« Peu m’importe si l’union se fait derrière Jean-Luc Mélenchon, on n’a pas le choix », selon Guillaume Gontard, président du groupe écologiste au Sénat

« Peu m’importe si l’union se fait derrière Jean-Luc Mélenchon, on n’a pas le choix », selon Guillaume Gontard, président du groupe écologiste au Sénat

Alors que les négociations entre LFI, le Pôle écologiste et le PCF autour des législatives ont commencé, des voix discordantes se font entendre à EELV sur la nature de la coalition à former. Au Sénat, les sénateurs et sénatrices du groupe écologiste appellent à « prendre acte » du leadership de fait de Jean-Luc Mélenchon, tout en demandant la prise en compte des rapports de forces locaux, pour qu’une coalition éventuelle envoie le plus de députés possibles à l’Assemblée nationale.
Louis Mollier-Sabet

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« On ne va se le cacher, c’est une sale gueule de bois », avouait Yannick Jadot sur France Inter ce matin, et les remèdes de grand-mère n’ont pas l’air d’arranger le réveil des écologistes depuis leurs 4,6 % recueillis au premier tour. Depuis dimanche soir et les résultats du second tour, l’ambiance s’est encore dégradée à EELV. Après la victoire d’Emmanuel Macron s’est ouvert le fameux « troisième tour », terme qu’a récusé Yannick Jadot sur France Inter ce matin. Et pour cause, qu’on accepte le qualificatif ou pas, les négociations à gauche en vue des législatives sont âpres. La situation est particulièrement compliquée pour EELV, où coexistent deux lignes symbolisées par le second tour de la primaire écologiste opposant Sandrine Rousseau à Yannick Jadot. Les prises de position divergentes de la première ont fini par la faire écarter de l’équipe de campagne, et maintenant que la question d’un accord en vue des législatives avec LFI se pose, les différences semblent encore plus marquées.

« Il faut prendre acte que l’Union populaire a remporté ce 1er tour »

Quand Yannick Jadot explique ce mardi matin sur France Inter qu’il est favorable à une coalition « très ouverte », mais que celle-ci ne « marchera pas » derrière Jean-Luc Mélenchon, Sandrine Rousseau lui répond une heure plus tard sur BFMTV : « Je reconnais tout à fait le leadership de Jean-Luc Mélenchon là-dessus, il n’y a pas de sujet. On ne va pas refaire le match, c’est à lui de mener cette coalition. » La situation est d’autant plus chaotique que lundi, l’Express dévoilait un message sanglant de Julien Bayou dans une boucle interne d’EELV, reprochant à Yannick Jadot de « singer Macron », d’avoir choisi un slogan « statique, conservateur et vaguement présidentiable » et d’avoir défendu une ligne peu enthousiasmante. « Même ‘le changement c’est maintenant’ envoyait plus de joie et de radicalité », assène notamment le secrétaire national d’EELV, qui a tout de même rectifié le tir sur BFMTV lundi soir : « Ça n’enlève rien au fait que j’ai plusieurs fois rappelé que j’étais fier que Yannick tienne bon pour nous sur nos valeurs. »

Si la direction d’EELV semble confuse, ou en tout cas tiraillée entre plusieurs options, l’équation est plus claire pour la base, d’après Guillaume Gontard. À la question de savoir s’il faut nouer un accord ou non avec LFI, le président du groupe écologiste au Sénat a une réponse simple : « On n’a pas le choix, si on n’y arrive pas, on laisse la porte ouverte à la majorité En Marche et à l’extrême droite. Ce ne sera pardonné par aucun de nos électorats respectifs. On doit faire remonter cette urgence sociale au niveau local, j’ai vu pour la première fois des gens pleurer avant le second tour parce qu’ils n’arrivaient plus à aller voter Macron. On n’a pas le choix », répète Guillaume Gontard. Le président du groupe écologiste au Sénat ne voit pas de problème à ce que ce rassemblement se fasse sous le leadership de Jean-Luc Mélenchon et la France Insoumise : « Il faut prendre acte que l’Union populaire a remporté ce 1er tour, même s’il y a eu un vote utile, parce qu’une démarche a emporté le plus grand nombre de suffrages et si le vote utile s’est mobilisé dans ce sens-là, il y a une raison. Peu m’importe si la construction d’une alternative parlementaire se fait derrière Jean-Luc Mélenchon, pourquoi pas. »

« Il ne faut pas se restreindre s’il y a moyen de gagner un siège »

Sophie Taillé-Polian, sénatrice Génération. s, rejoint son président de groupe : « Il y a eu clairement un fait politique qui s’est exprimé et qui a placé Jean-Luc Mélenchon très largement en tête de la gauche et des écologistes, on doit l’entendre et le prendre en compte. Il a toute la légitimité pour prendre la place la plus importante dans cette coalition. Après cela ne doit pas être une place qui efface celle des autres, parce que sinon on n’est pas dans la construction d’un accord qui permet d’élargir », tempère-t-elle. Guillaume Gontard, lui aussi, « ne veut pas être naïf non plus » et estime que « LFI ne doit pas porter de vision hégémonique. » Guy Benarroche, sénateur écologiste des Bouches-du-Rhône, conclut en estimant qu’« au fond, tous les écologistes ont la même position, mais peuvent l’exprimer différemment » : « D’abord, cette coalition est nécessaire et elle doit être menée par ceux qui ont obtenu le meilleur score à l’élection présidentielle. Quelque part, oui, c’est Jean-Luc Mélenchon qui tient le manche, mais c’est là que l’on peut exprimer les choses différemment et certains estiment qu’il faut faire pression ou nouer un rapport de force parce que c’est ce que LFI comprend le mieux. »

Finalement, pour Guy Benarroche, les deux conditions à la réussite de cet accord sont d’abord que LFI n’ait pas une démarche « hégémonique », même si Jean-Luc Mélenchon en aurait « la possibilité et la légitimité », et que l’accord ne soit pas « exclusif », en n’éliminant pas des candidats qui pourraient gagner dans leur circonscription au prétexte qu’ils appartiennent à telle ou telle formation politique. « Il ne faut pas exclure des gens qui sont capables de bâtir cette coalition, ni du PS, ni de la ‘société civile’. Il ne faut pas se restreindre s’il y a moyen de gagner un siège. On a vu avec le PS à quel point un parti hégémonique pouvait vite perdre le pouvoir, et le Parti socialiste était autrement plus majoritaire. » Et le sénateur écologiste de conclure : « Bref, on ne peut pas bâtir en tuant les autres. »

Guillaume Gontard abonde : « Il faut travailler sur les législatives au niveau local, j’ai lancé un appel ‘Parlons-nous’ [en Isère]. Il faut parfois reconnaître que dans telle ou telle circonscription, c’est tel ou tel candidat qui est le mieux placé. Parfois ce sont même les précandidats qui m’appellent eux-mêmes pour en parler et demander que l’on se mette d’accord. » D’après le président du groupe écologiste, qui rappelle l’expérience fructueuse de Grenoble, où les forces de gauche se sont organisées dans une coalition assez large – et victorieuse – aux municipales en 2014 et en 2020, « le cadre [de négociation] national est indispensable, mais il faut parfois déborder par l’arrière les négociations nationales et prendre en compte les particularités locales pour avancer. »

« C’est un équilibre forcément imparfait »

Si la base est en demande d’union, EELV semble tout de même se retrouver, au niveau de la direction nationale, dans un conflit de légitimités politiques. Yannick Jadot était le candidat d’EELV à la présidentielle, Julien Bayou est à la tête du parti et Sandrine Rousseau incarne de fait, par son score à la primaire, une ligne alternative, sinon concurrente, à celle du candidat défait. La culture militante écologiste rejette toute forme d’autoritarisme, mais laisser coexister autant d’autorités contradictoires risque précisément de poser problème à très court terme, dans le contexte des négociations avec LFI pour un accord aux législatives, notamment. Mediapart révèle ce mardi matin que Sandrine Rousseau s’est retrouvée boutée hors de la 9ème circonscription de Paris dans la dernière mouture de l’accord négocié entre EELV et LFI. « On a mis en position de négocier des personnes qui ne sont pas les plus favorables à un accord avec LFI » explique la principale intéressée, qui refuse à la fois de rejoindre Jean-Luc Mélenchon, mais aussi d’être investie dans une autre circonscription. La principale défenseure de l’accord chez EELV pourrait donc s’en retrouver exclue, les deux parties prenantes aux négociations se renvoyant la patate chaude.

D’après Guy Benarroche, ce n’est pas tant une question de conflit entre deux lignes au sein du parti, mais un problème dû à la répartition technique des circonscriptions. « Des gens avaient été investis par le parti en tenant compte des équilibres entre motions, puis des équilibres nés de la primaire. C’est un équilibre forcément imparfait, parce que chaque petite décision avantage tantôt un candidat de Sandrine Rousseau, tantôt celui d’une autre motion. C’est casse-gueule, mais il a été jugé que c’était le plus démocratique possible. » Mais le casse-tête ne s’arrête pas là : « Et ça, c’était juste à l’intérieur du Pôle écologiste. Maintenant il y a des négociations avec d’autres partis, avoir tel ou tel candidat ne doit pas jouer sur la réussite ou l’échec d’une coalition avec nos partenaires. Ce serait ne pas tenir compte de l’importance que revêt ce scrutin et ce n’est pas ça qui doit être moteur, peu importe la situation personnelle de Sandrine Rousseau ou de Julien Bayou. » D’après Guy Benarroche, il faut choisir « ceux qui sont le plus susceptibles de gagner leurs circonscriptions, mais ça ne fait pas plaisir à ceux qui ne seront pas retenus. Quand vous passez de 450 à une centaine de candidats, cela fait 350 qui restent sur le carreau. » Sophie Taillé-Polian, qui coordonne les négociations pour Génération. s avec Benjamin Lucas, estime, elle aussi, qu’il ne faut pas « faire un blocage » des cas particuliers, même si Sandrine Rousseau « fait partie » de ceux qui doivent incarner le « rassemblement. »

Guy Benarroche est bien conscient que « c’est ce que n’aiment pas les gens dans la politique », mais avoue « ne pas savoir comment faire autrement dans le système électoral actuel. » Finalement, il semble que les difficultés techniques – réelles – soient, à chaque fois qu’elles apparaissent, l’occasion de faire émerger des fragilités d’une éventuelle coalition de gauche sur le fond. Les négociations vont actuellement bon train et la date du 30 avril est annoncée comme échéance pour trouver un accord, même si les discussions pourraient durer jusqu’à quelques jours du dépôt des candidatures, étant donné que toutes les parties prenantes ont la possibilité, au dernier moment, de présenter des candidats dans toutes les circonscriptions en cas d’échec de l’accord. Mais Sophie Taillé-Polian veut « croire qu’un accord est possible », même si les négociations ne constituent pas une mince affaire, d’autant plus que l’accord devra aussi comprendre le PCF et que la France Insoumise rencontre le Parti socialiste mercredi matin. Guy Benarroche se met à espérer : « Si on arrive à être en état de marche dans 10 jours avec un accord de coalition derrière un projet sur lequel on s’est mis d’accord… » Alors que l’extrême droite et Reconquête ne concluront pas d’accord national et que LREM et LR ne se dirigent pas vers cette option non plus, les paris sont ouverts.

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