Présidentielle : Marine Le Pen si près, et pourtant si loin

Présidentielle : Marine Le Pen si près, et pourtant si loin

Après 2017, la candidate du Rassemblement national a une nouvelle fois échoué au second tour de l’élection présidentielle. Mais sa progression laisse penser que la dédiabolisation de Marine Le Pen est en bonne voie, puisqu’avec 41,5 % des suffrages - contre 33 % en 2017 - elle a rassemblé 3 millions de voix supplémentaires, dans un second tour bien plus serré. Récit d’une campagne presque parfaite.
Louis Mollier-Sabet

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Finalement cela fait presque 12 ans que Marine Le Pen est en campagne. Depuis que Jean-Marie Le Pen a annoncé après les élections régionales de 2010 qu’il ne se représenterait pas à la tête du Front National, la trajectoire était claire. D’abord, remettre sur les rails et purger un parti en difficulté financière et discrédité par les affres du paternel. Ensuite, entamer la fameuse stratégie de « dédiabolisation » pour faire advenir un « tripartisme », faisant du Front national la seule alternative au « système » et à « l’UMPS. » Enfin, se détacher de l’ultra-libéralisme de Jean-Marie Le Pen en tentant de faire advenir une droite sociale et eurosceptique. Pour ce faire, la présidente du Front national, transformé en Rassemblement, n’a eu de cesse de se « normaliser » pour élargir petit à petit sa base et enfin briser ce fameux « plafond de verre » qui a toujours tenu sa famille politique à l’écart du pouvoir depuis la Libération. En un sens, elle a réussi.

En 2017, c’est l’implosion des partis traditionnels qui lui a rendu le second tour accessible, en passant de 17,9 % en 2012 à 21,3 % des suffrages exprimés. En 2022, le match retour était annoncé depuis les premières heures du quinquennat d’Emmanuel Macron, or la politique française est peu friande des affiches jouées d’avance. Édouard Balladur, Lionel Jospin ou Alain Juppé s’en souviennent. Pourtant, la candidate du Rassemblement national a réussi à pérenniser son socle électoral dans un quinquennat pourtant mouvementé, et même à mobiliser 500 000 voix supplémentaires pour ne pas être coiffée au poteau par Jean-Luc Mélenchon. La progression de celle qui s’est construite, non seulement comme opposante, mais comme opposée, d’Emmanuel Macron a presque semblé inexorable. Et paradoxalement, le fait qu’elle allait échouer aussi.

Marine Le Pen partait de loin

La tortue de cette campagne n’était donc ni Jean-Luc Mélenchon, ni celle de la fable de La Fontaine, mais bien celle du paradoxe de Zénon. Comme Achille qui n’arrive jamais à rattraper la tortue, peu importe à quelle vitesse Marine Le Pen semblait refaire son retard sur Emmanuel Macron, elle n’a jamais réussi à se hisser à un niveau suffisant pour l’emporter. Le plafond de verre tel qu’on l’imaginait en 2002 avait déjà volé en éclat en 2017, quand Marine Le Pen avait rassemblé deux fois plus de voix au second tour que son père en 2002. Cependant, avec 33,9 % des voix, le « barrage » semblait certes ébréché, mais ce score faisait tout de même de ce second tour le deuxième plus déséquilibré de la Vème République, après 2002. La voilà maintenant presque dans les eaux des seconds tours gauche-droite « classiques » qui se jouent à quelques millions de voix d’écart, mais, inexorablement, le résultat reste le même.

Pourtant, la campagne de Marine Le Pen fut presque parfaite. Et il a fallu, pour remettre, le parti à l’endroit après la débâcle de l’entre-deux-tours de 2017, un peu comme quand « Marine » a repris le FN en 2010. Les recettes de l’époque ont fait leur preuve, et dès les premières semaines qui suivent l’élection, Florian Philippot et sa ligne « frexiteuse » – qui avait tant coûté à Marine Le Pen lors du fameux débat – sont purgés. Après Tours, c’est à Lille qu’une nouvelle ligne est définie : le « Front » avait réussi à recueillir plus de 10 millions de voix au second tour, la base était bien consolidée. Restait à rassembler. Ainsi naquit le « Rassemblement national », au Congrès de Lille de mars 2018, qui devait servir à recentrer et à présidentialiser Marine Le Pen pour lui permettre de battre Emmanuel Macron 4 ans plus tard. Les élections intermédiaires du quinquennat n’ont pas été des grandes victoires pour Marine Le Pen, mais elle est restée dans les temps de passage avant la vraie échéance, la seule finalement : la campagne présidentielle.

Une étape de franchie dans la dédiabolisation, l’effet Zemmour ?

Marine Le Pen a mené campagne comme elle a abordé le quinquennat d’Emmanuel Macron après sa défaite : sûre de la solidité de sa base, en essayant de cliver le moins possible pour arriver, enfin, à rassembler. Jean-Marie Le Pen disait après la défaite de 2017 qu’un « FN gentil, ça n’intéresse personne. » Force est de constater que cela a intéressé du monde, ou qu’en tout cas, Marine Le Pen a su incarner une forme de radicalité tout en effrayant moins, même si le numéro d’équilibriste n’a finalement pas suffi. Sur les questions sociales, Marine Le Pen a – de fait – réussi à incarner un débouché pour les angoisses des catégories populaires sur l’inflation, avec un programme reposant majoritairement sur des baisses de TVA pour les ménages et d’impôts de production et de cotisations pour les entreprises. En retirant la sortie de l’Europe de son programme et en amendant son projet de retraite à 60 ans, Marine Le Pen a en parallèle tenter de crédibiliser son projet économique pour atténuer les éléments qui ont toujours repoussé l’électorat de droite plus urbain, éduqué et aisé.

Une stratégie d’autant plus réussie qu’un polémiste, plus en vogue dans le Tout-Paris, a finalement accompli un travail de sape bien plus bénéfique à Marine Le Pen que la concurrence qu’on aurait pu imaginer. Éric Zemmour a à la fois permis de mobiliser et de radicaliser un électorat plus urbain, plus éduqué et plus riche, qui s’était parfois tourné vers la droite de François Fillon en 2017, tout en recentrant Marine Le Pen par contraste. Au moment de la déclaration de candidature d’Éric Zemmour, on aurait pu penser que la division de l’extrême droite pourrait coûter le second tour au Rassemblement national. Mais rétrospectivement, c’est probablement ce qui a permis à Marine Le Pen de se normaliser encore plus, de bénéficier d’un réservoir de voix plus important qu’en 2017 et ainsi d’entrevoir une possible victoire.

Une fin de campagne plus âpre, pour finir à 42 %

L’entre-deux-tours a été plus conflictuel, même si la candidate du Rassemblement national a multiplié les conférences de presse pour jouer la carte du « sérieux. » D’abord hésitante sur l’interdiction du port du voile dans l’espace public, Marine Le Pen a fini par se prononcer, lors du débat d’entre-deux-tours, pour l’interdiction du foulard au nom de « la lutte contre l’islamisme. » Elle s’est aussi montrée offensive sur la réforme des institutions, quitte à assumer des positions incompatibles avec l’état actuel du droit constitutionnel français au nom de la souveraineté populaire. Sa révision constitutionnelle prévoyait en effet de contourner le Conseil constitutionnel par un référendum, et en opposant ainsi la volonté du peuple au gouvernement des juges et des gens raisonnables, Marine Le Pen a renoué avec sa stratégie populiste de 2017 et avec l’opposition du peuple aux élites, sur fond de Référendum d’initiative citoyenne (RIC) et de mobilisation du conflit des Gilets Jaunes.

Durant le débat d’entre-deux-tours, la candidate du Rassemblement national a tout de même remis une couche de dédiabolisation, et a tout fait pour jouer la bonne élève, sérieuse, technique, attaquant Emmanuel Macron sur la dette, par exemple. Un débat sérieux pour ses militants, un peu raté pour les observateurs, mais en tout état de cause, Marine Le Pen avait décidé de tout faire pour ne pas effrayer d’éventuels hésitants qui auraient voulu regarder le débat pour faire leur choix. En concluant son débat par une anaphore censée la placer en « candidate du bon sens », elle a joué une carte presque évidente pour qui fait face à Emmanuel Macron : la vie des « vrais gens » face à la technocratie. Et dans la lignée de cette conclusion, la conflictualité est montée d’un cran pour les derniers jours de campagne : le débat cordial de mercredi soir est devenu jeudi le lieu d’expression d’une « arrogance sans limite » du chef de l’Etat. La stratégie de toute fin de campagne a semblé relativement simple : capitaliser sur le rejet, voire la haine, suscités par le chef de l’Etat. Ainsi, pour son dernier meeting de campagne jeudi à Arras, Marine Le Pen s’est montrée beaucoup plus offensive et violente à l’égard du Président sortant, et a lancé un ultimatum aux Français : « C’est Macron, ou la France. » Apparemment, les Français en ont décidé autrement.

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