Plan de résilience : quelles dépenses le gouvernement peut-il engager sans l’accord du Parlement ?

Plan de résilience : quelles dépenses le gouvernement peut-il engager sans l’accord du Parlement ?

L’exécutif planche sur « un plan de résilience » pour permettre aux secteurs concernés d’encaisser les conséquences économiques de la guerre en Ukraine. Plusieurs outils permettent au gouvernement de jongler jusqu’à un certain point avec les dépenses sans passer par l’Assemblée nationale et le Sénat, qui viennent de suspendre la session parlementaire pour cause de campagne présidentielle.
Romain David

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« Notre agriculture, notre industrie, nombre de secteurs économiques souffrent et vont souffrir ». Mercredi soir, lors de son allocution aux Français, Emmanuel Macron a évoqué l’impact des sanctions prises par la France et les Européens en réaction à l’invasion russe de l’Ukraine, mais aussi des éventuelles contre-sanctions de la Russie. Pour amortir le choc, l’exécutif entend mettre sur la table un « plan de résilience » destiné à soutenir les secteurs susceptibles d’être les plus touchés, en l’occurrence l’agriculture, l’industrie aéronautique et le transport aérien, ainsi que l’automobile, selon une liste esquissée par Jean Castex ce jeudi, lors de son passage dans le 13H de TF1. Le chef du gouvernement indique qu’une attention particulière sera également portée au pouvoir d’achat des Français, notamment aux tarifs de l’énergie, déjà à la hausse depuis plusieurs mois. Il précise que l’exécutif en est encore à une phase d’évaluation, et s’entretiendra avec les partenaires sociaux la semaine prochaine.

Ces annonces viennent accrocher un énième wagon au train des dispositifs de soutien et d’investissements présentés depuis le début de la crise du covid-19 : mesures immédiates d’aide aux entreprises, France Relance, France 2030, le chèque inflation, le bouclier tarifaire contre la hausse des prix du gaz et de l’électricité… À ceci près que ce plan de résilience arrive après la suspension des travaux de l’Assemblée nationale et du Sénat pour cause de campagne présidentielle. Une situation qui amène à s’interroger sur la marge de manœuvre de l’exécutif sans l’aval parlementaire. « Il y a une véritable question démocratique sur ce sujet : quelle est la part de décisions que peut engager le gouvernement, généralement sous la forme de décrets, pendant une interruption de session ? », interroge le sénateur socialiste Vincent Eblé, vice-président de la commission des finances.

Les dépenses que peut engager l’Etat, de même que les recettes qu’il a la possibilité de lever, sont déterminées chaque année par un projet de loi de finance, ratifié par le Parlement. Le budget alloué est subdivisé en une série de portefeuilles appelés « missions ». Par exemple, la mission « défense », celle de « l’enseignement scolaire » ou encore celle de « la cohésion des territoires ». Ainsi, le budget 2022 compte un total de 34 « missions » différentes. Une erreur de trajectoire ou un événement inattendu peuvent pousser l’exécutif à présenter aux députés et aux sénateurs une nouvelle copie en cours d’exercice, ce que l’on appelle « un projet de loi de finances rectificatives » ou « PLFR » dans le jargon parlementaire. Ce système permet, en cas de nécessité impérieuse, d’ouvrir de nouveaux crédits. En 2020, les lois de finances rectificatives ont permis le déblocage inédit de plus de 75 milliards d’euros de crédits supplémentaires.

» Lire notre article - Guerre en Ukraine : pour répondre aux conséquences économiques, un projet de loi n’est pas exclu

Une marge de manœuvre plus ou moins importante

« Avant d’en arriver là, le gouvernement a une possibilité de gestion avec rattrapage », indique à Public Sénat le sénateur PS Claude Raynal, président de la commission des finances. En clair, l’exécutif a la liberté d’opérer quelques changements dans la répartition des finances publiques. La loi organique relative aux lois de finances autorise des mesures de redéploiement, plus ou moins limitées. Le gouvernement peut notamment modifier la somme des crédits alloués aux différentes missions d’un même ministère, mais dans la limite de 2 % des crédits initialement prévus pour chaque mission. Un transfert de crédit d’un ministère à un autre est également possible, à condition cependant qu’il concerne des missions de même nature.

« Nous sommes à l’ère de la communication. La simple annonce d’un plan par le gouvernement ne donne pas nécessairement vie à un projet de loi », résume Claude Raynal. « L’exécutif doit d’abord réaliser un chiffrage, et regarder si le budget actuel lui accorde la marge de manœuvre nécessaire. Dans la mesure où nous sommes encore en début d’exercice, je ne crois pas qu’il sera nécessaire de passer par un projet de loi rectificatif pour débloquer de nouveaux fonds ».

Le « décret d’avance » pour obtenir une rallonge supplémentaire

Toutefois, face à une situation d’urgence, et si le gouvernement est un peu court financièrement, des décrets dits « décrets d’avance » lui permettent d’ouvrir des crédits supplémentaires, dans la limite de 1 % des crédits alloués dans le premier budget. Ces décrets sont soumis à une consultation pour avis des commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat. Ils doivent être ratifiés a posteriori par le prochain projet de loi de finances. Là encore, le gouvernement a eu recours à cet outil pendant la crise sanitaire.

Une convocation des élus, malgré la suspension parlementaire

Si ces différents mécanismes ne permettent pas à l’exécutif d’absorber la dépense de son plan de résilience, alors il n’aura d’autre choix, pour aller plus loin, que de présenter aux deux assemblées un projet de loi de finances rectificatives. La suspension de session n’est pas un frein, souligne Claude Raynal. « Elle est seulement d’usage en période de campagne, ce qui ne signifie pas que la session soit close, il peut y avoir une convocation des élus à tout moment. » D’ailleurs, à l’occasion de la dernière séance de questions au gouvernement, mercredi 23 février, le président du Sénat, Gérard Larcher, a insisté sur le fait que la levée de la séance publique n’empêchait pas les différentes commissions de poursuivre leurs travaux d’information et d’enquête.

Dans l’hypothèse d’un PLFR, le gouvernement devra toutefois faire face à un calendrier serré, c’est-à-dire prendre le risque que son projet de loi n’arrive pas au terme du parcours législatif avant la fin de la législature, le 21 juin 2022, et qu'il soit donc rendu caduc. Libre à la prochaine majorité de le reprendre ou non. « Il revient au gouvernement d’évaluer le risque technique qu’il est prêt à courir au regard de l’importance des besoins », conclut Claude Raynal.

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