Présidentielle 2022 : Le chiffrage des programmes d’Emmanuel Macron et Marine Le Pen
Sujet peu abordé lors du duel entre les deux candidats ce 20 avril, le coût des programmes s’est toutefois frayé une place discrète parmi les thématiques abordées au cours du face-à-face opposant Marine Le Pen et Emmanuel Macron.

Présidentielle 2022 : Le chiffrage des programmes d’Emmanuel Macron et Marine Le Pen

Sujet peu abordé lors du duel entre les deux candidats ce 20 avril, le coût des programmes s’est toutefois frayé une place discrète parmi les thématiques abordées au cours du face-à-face opposant Marine Le Pen et Emmanuel Macron.
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Par Louis Dubar

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Il a été le premier à dégainer. Emmanuel Macron a rapidement reproché à son adversaire le flou entretenu autour du coût de son programme et a dénoncé son « amateurisme » budgétaire. « Vous n’expliquez jamais comment vous financez vos progrès. Vous n’êtes pas honnête avec les gens, moi j’explique », affirme-t-il. Sur les retraites, Emmanuel Macron a jugé le système progressif présenté par la députée du Pas-de-Calais comme irréaliste, « soit vous avez des impôts cachés, soit vous allez mettre en péril les pensions de nos retraités. »

Marine Le Pen s’est défendue en passant au crible le bilan budgétaire de son adversaire. Elle a accusé Emmanuel Macron d’avoir plongé les finances publiques dans une situation délicate, mettant en péril la gestion de la dette et sa soutenabilité. « Monsieur Macron, ne me donnez pas de leçon sur le financement de mon projet présidentiel. Quand on a 600 milliards d’euros de dette au compteur, on reste modeste », assène Marine Le Pen. « De plus, deux tiers de ces dépenses n’ont rien à voir avec le Covid », précise-t-elle, ce qu’Emmanuel Macron a réfuté.

Les budgets optimistes des candidats

Tout au long de la campagne, les différents candidats se sont adonnés à l’exercice délicat du chiffrage des promesses, des futures économies à accomplir dans les comptes publics, des hausses et des baisses d’impôts à prévoir. Chaque prétendant vante durant cet exercice son sérieux, un projet prudent, crédible financièrement et présente de manière quasi systématique des prévisions comptables à l’équilibre. Les deux finalistes à l’élection présidentielle 2022 n’ont pas échappé à cette tradition électorale désormais bien connue.

» Lire notre article - Présidentielle : combien coûtent les programmes des candidats ?

50 milliards d’euros de dépenses pour le président sortant financés par trois différents leviers

Terminé le « quoi qu’il en coûte », le président candidat veut désormais boucher les trous du déficit et s’attaquer à la question épineuse de la dette tout en soutenant la consommation des ménages, la transition écologique, réformer la fiscalité des entreprises… Pour résoudre cette équation à plusieurs inconnues, le candidat estime tout d’abord le coût de ses mesures à 50 milliards d’euros par an d’ici 2027. Lors de la présentation de son programme à Aubervilliers le 17 mars 2022 aux Docks de Paris, Emmanuel Macron a présenté le principal poste de dépense de son projet : la baisse des prélèvements obligatoires pour les ménages et les entreprises pour 15 milliards d’euros (réforme de la CVAE, fin de la redevance audiovisuelle…). 10 milliards d’euros iront financer la transition écologique, 8 milliards pour la santé, 5 milliards pour la famille et l’enfance, et 12 milliards d’euros pour renforcer le système éducatif.

Pour financer les dépenses nouvelles et atteindre l’équilibre budgétaire, le président candidat articule son cadrage financier autour de « trois blocs. » Emmanuel Macron mise beaucoup sur les gains provoqués par la future réforme des retraites et la réforme chômage et sur les surplus d’une conjoncture économique favorable (hausse durable du PIB et plein emploi), au total 15 milliards d’euros. Le candidat LREM table également sur 15 milliards d’euros par an, une somme provenant des réformes de modernisation et d’optimisation (e-prescription, e-carte vitale, lutte contre la fraude…). Toujours en cas de réélection, 20 milliards d’euros seraient dégagés par la simplification du fonctionnement de l’Etat et une « modernisation des pratiques et des coûts de gestion » des collectivités publiques.

Un programme à 68,3 milliards d’euros financé en partie par la lutte contre les fraudes

Marine Le Pen l’assure, elle a changé et son programme aussi. Pour ce nouvel exercice, la députée du Pas-de-Calais a convoqué les journalistes à son QG de campagne le 23 mars pour présenter à la presse le coût et le cadrage financier de son projet présidentiel, un chiffrage « honnête et réaliste » selon les mots de la candidate. Elle évalue à 68,3 milliards d’euros par an le coût de ses promesses. Les principaux postes de dépense de la candidate du RN concernent les mesures soutenant le pouvoir d’achat des ménages estimées à 12 milliards d’euros (baisse de la TVA sur les carburants et suppression de la taxe sur des produits de première nécessité), 18,2 milliards d’euros « à destination » des jeunes et des familles (gratuité des transports, rémunération des apprentis, prêts d’accès à la propriété de 100 000 euros à taux zéro), revalorisation des salaires des enseignants et du personnel soignant pour 6 milliards d’euros, « les efforts pour la justice, la sécurité et la défense » évalués à 4,3 milliards d’euros (hausse du budget des armées et recrutement de magistrats, greffiers, agents pénitentiaires, policiers…).

En cas d’élection à la présidence de la République, Marine Le Pen promet de multiplier les économies et les recettes nouvelles pour financer son projet présidentiel. En tout, c’est 68,3 milliards d’euros à trouver. La réduction drastique de l’immigration » permettrait selon la candidate « d’économiser 18 milliards d’euros. » La députée promet d’intensifier « la lutte contre les fraudes » qui rapporterait selon elle 15 milliards d’euros par an. Si elle est élue présidente, Marine Le Pen demanderait un effort financier aux 1 200 agences, opérateurs d’Etat et organismes publics : « 10 % d’économies sur les budgets, un effort raisonnable. » « Je reste persuadée que ce que l’on va découvrir comme sources d’économies en arrivant au pouvoir, est colossal […] Les récents travaux du Sénat sur les cabinets de conseils me poussent à penser qu’il y a beaucoup de gaspillages d’argent public. » Marine Le Pen réduirait la contribution de l’Hexagone au budget de l’Union Européenne de 5 milliards d’euros.

Des chiffrages au doigt mouillé selon les groupes d’experts

Les études et audits menés depuis le début de campagne par les think tanks et groupes d’experts indépendants pointent le manque de rigueur, la surestimation des économies et des recettes nouvelles des projets présidentiels des deux finalistes. Ces travaux émanent d’organes de réflexion critiquent les modèles macroéconomiques très optimistes éloignés du réel, proposés par les candidats.

La candidate d’extrême droite est davantage étrillée que le président sortant dans l’analyse effectuée par l’Institut Montaigne. Le think tank d’obédience libérale a estimé à 120 milliards d’euros les dépenses de Marine Le Pen contre les 68,3 milliards selon la députée. Les auteurs de cette analyse estiment également que les mesures du projet de Marine Le Pen « pourraient durablement dégrader le solde public, chaque année. » Au total, le bouclage macrofinancier du projet présidentiel du RN est largement déficitaire de 101,8 milliards d’euros. Les nouvelles recettes et les économies provoquées par l’application du programme de la candidate sont estimées à 17,8 milliards d’euros par les auteurs de cette analyse.

L’examen du projet présidentiel d’Emmanuel Macron est également passé au crible de l’Institut Montaigne. Si les dépenses estimées par le Think Tank (57 milliards) sont relativement proches de celles annoncées par le candidat. Le bouclage budgétaire n’atteint toutefois pas l’équilibre. Les économies et recettes seraient surestimées par le président candidat selon les économistes de l’Institut Montaigne et n’atteindraient que les 12,7 milliards d’euros, contre les 50 milliards. Au total, le bouclage macrofinancier est déficitaire de 44 milliards d’euros.

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