Présidentielle : ces événements qui ont monopolisé l’actualité des derniers jours de campagne

Présidentielle : ces événements qui ont monopolisé l’actualité des derniers jours de campagne

Plusieurs candidats demandent des comptes sur les conditions de la mort de Jeremy Cohen, le 16 février à Bobigny, et l’éventualité d’une agression à caractère antisémite. Public Sénat revient sur ces événements d’actualité, faits divers, prise d’otage ou attentats, qui ont bousculé les dernières élections présidentielles.
Romain David

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Une enquête pour « violences volontaires en réunion » a été ouverte pour déterminer les circonstances du décès de Jeremy Cohen. La mort de ce jeune homme de 31 ans, percuté le 16 février par le tramway à Bobigny, en Seine-Saint-Denis, n’a d’abord été relayée que par la seule presse locale, et présentée comme un simple fait divers, aussi tragique soit-il. Mais depuis plusieurs jours, le caractère antisémite supposé du drame fait réagir les candidats à la présidentielle, à quelques jours seulement du premier tour. Relayée sur les réseaux sociaux lundi, une vidéo de la scène laisse croire que Jeremy Cohen, de confession juive et souffrant d’un handicap mental, aurait pu traverser les voies pour échapper à plusieurs agresseurs.

Lundi soir sur BFM TV, le père du jeune homme a expliqué avoir contacté Éric Zemmour pour l’aider à faire en sorte que l’enquête ne soit pas « fermée ou étouffée ». Le polémiste a relayé la vidéo sur son compte Twitter, avec les interrogations suivantes : « Le silence assourdissant sur les faits depuis deux mois me révolte. Est-il mort pour fuir les racailles ? Est-il mort parce que juif ? Pourquoi cette affaire est-elle étouffée ? » Sur France Inter, lundi matin, Marine Le Pen a carrément évoqué l’hypothèse d’une « dissimulation ». « Est-ce qu’il n’y a pas eu une instrumentalisation en cachant ces faits ? C’est ça la vraie question », interroge la présidente du Rassemblement national qui se demande si « l’on n’a pas travesti cet acte affreux […] parce qu’on ne voulait pas parler de ça au moment de la campagne présidentielle ». En marge d’un déplacement dans le Finistère, Emmanuel Macron a mis en garde contre les « manipulations politiques » et demandé à la justice de faire « la clarté complète » sur ce drame. Dans la foulée, le procureur a indiqué qu'à ce stade de l'enquête, aucun élement ne permettait de déterminer si des « motifs discriminatoires » étaient à l'origine des violences qui ont précédé la mort de Jeremy Cohen.

Difficile pour l’heure de savoir si cette affaire aura un éventuel impact sur la dernière ligne droite de l’élection. Toutefois, ce n’est pas la première fois qu’un fait divers s’invite dans les prises de parole des candidats à l’investiture suprême. Certaines actualités, plus ou moins dramatiques, se sont même transformées en événements de campagne, avec parfois des incidences politiques fortes, quelques jours seulement avant le scrutin.

1988 : la prise d'otage d’Ouvéa au coeur du duel Mitterrand-Chirac

Deux jours avant le premier tour de la présidentielle, une soixantaine d’indépendantistes kanaks du FLNKS attaquent la gendarmerie d’Ouvéa, en Nouvelle-Calédonie. Quatre gendarmes sont tués, et 26 autres pris en otage. La gestion de la crise est aux mains des deux principaux candidats à l’Elysée : le président sortant, François Mitterrand, et son premier ministre, Jacques Chirac, dans le cadre d’une cohabitation restée comme la plus houleuse de la Ve République. Le gouvernement n’a pas de mots assez durs pour les ravisseurs, qualifiés de « barbares » par Jacques Chirac. Surtout, il entend prouver sa capacité à résoudre rapidement la crise : 700 hommes sont envoyés sur place, l’île d’Ouvéa est entièrement bouclée. Le 24 avril, François Mitterrand et Jacques Chirac se qualifient pour le second tour.

Durant le débat de l’entre-deux tours, le 28 avril, la situation en Nouvelle-Calédonie s’invite dans la joute. François Mitterrand en profite pour fustiger son chef de gouvernement. « Ce qui compte c’est le dialogue, or le gouvernement a choisi la brutalité, a choisi d’ignorer la moitié de la population. Moi, je choisis le dialogue », déclare le socialiste. « Si l’on n’avait pas systématiquement encouragé le FLNKS et son président Jean-Marie Tjibaou, nous n’en serions pas là », lui répond Chirac.

L’assaut contre la grotte de Gossanah, où sont encore détenus quinze otages, est lancé le 5 mai 1988. François Mitterrand aurait donné son accord pour une intervention le 3, finalement repoussée par Matignon. Deux militaires français et 19 indépendantistes sont tués au cours de l’intervention. Trois jours plus tard, le président sortant est réélu. La mise en place d’une instance de dialogue aboutit en juin à la signature des Accords de Matignon entre indépendantistes et anti-indépendantistes.

2002 : la tuerie de Nanterre et l'affaire "papy Voise" dans une campagne marquée par les questions de sécurité

Dans la nuit du 26 au 27 mars 2002, à la fin d’une séance du conseil municipal de Nanterre, un membre du public, Stéphane Durn, ouvre le feu sur les élus, faisant huit morts et 19 blessés. L’auteur présumé se suicide le lendemain, en parvenant à se défenestrer pendant sa garde à vue. Le 2 avril, moins d’un mois avant le premier tour de l’élection présidentielle, un hommage officiel est rendu aux victimes de la tuerie, en présence de deux candidats, le chef de l’Etat, Jacques Chirac, et son premier ministre Lionel Jospin.

« Malheur à ceux qui en feraient un élément de la campagne », avait averti au lendemain du drame François Hollande, alors premier secrétaire du PS. Peine perdue, quelques heures plus tard le président sortant s’empare de l’actualité dans un discours de campagne prononcé à Savigny-sur-Orge, à l’occasion d’un déplacement sur les violences scolaires. « L’insécurité est une préoccupation forte chez l’ensemble de nos concitoyens. L’insécurité, ça va de l’incivilité ordinaire au drame que nous avons connu cette nuit », déclare Jacques Chirac. Il faut dire que le fondateur du RPR, après avoir fait campagne autour de la fracture sociale en 1995, a choisi d’angler sa campagne de réélection sur l’insécurité, ce qui lui permet de dénoncer le bilan de la cohabitation. Mais la thématique n’a pas fini d’empoisonner la campagne, avec un fait divers qui survient trois semaines plus tard…

Le 18 avril 2002, Paul Voise, un retraité de 72 ans, est agressé dans sa maison d’Orléans par deux individus, qui incendient son habitation avant de prendre la fuite. Le lendemain, et encore le surlendemain, l’agression de « papy Voise », les larmes et le visage tuméfié du vieil homme devant sa maison réduite en cendres, font le tour des médias, notamment de LCI, alors l’une des deux seules chaînes d’informations en continu avec iTélé. Le 21 avril, à 20 heures, coup tonnerre : Lionel Jospin est évincé du second tour au profit du candidat de l’extrême droite, Jean-Marie Le Pen. Faut-il y voir un lien de cause à effet ? Le raccourci est peut-être abusif, mais des voix s’élèvent pour reprocher aux médias d’avoir monté en épingle ce fait divers, alors que Jean-Marie Le Pen, autre chantre de la lutte contre l’insécurité dans cette campagne, était en pleine dynamique sondagière.

« Poison pour les uns, bénédiction avouée pour les autres, l’affaire Paul Voise fait figure de poil à gratter après les résultats impensables du premier tour de la présidentielle », écrit le journaliste Anthony Gautier dans l’essai qu’il a consacré à ce fait divers. « Il est indéniable que l’affaire Voise a pesé dans le résultat de ce premier tour de l’élection présidentielle. Et en faveur du Front national assurément. » Moins sans doute par ce qu’elle disait du climat d’insécurité, que par son caractère sensationnaliste. Quelques semaines après la présidentielle, Paul Voise retombe dans l’oubli. L’affaire aboutit en 2005, dans une certaine indifférence médiatique, à un non-lieu. L’enquête a notamment révélé le caractère marginal de la victime, à l'origine de tensions avec son voisinage. Entré dans une maison de retraite la même année, « papy Voise » est décédé en 2013.

2007 : des échauffourées gare du Nord, angle d'attaque de la gauche contre le bilan de Nicolas Sarkozy

Le 27 mars 2007, en fin d’après-midi, le contrôle d’un usager circulant dans le métro sans ticket dégénère à Paris, au niveau de la gare du Nord. Pendant plusieurs heures, jusqu’au milieu de la nuit, le sous-sol de la gare et la station de métro attenante sont le théâtre d’affrontements entre les forces de l’ordre et quelques centaines de personnes. On dénombre 9 blessés et une dizaine de gardes à vue. L’incident permet aussitôt à la gauche d’attaquer le candidat Sarkozy sur son bilan au ministère de l’Intérieur, et de s’emparer d’un sujet sur lequel on la sait moins à l’aise : la sécurité, mais déclinée sur le thème du fossé entre les forces de l’ordre et la population. L'occasion d'un échange de petites phrases entre les deux principaux camps.

Dans un communiqué publié le soir même, julien Dray, porte-parole du Parti socialiste et proche de Ségolène Royal, estime que ces affrontements « illustrent le climat de tension, le fossé et la violence désormais installés entre la police et la population ». Le lendemain, Nicolas Sarkozy passe par la gare du Nord pour un déplacement de campagne à Lille. Devant les journalistes, il tente de renverser l’argumentaire de ses adversaires : « Si Madame Royal veut régulariser tous les sans-papiers et si la gauche veut être du côté de ceux qui ne paient pas leur billet dans le train, c’est son choix […]. Je ne serai pas du côté des fraudeurs, des tricheurs, des malhonnêtes. Je suis du côté des victimes. »

Ségolène Royal, qui a fait de « l’ordre juste » le credo de sa campagne présidentielle, lui répond le soir même sur le plateau de Canal + : « Bien évidemment les voyageurs doivent payer leur billet. Mais qu’un simple contrôle puisse dégénérer dans un affrontement aussi violent prouve que quelque chose ne va plus. Les gens sont dressés les uns contre les autres, ont peur les uns des autres. »

2012 : la campagne stoppée net par les crimes de Mohammed Merah

L’épopée sanglante de Mohammed Merah, en mars 2012, met la campagne présidentielle entre parenthèses. Une situation inédite sous la Ve République. L’affaire débute avec l’assassinat d’un militaire le 11 mars 2012 à Toulouse par un motard casqué, flanqué d’une Go Pro. Mohammed Merah fera encore six victimes - deux autres militaires à Montauban le 15, puis quatre personnes, dont trois enfants, devant le collège-lycée juif Ozar Hatorah de Toulouse le 19 - avant d’être neutralisé lors d’une opération du RAID, le 22 mars. L’émotion est considérable.

Le 19 mars, Nicolas Sarkozy active pour la première fois en France le niveau écarlate du plan Vigipirate et annonce suspendre sa campagne de réélection jusqu’aux obsèques des militaires (les corps des quatre victimes juives de l’école Ozar Hatorah sont rapatriés en Israël). François Hollande lui embraye le pas, et les deux principaux concurrents à la présidence assistent dans la soirée à une lecture de psaumes à la synagogue Nazareth à Paris. L’évènement conforte le duel gauche-droite en renforçant la présidentialité de leurs champions respectifs, qui font montre de leur capacité à se détacher de la bataille des idées devant un drame national. À l’inverse, il se retourne contre celui qui est alors présenté comme le troisième homme de la campagne, François Bayrou, pointé du doigt pour avoir maintenu le soir même un meeting à Grenoble.

Dès le lendemain de la cérémonie d’hommage, le 21 mars, à laquelle assiste la majeure partie des candidats, les polémiques reprennent le dessus et balayent le temps du deuil. Lors d’un point presse, Jean-François Copé accuse François Hollande d’avoir fait un lien « insidieux » entre ces attaques et le bilan de Nicolas Sarkozy. Sur France Info, Marine Le Pen remet en cause les services de renseignements français. Dans une interview à Radio Orient, Eva Joly reproche à Claude Guéant d’avoir piloté l’assaut du RAID. Quant à François Bayrou, invité des « 4 vérités » sur France 2, il réclame « une réflexion sur la réglementation et la circulation des armes dans notre pays » face à l’arsenal constitué par Mohammed Merah.

2017 : la fusillade des Champs-Elysées, point d'orgue d'une présidentielle dans l'ombre de la menace terroriste

En début de soirée, le 20 avril 2017, un fourgon de policiers est pris pour cible sur les Champs-Elysées par un homme armé d’un fusil d’assaut. Le conducteur, Xavier Jugelé, 37 ans, est tué par deux balles reçues en pleine tête. Trois autres personnes, dont une passante, sont blessées. L’assaillant est aussitôt abattu par les tirs de riposte des policiers. Au même moment, les onze candidats à la présidentielle sont en train de passer leur grand oral sur France 2, dans l’émission « 15 minutes pour convaincre ». Le déroulé du programme est chamboulé par l’événement, qui s’invite dans les questions des journalistes. Ainsi, David Pujadas interroge Philippe Poutou sur sa proposition de désarmer les policiers. Le candidat du NPA invoque les violences policières durant les manifestations contre la loi Travail. Il sera pris à partie par des membres des forces de l’ordre à la sortie du studio. De son côté, François Fillon évoque « d’autres violences dans Paris », ce que dément rapidement un message du ministère de l’Intérieur.

Jamais à court de tweets, Donald Trump assure que l’attentat « aura un gros effet sur l’élection présidentielle ». Lors de l’hommage rendu à la victime, le 25 avril, le président sortant, François Hollande, s’adresse indirectement aux deux candidats qui se sont qualifiés pour le second tour, deux jours plus tôt, Marine Le Pen et Emmanuel Macron. Il « leur demande d’accorder les ressources budgétaires nécessaires pour recruter les personnels indispensables à la protection de nos concitoyens. » La fusillade des Champs-Elysées rappelle que la menace islamiste n’a pas seulement été l’une des thématiques fortes de la présidentielle, après un quinquennat marqué par une série d’attaques, mais aussi un élément de bouleversement de cette campagne. La Direction générale de la sécurité intérieure avait mis en garde les principaux prétendants sur les menaces pesant sur eux et leur entourage. Quelques semaines après l’élection, Libération révèle qu’un attentat déjoué à Marseille, le 18 avril, visait un meeting de Marine Le Pen.

Pour autant, l’impact de la fusillade des Champs-Elysées sur le vote semble avoir été négligeable. Comme le remarque Le Monde, les scores au premier tour ont été identiques à ce qu’annonçaient les enquêtes d’opinion une semaine avant le meurtre de Xavier Jugelé.

En juin dernier, Jean-Luc Mélenchon a rapproché lors d’une interview sur France Inter cet événement et les attaques de Mohammed Merah en 2012, laissant entendre que chaque présidentielle est systématiquement marquée, à quelques jours du premier tour de scrutin, par un événement « gravissime ». « Vous verrez que dans la dernière semaine de la campagne présidentielle, nous aurons un grave incident ou un meurtre. Cela a été Merah en 2012. Cela a été l’attentat la dernière semaine sur les Champs-Elysées […] Tout ça, c’est écrit d’avance », a déclaré le leader de la France insoumise. Taxé de complotisme, il a ensuite estimé, notamment sur Twitter, que ses propos avaient été instrumentalisés. Plus récemment, lors de son passage dans ADN, l’émission politique de l’INA, Jean-Luc Mélenchon est revenu sur la séquence, reconnaissant sa maladresse. « J’ai voulu dire qu’il y avait une manière d’utiliser les circonstances. Mais ça a été fait de manière malhabile, le trait est tellement gros, ça ne fonctionne pas. On ne comprend pas ce que je veux dire », a-t-il plaidé, tout en expliquant avoir été « traumatisé » par l’affaire Paul Voise en 2002 et l’élimination de Lionel Jospin le week-end suivant.

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