Présidentielle 2022 : « Marine Le Pen a des chances de gagner, car la colère est forte », estime le sénateur socialiste Rémi Féraud

Présidentielle 2022 : « Marine Le Pen a des chances de gagner, car la colère est forte », estime le sénateur socialiste Rémi Féraud

Dans un rapport publié mercredi 21 avril, la Fondation Jean Jaurès, proche du Parti Socialiste, estime qu’il existe une possibilité limitée mais réelle que la candidate du RN remporte l’élection présidentielle l’année prochaine.
Public Sénat

Par Jules Fresard

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Depuis l’accès au second tour de l’élection présidentielle de 2002 par Jean-Marie Le Pen, c’est une question qui revient lancinante dans le débat public, à l’approche de la grande échéance électorale visant à reconduire ou remplacer le locataire de l’Élysée. Et si le Front National, devenu depuis le Rassemblement, mais toujours national, parvenait à la magistrature suprême ? Et si Marine Le Pen, fille de Jean-Marie à la tête du parti depuis 2011, devenait la première présidente d’extrême droite de la Cinquième République ?

Pour la Fondation Jean Jaurès, qui publie ce mercredi 21 avril une étude intitulée « 2022, évaluation du risque Le Pen », le temps des « et si » est terminé. Une victoire de Marine Le Pen l’année prochaine est analysée comme une « possibilité non négligeable ». « Marine Le Pen a ses chances de gagner, car la colère est forte, car le clivage entre d’un côté les « élites » versus les classes populaires pose un problème qui est démocratiquement très dangereux », juge le sénateur de Paris Rémi Féraud.

Une évolution dans la perception du RN

« La stratégie de dédiabolisation de Marine Le Pen, entreprise par exemple avec le changement de nom du parti, a débouché sur une forme d’implantation du RN, avec certains électeurs qui commencent à se dire que finalement, le Front National, ce n’est pas si mal », analyse Marie Mercier, sénatrice LR de Saône-et-Loire.

Car avec l’arrivée de Marine Le Pen à la présidence du parti frontiste, l’entreprise de changement d’image commencée sous la direction de son père a connu un coup d’accélérateur sans précédent, témoignant une volonté affichée de devenir « présidentiable ». En témoignent les différentes procédures disciplinaires entamées à l’encontre de militants du parti jugés dorénavant trop extrêmes. En 2011, 13 personnes furent ainsi exclues de par leurs positions jugées non conformes à la nouvelle ligne défendue.

Une stratégie qui porte ses fruits, selon la Fondation Jean Jaurès. « En mars 2019, 50 % des Français déclaraient avoir une très mauvaise opinion de Marine Le Pen. Ils ne sont plus que 34 % aujourd’hui, soit le plus faible niveau atteint par la candidate ». À titre de comparaison, à la veille de l’élection présidentielle de 2016, 45 % des Français avaient une « très mauvaise opinion » de la candidate frontiste.

La même tendance s’observe du côté de « l’indice de diabolisation », présenté dans le rapport publié ce mercredi 21 avril. En agrégeant les données fournies par l’institut de sondage IPSOS, il permet de mesurer « l’acceptabilité » du RN dans la population française. Et là aussi, le constat est sans appel. En l’espace de cinq ans, cet indice a connu une baisse de cinq points, laissant entrevoir une entrée dans la course présidentielle pour Marine Le Pen avec une image plus positive qu’elle ne possédait en 2016. « On voit une dédiabolisation qui porte ses fruits, mais elle ne correspond pas à la réalité, l’extrême droite reste l’extrême droite, il suffit d’écouter le sénateur RN Stéphane Ravier, où on est dans l’extrémisme le plus radical possible », s’inquiète le sénateur Rémi Féraud.

Une porosité des électorats LR et RN ?

Peut-on imaginer qu’en cas d’un duel au second tour entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, cette dernière profite d’un report de voix favorable provenant d’électeurs LR, préférant soutenir la candidate du RN à l’actuel président ? C’est du moins ce qu’estime la Fondation Jean Jaurès, qui observe depuis 2016 un rapprochement idéologique sur les questions de société, entre les électeurs de droite et les positionnements du Rassemblement National.

« Lorsque l’on analyse simultanément les positions sur les enjeux économiques et culturels, l’écart idéologique entre la droite de gouvernement et la droite radicale n’a jamais été aussi ténu qu’il ne l’est aujourd’hui », estiment les auteurs du rapport. Mais quand la focale se resserre, des différences subsistent.

Sur les questions économiques, les divergences sont encore grandes entre les sympathisants LR et RN. Les premiers se démarquent de par leur attachement à une économie plus libérale, le libre-échange et une faible taxation pour les plus grosses fortunes, quand les seconds demandent une plus juste répartition des richesses et une moindre grande flexibilité donner au marché du travail. Concernant l’affirmation « prendre aux riches pour donner aux pauvres » la différence d’approbation est de 50 % entre les sympathisants LR et RN.

C’est sur les questions de société, et notamment celles ayant attrait à l’Islam, qu’une convergence s’observe entre les deux camps. Ainsi, à l’affirmation « l’Islam n’est pas compatible avec la société française », il n’existait en 2020 qu’une différence d’approbation de 10 % entre les sympathisants LR et RN, contre 30 % en 2015. Même observation du côté de la phrase « l’Islam porte, malgré tout, des germes de violences ». Alors qu’il y avait une différence d’approbation de 30 % en 2016 entre les soutiens LR et RN, cette dernière n’était plus que de 10 % en 2020.

Jacqueline Eustache-Brinio, sénatrice LR du Val-d’Oise, se défend de toute convergence entre Les Républicains et le Rassemblement National sur ces questions. « Rien n’appartient à personne. Sur l’islamisme, on a toujours eu des positions très claires, nous n’avons pas besoin de Marine Le Pen pour en parler. On en parle d’ailleurs plus intelligemment, et le travail qui a été fait au Sénat [pendant l’examen de la loi séparatisme, ndlr] démontre que l’on peut parler de sujets sociétaux avec cohérence ».

Les amendements votés par la majorité sénatoriale de droite lors de l’examen de la loi séparatisme se sont beaucoup portés sur des questions ayant attrait à l’Islam. Interdiction du port de voile dans l’espace public pour les mineurs, interdiction de réaliser des prières dans les universités, interdiction des signes religieux pour les accompagnants de sorties scolaires… offrant au texte une visée encore plus à droite que lors de son arrivée au Palais du Luxembourg. « En ce moment, entre Macron, LR et le RN, c’est plus à droite que moi tu meurs. Les sénateurs LR estiment donc qu’ils ne risquent pas de choquer leur électorat en passant de telles mesures. Au risque de laisser définitivement leur électorat modéré à Emmanuel Macron », croit Rémi Féraud.

Marie Mercier est la seule sénatrice LR à s’être abstenue lors du vote du texte. Soutien à Alain Juppé lors des primaires de 2016, elle illustre cette droite modérée aujourd’hui mise en minorité face aux évolutions du groupe. Sur la question de l’Islam, elle refuse de se présenter comme « naïve ». Mais pour elle, ce n’est pas en adoptant la stature prise par les sénateurs LR lors de l’examen du texte séparatisme que le problème de l’islamisme radical sera résolu. Et ce n’est pas non plus la solution face à la montée du RN. « Le fond de ma pensée, c’est que ce n’est pas un morceau de tissu qui va changer les choses. Le problème n’est pas là, le problème n’est pas le voile qu’on a sur la tête mais le voile qu’on a dans la tête. La solution réside dans l’éducation principalement ».

Le rejet du président Macron

L’effet repoussoir que constitue Emmanuel Macron constitue le dernier élément de cette trinité qui permettrait à Marine Le Pen de remporter la présidentielle de 2022. « Si le président en exercice bénéficie d’une cote de popularité assez importante à ce moment du quinquennat, surtout au regard de ces deux derniers prédécesseurs, il ne faut pas perdre de vue qu’il est également particulièrement détesté par une partie substantielle de l’électorat », souligne la Fondation Jean Jaurès dans son rapport. Ainsi, parmi les Français interrogés, Emmanuel Macron inspire avant tout « de la colère » à 28 %, du « dégoût » et du « désespoir » tous deux à 21 %, et de la honte à 18 %.

Emmanuel Macron trop détesté par une partie de la population pour faire efficacement barrage à Marine Le Pen dans le scénario où les deux candidats se retrouveraient face à face ? C’est ce qu’estime Rémi Féraud. « Avec la dernière élection présidentielle, il y a eu une erreur d’interprétation. Macron n’a pas été un barrage à Le Pen, Macron a été un barrage à Fillon. Et ce malentendu se poursuit ».

Jacqueline Eustache-Brinio juge Emmanuel Macron « clivant, pas clair sur des sujets qu’ils ne maîtrisent pas. Notre pays n’a jamais été aussi fracturé que depuis son arrivée, et sur certains sujets, comme le multiculturalisme, les gens sont arc-boutés ». Pour Marie Mercier, la gestion de la crise sanitaire n’a fait que renforcer ce sentiment de malaise qu’éprouve une partie des Français face à Emmanuel Macron. « La gestion du covid a magnifié le fait que le président change constamment de cap, et je pense que les Français n’en peuvent plus ».

La sénatrice ne se résout cependant pas à voir Marine Le Pen accéder à l’Élysée le soir du second tour en 2022. « Je crois qu’il y a un risque, mais je ne peux pas y croire. La France est humaniste, elle n’est pas raciste. Je crois très profondément que les Français ne sont pas des gens qui adhèrent au RN ».

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