Polémique du drapeau :  « Un manque d’explications qui aboutit à un débat maladroit sur l’Europe »

Polémique du drapeau : « Un manque d’explications qui aboutit à un débat maladroit sur l’Europe »

C’est la toute première polémique de l’année 2022. Installé le 31 décembre sous l’Arc de Triomphe en hommage au début de la présidence française du Conseil de l’UE (« PFUE »), le drapeau européen a suscité la colère d’une partie de la classe politique. Décryptage et explication d’une polémique qui révèle notre rapport à l’Europe, selon Bruno Cautrès, chercheur CNRS au CEVIPOF.
Public Sénat

Par Steve Jourdin

Temps de lecture :

5 min

Publié le

Mis à jour le

Installé le 31 décembre sous l’Arc de Triomphe, le drapeau européen a finalement été retiré dans la nuit de samedi à dimanche (2 janvier). L’Élysée dément néanmoins toute « reculade ». Que vous inspire cette polémique ?

 

On touche à quelque chose qui fait clivage en France : la question de l’Europe. C’est un sujet complexe, qui ne se résume pas aux pro- et anti-UE. On voit que la question de l’intégration européenne divise toujours, alors même qu’on en a très peu parlé ces deux trois dernières années. Sur ce point, il y a un écart important entre les projets initiaux du candidat Emmanuel Macron, qui étaient très ambitieux, et les résultats concrets, même si des avancées intéressantes sont à noter dans le contexte de la crise covid-19.

 

Les premiers responsables politiques à critiquer la démarche de l’Elysée viennent de l’extrême droite. Marine Le Pen a dénoncé « un véritable attentat à l’identité de notre Patrie ». Cette dénonciation a ensuite été reprise par la droite et la France Insoumise. A 100 jours de l’élection présidentielle, c’est l’Union Européenne qui est visée ou Emmanuel Macron ?

 

Il faut prendre du recul. Encore une fois, cette polémique n’oppose pas les partisans aux opposants à l’Union européenne. On ne peut pas dire que Valérie Pécresse, qui a demandé que le drapeau tricolore soit rétabli à côté du drapeau européen sous l’Arc de Triomphe, est une anti-européenne. Il faut se dégager des analyses binaires.

 

Dans l’étude que nous avons réalisée avec Thierry Chopin (Institut Jacques Delors) et Emmanuel Rivière (Kantar), nous avons montré que les Français ont un rapport ambivalent à l’Europe. C‘est un sentiment d’identités imbriquées. Nous sommes à la fois Français et Européens. Personne, ou presque, ne prétend être Français sans être Européen. Le débat porte sur le sens que l’on donne à l’idée européenne.

» Lire aussi : Sondage : les élus locaux ont « une relation ambivalente » vis-à-vis de l’Union européenne

 

Comment expliquez-vous que certains responsables politiques opposent le drapeau européen au drapeau français ?

 

Les prises de position extrêmes ne traduisent pas l’état de l’opinion publique sur la question européenne. Les Français sont très intimement les deux à la fois, Français et Européens. Il n’y a pas qu’une seule dimension sur l’Europe. Les pro- et anti- ne représentent plus que des groupes minoritaires en France. Il y a par contre des clivages d’interprétation sur le niveau d’intégration souhaité, et sur le sens à donner à cette intégration. A droite, on est en faveur de l’intégration économique, mais on considère que l’UE protège mal nos frontières. A gauche, on voit d’un bon œil les libertés accordées au sein de l’Union, comme la liberté de circulation, mais on trouve que l’UE n’est pas assez écologiste, ou pas assez protectrice des droits sociaux.

 

Contrairement à 2017, aucun candidat majeur à l’élection présidentielle ne propose aujourd’hui la sortie de la zone euro. Un consensus s’est-il installé sur ce point ?

 

Clairement oui. L’opinion publique en France n’est pas la plus favorable à l’intégration européenne, mais les Français considèrent que nous sommes dans l’Union et que nous n’en sortirons pas. Il n’y a aujourd’hui aucune aspiration à un Frexit.

 

Beaucoup de Français très favorables à l’UE ont été choqués par l’installation du drapeau européen sous l’Arc de Triomphe. Les polémiques autour du manque de patriotisme d’Emmanuel Macron sont absurdes. Il est évident que le chef de l’Etat est un patriote. Mais il aurait été judicieux de sa part d’accompagner ce symbole d’une explication de texte, ou d’une préparation plus en amont. Cela aurait pu se faire par exemple lors des vœux du 31 décembre. Le chef de l’Etat aurait pu justifier sa volonté de visibiliser notre action européenne en mettant un drapeau sous l’Arc de Triomphe. A l’origine, l’idée est un peu disruptive, mais c’est une idée intéressante. Mais ce manque d’explications a abouti à un débat maladroit sur l’Europe.

 

Depuis le 1er janvier, la France préside donc le Conseil de lUnion européenne. Quels sont les grands défis des prochains mois pour Emmanuel Macron ?

Pour le chef de l’Etat, le premier défi est ne pas donner le sentiment aux Français qu’il s’intéresse plus au sort de l’Europe qu’au sort des Français. Son deuxième défi est de ne pas donner aux Européens l’impression qu’il s’intéresse plus à sa réélection qu’à l’avenir de l’Union européenne. La tâche n’est pas simple. Cette présidence ne dure que six mois, et le rôle du président du Conseil est un rôle de facilitateur. Il ne faut en effet pas oublier que l’Europe se fait à 27, et que notre président ne décide pas pour les 447 millions d’Européens.

» Lire aussi : Les principaux enjeux et le calendrier de la présidence française de l’Union européenne

Dans la même thématique

Polémique du drapeau :  « Un manque d’explications qui aboutit à un débat maladroit sur l’Europe »
5min

Politique

Européennes 2024 : après le discours d’Emmanuel Macron, Olivier Faure veut saisir l’Arcom au nom de « l’équité » entre les candidats

Le Parti socialiste demande que le discours d’Emmanuel Macron sur l’Europe, prononcé jeudi 25 avril à la Sorbonne, soit décompté des temps de parole et inscrit dans les comptes de campagne de la majorité présidentielle. Pour le patron du PS, invité de Public Sénat, le chef de l’Etat est devenu « candidat à cette élection européenne ».

Le

Paris : Speech of Emmanuel Macron at La Sorbonne
6min

Politique

Discours d’Emmanuel Macron sur l’Europe : « Il se pose en sauveur de sa propre majorité, mais aussi en sauveur de l’Europe »

Le chef de l'Etat a prononcé jeudi 25 avril à la Sorbonne un long discours pour appeler les 27 à bâtir une « Europe puissance ». À l’approche des élections européennes, son intervention apparait aussi comme une manière de dynamiser une campagne électorale dans laquelle la majorité présidentielle peine à percer. Interrogés par Public Sénat, les communicants Philippe Moreau-Chevrolet et Emilie Zapalski décryptent la stratégie du chef de l’Etat.

Le

Paris : Speech of Emmanuel Macron at La Sorbonne
11min

Politique

Discours d’Emmanuel Macron sur l’Europe : on vous résume les principales annonces

Sept ans après une allocution au même endroit, le président de la République était de retour à La Sorbonne, où il a prononcé ce jeudi 25 avril, un discours long d’1h45 sur l’Europe. Se faisant le garant d’une « Europe puissance et prospérité », le chef de l’Etat a également alerté sur le « risque immense » que le vieux continent soit « fragilisé, voire relégué », au regard de la situation internationale, marquée notamment par la guerre en Ukraine et la politique commerciale agressive des Etats-Unis et de la Chine.

Le

Police Aux Frontieres controle sur Autoroute
5min

Politique

Immigration : la Défenseure des droits alerte sur le non-respect du droit des étrangers à la frontière franco-italienne

Après la Cour de Justice de l’Union européenne et le Conseil d’Etat, c’est au tour de la Défenseure des droits d’appeler le gouvernement à faire cesser « les procédures et pratiques » qui contreviennent au droit européen et au droit national lors du contrôle et l’interpellation des étrangers en situation irrégulière à la frontière franco-italienne.

Le