groupe de l’Alliance des démocrates et des libéraux au Parlement européen, « il faut progressivement faire converger nos fiscalités. Et arrêter toutes les niches fiscales, tout ce qui pousse à l’optimisation ». « L’Europe n’est pas assez unie » regrette Jean Arthuis, qui va jusqu’à penser que trouver un accord « est mission impossible ». Mais il se retrouve avec Eva Joly sur un point : « Il n’y a que l’opinion publique qui peut faire bouger les choses ».

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