Pouvoir d’achat : « On a du mal à voir le cap qui est donné », critique le rapporteur général du budget au Sénat

Pouvoir d’achat : « On a du mal à voir le cap qui est donné », critique le rapporteur général du budget au Sénat

Le projet de loi du gouvernement sur le pouvoir d’achat commence à se dessiner. Insuffisantes pour la gauche, trop dépensières pour la droite, floues pour tout le monde, ces mesures sont loin de faire l’unanimité au Sénat et annoncent des débats houleux dans un Parlement où l’exécutif va devoir composer avec les oppositions, et notamment la majorité sénatoriale.
Louis Mollier-Sabet

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La dynamique inflationniste s’intensifie. Avec une inflation de 5,2% en mai d’après l’INSEE, et qui devrait atteindre 5,9% sur l’année 2022, avec un pic à presque 7% en fin d’année, les tensions inflationnistes menacent le pouvoir d’achat des ménages et la compétitivité des entreprises. Les mesures de freinage du gouvernement, comme le bouclier tarifaire, auraient permis d’après l’INSEE de contenir l’inflation de près de 2 points, mais les débats sur le pouvoir d’achat lors des campagnes présidentielle et législatives avaient fait émerger la nécessité d’une loi d’urgence dès le début de la session parlementaire, qui s’ouvre cette semaine. Si la prolongation du bouclier tarifaire, la suppression de la redevance audiovisuelle, ou le chèque alimentaire avaient déjà été annoncés, l’ampleur et le montant de certains dispositifs ne semblent pas encore définis. « C’est le grand flou », regrette Jean-François Husson, rapporteur général du budget au Sénat. Le sénateur LR « a du mal à voir le cap qui est donné », et déplore que le gouvernement ait fait l’impasse sur le « PSTAB [programme de stabilité, ndlr] » qui aurait d’après lui, mérité d’être actualisé au vu de la « détérioration des grands agrégats économiques. »

« Pour le moment, le gouvernement ne s’est pas rapproché de nous »

Le rapporteur général du budget, qui attend les éléments sur le futur projet de loi de finances rectificative (PLFR), ronge son frein : « Il faudrait faire un état des lieux de toutes les mesures, aujourd’hui on s’y perd, on n’a pas les éléments pour apprécier le coût ou le ciblage. On nous dit en fin de semaine que quelque chose va sortir, puis le lundi c’est finalement autre chose qui est présenté. »  Toujours est-il qu’un projet de loi devrait être présenté en Conseil des ministres mercredi 6 juillet, et de nouvelles mesures ont aussi été annoncées par Bruno Le Maire. Celles-ci restent soumises à l’approbation des oppositions, qu’il faudra au moins partiellement convaincre lors des débats parlementaires de juillet, puisque l’exécutif ne dispose que d’une majorité relative à l’Assemblée nationale. « Pour le moment le gouvernement ne s’est pas rapproché de nous », explique Jean-François Husson, alors que la majorité sénatoriale et le groupe LR à l’Assemblée nationale joueront un rôle pivot dans les débats parlementaires et l’adoption du projet de loi sur le pouvoir d’achat ainsi que du PLFR.

D’après lui, cette majorité relative explique le manque d’information dont disposent actuellement les parlementaires : « Si on n’a pas de tableau récapitulatif et une vision claire et cohérente, c’est peut-être par crainte d’ouvrir un peu tôt le débat. La rentrée parlementaire dans la nouvelle Assemblée nationale na va pas manquer d’ambiance, ni de débats. » Dans ce contexte, la majorité sénatoriale entend tenir sa ligne « d’esprit de responsabilité », « comme nous l’avons toujours fait », ajoute Jean-François Husson. Enfin les rapports de force ont un peu changé depuis le précédent quinquennat, même si pour le moment, cela ne se ressent pas dans l’attitude du gouvernement. « La méthode est très imparfaite et même pour l’instant inexistante, avec une communication descendante, et pas de concertation avec l’ensemble des forces politiques, syndicales et des corps intermédiaires », regrette le sénateur LR.

Plafonnement de la hausse des loyers à 3,5% et un « effort » sur le prix des carburants demandé à Total

Bruno Le Maire a en effet annoncé ce lundi matin divers éléments qui avaient pour quelques-uns déjà fuité dans la presse. Le premier problème, c’est de lutter à la racine contre les tensions inflationnistes. Pour ce faire, le gouvernement compte sur son bouclier tarifaire, qui bloque les prix du gaz et plafonne l’augmentation des prix de l’électricité à 4%, tandis que Bruno Le Maire a annoncé qu’il allait demander à Total, en plus des 18 centimes de remise qui seront prolongés jusqu’en décembre, de « poursuivre son effort [dans le temps], et pourquoi pas l’augmenter. » La nouveauté sur ce point, c’est peut-être un recours de plus en plus appuyé à la « sobriété » et à la baisse de la consommation, pour tenter de gérer la flambée actuelle des prix de l’énergie et de potentielles pénuries à l’hiver prochain. Un vocabulaire qui n’était pas celui de la majorité présidentielle avant la guerre en Ukraine, alors que Bruno Le Maire expliquait ce matin que « la sobriété est point de passage obligé pour réussir notre transition énergétique », et que les patrons du secteur énergétique publient une tribune sur le sujet dans le JDD. « Ils ne manquent pas d’air, ni d’audace », lâche d’ailleurs Jean-François Husson, qui travaillait avant d’être rapporteur général sur les crédits consacrés à l’écologie, aux mobilités et à l’énergie. « Je défends une convergence des efforts entre la puissance publique et l’économie privée, mais je trouve que ces patrons auraient pu commencer par baisser les prix. Ils réalisent des profits exceptionnels et nous expliquent qu’il faut être raisonnable. La sobriété, ça vaut aussi pour les profits », poursuit-il.

C’est un des rares sujets où le sénateur LR partage la position de son collègue communiste de la commission des Finances, le sénateur Éric Bocquet : « Il n’y a rien de très nouveau, l’an dernier, Bruno Le Maire avait déjà demandé de la modération aux groupes du CAC 40 en matière de versement de dividendes, ça n’a aucun résultat, les records ont explosé l’an dernier. Ce genre de propositions n’amène à rien de concret. » Au niveau du « concret », figure tout de même dans le prochain projet de loi sur le pouvoir d’achat, d’après Les Echos, l’augmentation du montant de l’exonération fiscale de la « prime transport » de 200 à 400 euros, qui serait par ailleurs cumulable avec la prise en charge obligatoire des transports en commun par l’employeur. Mais globalement, le gouvernent semble tout de même simplement parti pour prolonger les dispositifs actuels, et la même logique devrait être appliquée aux prix des loyers, avec un plafonnement de la hausse des loyers à 3,5%. Le fruit d’un « compromis » entre les bailleurs, les acteurs du logement social, les consommateurs et les propriétaires, a expliqué Bruno Le Maire sur BFM ce lundi matin, qui « tient compte des intérêts de chacun. »

« Les entreprises ne peuvent pas tout faire en même temps »

Insuffisant, pour Éric Bocquet : « Tout ce petit saupoudrage ici et là ne fait que de l’incitation, je n’ai pas beaucoup d’illusions sur les résultats. Il faut être plus directif que cela, on est dans une crise sociale grave. Il faut secouer le cocotier, on évite de poser la vraie question, celle des salaires. » À cet égard, si le gouvernement a toujours refusé une augmentation du SMIC au-delà des revalorisations automatiques prévues en cas d’inflation, il entend bien mettre la pression sur les négociations salariales par branches et mise sur le dialogue social pour faire augmenter les bas salaires.

Avec l’inflation, plus de 70% des branches ont des conventions collectives où les salaires commencent en-dessous du niveau du SMIC revalorisé au 1er mai. Le projet de loi sur le pouvoir d’achat prévoit ainsi d’après Les Echos, une fusion de force pour les branches qui tarderaient à mettre à jour leurs grilles salariales, en faisant de « la faiblesse du nombre d’accords garantissant les minima conventionnels au niveau du SMIC » un élément de caractérisation de la « faiblesse de la vie conventionnelle d’une branche. » Cette-dernière autorisant en effet le ministère du Travail à prononcer une fusion administrative avec une autre branche, qui pourrait, elle, avoir revalorisé ses minima.

De même au sein des entreprises, avec une simplification du versement de la prime défiscalisée et désocialisée dite « Macron » et son triplement, promesse de campagne du candidat éponyme lors de la campagne présidentielle. Là encore, Éric Bocquet regrette que le gouvernement « se limite aux incitations et aux recommandations. » Jean-François Husson n’est pas fondamentalement en désaccord avec son collègue du groupe communiste, mais pour des raisons un peu divergentes : « L’intéressement et la participation, ce sont des démarches que l’on a toujours soutenues. Mais si on a des revalorisations salariales, je ne suis pas sûr que l’on puisse passer par de l’intéressement. Les entreprises ne pourront pas tout faire en même temps, je n’y crois pas. »

« Combien les allocataires de ces prestations ont-ils perdu depuis des années ? »

Mais le gouvernement semble aussi avoir prévu un effort de l’Etat, avec une revalorisation de 4% des nombreuses prestations sociales, comme les APL, le RSA ou l’AAH. « Combien les allocataires de ces prestations ont-ils perdu depuis des années ? On n’est même pas dans la demi-mesure, on est très loin du niveau nécessaire », répond Éric Bocquet. Effectivement, la fameuse baisse des APL de 5 euros avait rapporté 3 milliards d’euros par an au budget de l’Etat, tout comme les 7 milliards par an économisés depuis la désindexation de certaines prestations en 2019-2020, pour une hausse de 3,5% des APL aujourd’hui qui représenterait 168 millions d’euros. L’ensemble des revalorisations de prestations sociales devrait tout de même coûter 8 milliards d’euros, d’après Les Echos. Une « dérive des comptes publics » et un « quoi qu’il en coûte en creux », qui inquiète Jean-François Husson, malgré les déclarations de Bruno Le Maire sur la « cote d’alerte » atteinte sur la dette : « La dette n’est pas gratuite, et la dégradation des taux d’intérêts aujourd’hui se paiera demain, les comptes de la Nation, c’est comme les comptes des entreprises ou de tout un chacun. » Éric Bocquet, lui, ne conteste pas l’augmentation des taux directeurs de la BCE, mais y voit un autre signal : « Le dernier budget équilibré de notre pays remonte à 1974. L’Etat vit depuis 47 ans à découvert mais les marchés financiers privés continuent de s’arracher nos titres de dette C’est aussi le moment de poser la question du financement des Etats par la BCE, qui possède 30% de nos titres de dette. Qui osera me dire que l’on remboursera cette dette un jour ? »

Et bien, Jean-François Husson. Qui en fait une question morale : « L’effacement de la dette, c’est ce qu’ont parfois fait des pays en développement. La France a un autre rang, et le leadership qu’elle prétend avoir au niveau européen, notamment par rapport à l’Allemagne, ne peut passer par ce genre d’attitude irresponsable. » Le rapporteur général du budget entend bien, dans la nouvelle configuration politique, demander des concessions à la majorité présidentielle sur la question de la dette et annonce déjà, que la majorité sénatoriale soutiendra « tout ce qui ira dans le sens du redressement des comptes publics. » Jean-François Husson en appelle ainsi à « revisiter l’amoncellement de dépenses dans un certain nombre de secteurs qui ne rendent pas nos services publics plus performants », en évoquant la santé ou l’éducation, deux postes de dépenses publiques importantes, où il y a, d’après lui, toujours des carences. « Cela veut dire qu’il ne suffit pas de déverser des milliards à tort et à travers, il faut rendre la dépense publique la plus efficace possible. » La droite sénatoriale et le groupe LR à l’Assemblée auront l’occasion de faire valoir cette vision lors des débats parlementaires de juillet prochain.

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