Présidentielle : Emmanuel Macron peut-il séduire l’électorat catholique ?

Présidentielle : Emmanuel Macron peut-il séduire l’électorat catholique ?

Auprès de Public Sénat, le politologue Bruno Cautrès, chercheur au CNRS et enseignant à Science Po, décrypte à cinq mois de la présidentielle les relations entre Emmanuel Macron et l’électorat catholique, qui avait majoritairement voté pour François Fillon en 2017.
Romain David

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Pour la seconde fois, le président de la République a rencontré le Saint-Père. Le pape François a accordé vendredi matin une audience à Emmanuel Macron, en marge de son déplacement à Rome pour la signature d’un accord bilatéral avec l’Italie. « La discussion a porté sur un certain nombre de dossiers internationaux, dont la protection de l’environnement à la lumière des résultats de la COP26 », indique un communiqué du Vatican, qui évoque également les enjeux de la future présidence française de l’Union européenne ou encore « l’engagement de la France au Liban, au Moyen-Orient et en Afrique ». Cette rencontre s’inscrit dans la suite d’une actualité complexe pour l’Église catholique de France, minée par les révélations du rapport Sauvé sur les abus sexuels au sien de l’institution. Elle pourrait également ne pas laisser indifférent un électorat catholique, loin d’être négligeable à l’approche de la présidentielle : selon les chiffres du Comité interministériel de la laïcité, 48 % des Français « se sentent liés » au catholicisme.

Un glissement en trompe-l’œil

Aux élections européennes de 2019, 37 % des catholiques pratiquants ont voté pour la liste LREM, contre seulement 22 % pour la liste LR, selon un sondage Ifop réalisé pour le journal La Croix dans la foulée du scrutin. Ces chiffres laissent penser qu’un glissement de cet électorat s’est opéré au fil du quinquennat. Car selon le même institut de sondage, ils étaient 46 % de pratiquants à voter pour le candidat François Fillon en 2017. Le Sarthois avait notamment reçu le soutien de Sens commun, émanation politique de la Manif pour tous. « Il n’est pas exagéré de dire qu’il y a, en France, un vote catholique conservateur. Toutes les études montrent que les catholiques pratiquants votent toujours à droite », observe auprès de Public Sénat le politologue Bruno Cautrès, chercheur au CNRS et enseignant à Science Po. « Mais il y a plus de diversité qu’on ne le croit. Il y a aussi des cathos de gauche, même si ça reste très limité ».

« Je ne tirerai pas de conclusions sur ce qu’il s’est passé pendant les élections européennes. On parle d’un scrutin de liste avec une faible participation », poursuit ce chercheur. « Par ailleurs, les électeurs catholiques n’ont pas voté pour Emmanuel Macron, mais pour sa candidate, Nathalie Loiseau. Face à elle, le catholique François-Xavier Bellamy, issu d’une droite versaillaise, s’est sans doute avéré un peu trop sectoriel. Il ne représentait pas la diversité des idées politiques qui peuvent s’exprimer au sein du catholicisme. »

D’ailleurs, cet électorat s’estime peu entendu : 62 % des catholiques considèrent qu’ils ne sont pas pris en compte en tant que citoyens par les dirigeants politiques, et 82 % en tant que catholiques, relève une enquête de l’Ifop pour l’hebdomadaire Pèlerin, publiée le 20 octobre dernier. Toutefois, 85 % des catholiques interrogés considèrent que la présidentielle « représente un enjeu majeur dont dépend l’avenir du pays ». De quoi laissé présager une importante mobilisation de cet électorat en 2022.

« Emmanuel Macron a un peu mordu sur la ligne que doit tenir le président d’une République laïque »

Et pourtant, « au fil de son mandat, Emmanuel Macron a envoyé beaucoup de signaux à une France qui aime l’ordre et la sécurité », constate Bruno Cautrès, et plus spécifiquement aux catholiques. Ainsi, pourrait-on citer sa visite au sanctuaire de Lourdes, mi-juillet, une première pour un président de la Ve République. Officiellement, le chef de l’État avait fait le déplacement pour évoquer son plan de relance post-covid, mais il a symboliquement franchi les portes du sanctuaire, sans toutefois se rendre jusqu’à la grotte de Massabielle, théâtre des apparitions mariales.

Pour notre politologue, le signal le plus fort envoyé par Emmanuel Macron reste les paroles prononcées au collège des Bernardins en début de mandat, le 9 avril 2018. « Nous partageons confusément le sentiment que le lien entre l’Église et l’État s’est abîmé », déclare alors Emmanuel Macron. Sans doute faudrait-il remonter au discours de Latran de Nicolas Sarkozy, en 2007 - « Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur » -, pour retrouver une marque d’attention aussi forte à l’égard des catholiques. « Ce jour-là, Emmanuel Macron a un peu mordu sur la ligne que doit tenir le président d’une République laïque. »

Mais depuis cet épisode, les relations ont eu matière à se distendre. L’adoption en juin dernier de la PMA pour toutes, dans le cadre de la loi de bioéthique, a marqué une importante défaite idéologique pour l’électorat catholique conservateur, sept ans après une forte mobilisation contre l’ouverture du mariage aux couples de même sexe. Un dossier sur lequel le Pape et Emmanuel Macron devaient aussi s’entretenir vendredi, selon plusieurs commentateurs. Une manière de déminer les tensions et d’adresser un nouveau geste aux catholiques ? « Aller voir le pape, c’est toujours envoyer un signal aux catholiques », a admis le Président, cité par La Croix.

« Pas nécessairement », répond Bruno Cautrès. « La visite au Pape est une figure imposée pour le chef d’État d’un pays de tradition judéo-chrétienne. L’attention médiatique est peut-être un peu plus forte parce que nous sommes à cinq mois de la présidentielle, mais je doute que cette rencontre ait une résonance particulière chez les catholiques. » D’ailleurs, François Hollande avait également effectué sa seconde visite au Pape François durant la dernière année de son mandat, à la fin de l’été 2016.

Le goût de la continuité

L’offre politique qui se profile pour 2022 est également susceptible de ramener la majorité des électeurs catholiques dans le giron de la droite. « Les trois favoris à l’investiture LR, à savoir Michel Barnier, Valérie Pécresse ou Xavier Bertrand, ont une égale capacité à s’adresser aux catholiques conservateurs », souligne Bruno Cautrès. À l’inverse, la probable candidature du polémiste Éric Zemmour pourrait servir de repoussoir, sur le modèle de ce qui s’est produit avec François-Xavier Bellamy lors des européennes.

Un avantage cependant pour Emmanuel Macron : « L’électeur catholique a tendance à être légitimiste, à chercher la stabilité et donc à reconduire le président sortant », note Bruno Cautrès. Il en veut pour preuve la réélection de François Mitterrand en 1988. « Je me souviens que les études faites à l’époque ont montré un fort vote catholique en faveur de Mitterrand. C’était plutôt inattendu à l’égard d’un président socialiste qui, quelques années plus tôt, avait gouverné le pays avec les communistes. »

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