Pourquoi l’organigramme des LR présenté par Eric Ciotti crée « une rupture de confiance » avec Bruno Retailleau

Pourquoi l’organigramme des LR présenté par Eric Ciotti crée « une rupture de confiance » avec Bruno Retailleau

Le nouvel organigramme LR reste au travers de la gorge de Bruno Retailleau. Il demande que les équilibres issus du scrutin interne qui l’a opposé à Eric Ciotti soient respectés. Un « accord » avait même été passé entre les deux hommes, selon l’entourage du sénateur. C’est le comité stratégique, là où les grandes décisions sont prises, y compris pour 2027, qui concentrent les crispations. Retour sur les coulisses des négociations.
François Vignal

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Un mois et une semaine. C’est le temps qu’il a fallu à Eric Ciotti, nouveau président des LR, pour annoncer le nouvel organigramme de sa formation politique. Le temps d’échanger avec chacun, de peser et soupeser la place d’un tel ou d’un tel, de trouver un fragile équilibre… ou pas. A peine la liste dévoilée dans Le Figaro, avec notamment Aurélien Pradié et François-Xavier Bellamy tous deux vice-présidents, le président du groupe LR, Bruno Retailleau, n’a pas caché son mécontentement dans un tweet publié dans la soirée. « L’organigramme d’Eric Ciotti ne tient pas compte des équilibres issus du scrutin. Nos accords ne sont pas respectés. Je le regrette. La confiance est le préalable indispensable au rassemblement », lâche le patron des sénateurs LR, perdant du scrutin interne, avec 46,3 % des voix au second tour (et près de 35 % au premier).

« Eric Ciotti a donné son accord à Bruno Retailleau sur certains points pour ensuite faire l’inverse dans son dos »

Trois heures plus tôt, dans un entretien Au Figaro, Eric Ciotti racontait une tout autre histoire. « Plus que jamais, le moment est au rassemblement et à l’offensive. J’ai voulu que cette équipe dirigeante soit à la fois le reflet de l’unité retrouvée mais aussi de l’expression d’une grande détermination pour préparer les échéances à venir. J’ai donc beaucoup travaillé avec, Bruno Retailleau et Aurélien Pradié pour bâtir cette équipe de rassemblement. Notre organisation en est l’illustration », assurait le nouveau numéro 1 des LR… Eric Ciotti ajoute avoir « proposé » à Bruno Retailleau « d’occuper une responsabilité majeure à la tête du parti, […] mais il préfère se concentrer sur la présidence du groupe au Sénat. Depuis l’élection interne, nous avons échangé quasiment chaque jour. Notre relation est fluide, simple ». On se demande ce que ça donnerait si la relation n’était pas si bonne.

Que s’est-il passé ? Les deux responsables ont bien échangé en amont depuis des semaines. Le sénateur pensait même avoir été entendu. Hier matin, Bruno Retailleau avait réuni en visio son équipe rapprochée de la campagne pour lui expliquer qu’ils avaient « réussi » à trouver un accord avec Eric Ciotti, que les choses se passaient pour le mieux… « Et pendant cette réunion, Eric Ciotti était au Figaro » pour donner une autre version, s’étrangle un soutien. « Quand la presse publie le premier organigramme, Bruno est en ligne avec Eric », raconte un parlementaire. Le président des LR lui confirme qu’il s’agit bien de la bonne version. Le sénateur comprend que le député lui a fait un drôle de coup. Et lui dit sans ambages. « L’impression globale, c’est que la discussion s’était bien passée, de façon loyale, et en fait, Eric Ciotti a donné son accord à Bruno Retailleau sur certains points pour ensuite faire l’inverse dans son dos », selon l’entourage du sénateur de Vendée.

Tractations pour les postes

Sur les trois points bloquants, certains ont été en partie résolus, d’autres pas. Bruno Retailleau voulait obtenir pour un proche, en l’occurrence François-Xavier Bellamy, le poste de secrétaire général. L’idée n’aboutit pas. Le sénateur accepte de lâcher sur ce point, à condition que les deux vice-présidents, Aurélien Pradié, troisième homme de l’élection interne, et François-Xavier Bellamy, soient au même niveau. Ce qui est bien le cas. Seconde condition : Bruno Retailleau accepte qu’Annie Genevard, qui occupait la présidence par intérim, soit désignée secrétaire générale, à condition qu’Otham Nasrou, un proche du sénateur de Vendée, soit secrétaire général délégué. Or dans une première mouture annoncée hier, il se retrouve « noyé » avec trois autres secrétaires généraux délégués, qui n’étaient pas prévus. Pour régler le problème, le conseiller régional d’Ile-de-France gagne finalement le titre de « premier secrétaire général délégué ».

Autre difficulté découverte hier par les équipes de Bruno Retailleau : il manquait six noms de « retaillistes » sur lesquels les deux hommes « étaient tombés d’accord », selon un proche du président de groupe. Ils se sont finalement retrouvés sur la feuille de match, comme convenu. Il y avait par ailleurs une question d’équilibre sénatorial. En définitive, sur un total de 65 noms, l’organigramme compte 14 sénateurs, dont 8 pro Retailleau et 6 pro Ciotti.

« Le bureau politique est devenu la chambre d’enregistrement du comité stratégique, où les sujets, comme les primaires, sont tranchés »

Mais le point le plus sensible, le plus important, concerne surtout la composition du comité stratégique. S’il ne figure pas officiellement dans les instances du parti, c’est pourtant dans ce cénacle qu’à peu près tout se joue. « C’est là que sont entérinées les décisions, qu’on débattra sur celui qui portera notre projet en 2027 », explique un membre des LR. Charge ensuite au bureau politique, instance officielle, d’adopter par un vote la ligne proposée par le comité stratégique. « De plus en plus, le bureau politique est devenu la chambre d’enregistrement du comité stratégique, où les sujets, comme les primaires, sont tranchés », décrypte un autre. On comprend l’importance du sujet.

Or sa composition semblait arrêtée. C’est du moins ce que croyait Bruno Retailleau. « Il avait été convenu, et c’était une idée d’Eric Ciotti, qui convenait à Bruno Retailleau, que ce soit un comité stratégique resserré, et non pas une armée mexicaine dans l’armée mexicaine », confie un membre de l’entourage du sénateur. On devait y retrouver notamment les deux présidents de groupe, Alain Marleix et Bruno Retailleau, le président du Sénat, Gérard Larcher, les premiers vice-présidents. Bruno Retailleau avait dealé avec Eric Ciotti que le fameux équilibre soit plus ou moins respecté. Demandant d’abord une représentation de 40 %, celui qui est à la tête des sénateurs LR avait finalement accepté d’être autour de 33 %. « Il y avait un accord », assure-t-on dans son entourage.

Avec 6 soutiens sur les 28 membres du comité stratégique, le compte n’y est pas pour le camp Retailleau

C’est dans la presse que les fidèles de Bruno Retailleau découvrent finalement que le comité stratégique compte d’autres noms. Quelques anciens chapeaux à plumes LR, comme Christian Jacob, Jean-François Copé, François Baroin, ou d’autres avec quelques ambitions passées ou futures : Xavier Bertrand, Valérie Pécresse et un certain Laurent Wauquiez, qui ne cache plus ses velléités pour 2027, et ouvertement soutenu par Eric Ciotti, qui veut le désigner rapidement. Le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes pourra lui-même défendre sa candidature devant ses « amis » LR, le moment venu. Pratique.

L’équipe de Bruno Retailleau a fait ses comptes : le sénateur dispose de « 6 soutiens sur 28 membres, donc ça fait 20 % ». On est loin des 30 %. D’où le tweet remonté de Bruno Retailleau, dont le poids se retrouvera dilué, et donc diminué, au moment de prendre les grandes décisions

« Une belle synthèse de l’élection pour la présidence du mouvement et des primaires pour la présidentielle 2022 », salue Alain Joyandet

Dans l’entourage d’Eric Ciotti, on assure que le député des Alpes-Maritimes a joué le jeu. « Comme il s’y était engagé, Eric Ciotti a rassemblé diverses sensibilités de la droite de toutes les générations en intégrant bien sûr des soutiens des deux autres candidats, en équilibrant les deux chambres. Il s’est entretenu jusqu’à hier soir avec Bruno Retailleau et Aurélien Pradié. Il n’a refusé aucune personnalité proposée par les deux autres candidats », répond-on dans l’entourage d’Eric Ciotti, où on souligne, comme pour calmer le jeu, que « l’organigramme sera complété dans les prochains jours avec la nomination d’une douzaine de personnes en charge du « shadow cabinet » ».

Pour sa part, le sénateur LR Alain Joyandet, soutien d’Eric Ciotti pendant la campagne, « trouve que c’est une belle synthèse du premier tour de l’élection pour la présidence du mouvement, ainsi que des récentes primaires pour la présidentielle 2022. C’est un rassemblement plutôt bien pesé, globalement. C‘est très bien pensé », réagit celui qui est aujourd’hui l’un des neuf secrétaires généraux adjoints, dans le nouvel organigramme.

« On a l’impression que la priorité a plutôt été de faire en sorte de ne vexer absolument personne »

Du côté du camp Retailleau, on n’en démord pas. « On a l’impression que ce qui a compté, ce n’est pas de respecter l’équilibre des élections internes, mais que la priorité a plutôt été de faire en sorte de ne vexer absolument personne », pense-t-on dans l’entourage du sénateur. On s’étonne de retrouver finalement « les vieux équilibres », où les ex-sarkozystes, comme Brice Hortefeux, Nadine Morano, Rachida Dati ou Frédérique Péchenard, sont toujours en place. Un autre pro Retailleau veut bien reconnaître que la charge d’Eric Ciotti n’est pas évidente. « Il a dû composer. Un Président de parti doit le faire. Mais dans ce cas, on dit "voilà ce que je peux faire, ou ne pas faire" », regrette ce « retailliste »

Pour un parlementaire proche de Bruno Retailleau, « c’est bel et bien une rupture de confiance. Il y a eu un coup de couteau dans le contrat ». Le même ajoute :

Il n’a pas respecté sa parole vis-à-vis de Bruno Retailleau, mais aussi de Gérard Larcher. Ils lui ont fait une proposition. Bruno s’est entouré de Gérard pour avoir un accord ferme, signé de toutes les parties.

« Il n’y a aucune raison de modifier la composition du comité stratégique »

Les soutiens de Bruno Retailleau savent que le parti ne peut pas se permettre une nouvelle guerre interne. « Il y a un coup de canif dans le contrat, mais le contrat n’est pas encore déchiré », dit le même, affirmant que les discussions vont continuer sur la composition du comité stratégique, ainsi que sur celle du bureau politique et de la CNI (commission nationale d’investiture), qui ne sont pas encore dévoilés. Mais dans l’entourage d’Eric Ciotti, on soutient ce jeudi qu’« il n’y a aucune raison de modifier la composition du comité stratégique. Il y a déjà beaucoup de membres »…

Alors que le chemin de la refondation est encore long pour les LR, un parlementaire s’inquiète de la tournure des choses. « L’organigramme, les Français s’en moquent, éperdument », affirme, lucide, cet élu, qui ajoute : « Aujourd’hui, il y a des gens qui défilent dans la rue. Et nous, on discute sur des noms dans un organigramme. Il y a un fossé, un manque de réalisme ». Selon un membre de la nouvelle équipe dirigeante, Eric Ciotti rassemblera les parlementaires LR au siège du parti mardi prochain pour dévoiler le calendrier et les axes des prochains mois. Avec quelques couleuvres au menu ?

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