Présidentielle : quatre jours avant le premier tour, l’indécision des électeurs jette une ombre sur le scrutin

Présidentielle : quatre jours avant le premier tour, l’indécision des électeurs jette une ombre sur le scrutin

Le dernier volet de l’enquête Ipsos-Sopra Steria réalisée avec le Cevipof et la Fondation Jean Jaurès pour le journal Le Monde trahit les atermoiements des électeurs à moins d’une semaine du vote. Des hésitations à mettre sur le compte d’une campagne électorale démarrée très tardivement, mais aussi sur les mutations que le système médiatique a imposées à la vie politique, selon Martial Foucault, le directeur du Cevipof.
Romain David

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L’abstention, comme un chien dans un jeu de quilles. À quatre jours du premier tour de l’élection présidentielle, les sondages n’ont jamais autant été commentés, alors qu’un duel Macron-Le Pen reste, à ce stade, l’hypothèse la plus probable au soir du dimanche 10 avril. Mais la mobilisation des électeurs demeure, comme souvent, la véritable inconnue du scrutin. Ipsos-Sopra Steria a publié mercredi la neuvième vague de son « enquête électorale française », avec le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) et la Fondation Jean Jaurès pour Le Monde. Cette étude, réalisée du 2 au 4 avril avec un panel de 12 600 personnes, met notamment en lumière les fortes hésitations des électeurs, laissant craindre un niveau record d’abstention pour ce type d’élection.

75 % des électeurs interrogés dans cette enquête se disent intéressés par cette campagne présidentielle (92 % si l’on ajoute à ce chiffre les 17 % de personnes « moyennement intéressées »). « Ce chiffre est beaucoup plus faible qu’en 2017, de près de 7 points. Le manque d’intérêt est un facteur de démobilisation qui nourrit l’abstention », relève auprès de Public Sénat le politologue Martial Foucault, spécialiste de comportement électoral et directeur du Cevipof. Ainsi, seulement 69 % des électeurs sont « absolument certains d’aller voter ». Un chiffre qui grimpe à 80 % avec ceux qui se disent « presque certains » de se rendre aux urnes le week-end prochain. Mais il reste sensiblement bas pour un scrutin généralement présenté comme le plus déterminant de la vie politique française. La crise du covid-19 puis la guerre en Ukraine ont certainement participé à une forme de détachement, en faisant passer la campagne au second plan.

Une hésitation nourrie par la surinformation

Autre chiffre marquant : 32 % des électeurs admettent qu’ils peuvent encore changer de candidat d’ici le premier tour. Un taux particulièrement élevé à ce stade de la campagne. « La cristallisation du vote se fait de moins en moins tôt dans la campagne. On a souvent tendance à dire que les courbes se figent en février. Là, on voit bien que c’est faux. Beaucoup d’électeurs feront leur choix dans les heures précédant le scrutin et même, si j’ose dire, sur leur chemin jusqu’au bureau de vote », avance notre spécialiste. Là encore, la crise sanitaire et la situation internationale ont en partie éclipsé le débat politique dans l’actualité. Mais pas seulement.

Pour Martial Foucault, il s’agit aussi d’un phénomène de fond, déjà observable en 2017, et à rattacher à une forme d’infobésité à l’heure du tout médiatique. « Les candidats n’interviennent pas seulement à la télévision, mais aussi en ligne, sur une multitude de plateformes. Cette sorte d’inflation de l’exposition médiatique produit aussi de la confusion ». Les professions de foi, que doivent recevoir les électeurs dans leur boîte aux lettres avant le scrutin, peuvent réduire cette indécision d’ici quelques jours, car elles représentent pour certains un élément important de clarification.

Mais les candidats eux-mêmes ont pu nourrir cette confusion dans le souci qu’ils ont eu de mettre en avant leur sérieux, à travers des projets présidentiels particulièrement fournis. Au risque parfois de perdre leur auditoire. « Cette campagne 2022 est marquée par des projets très techniques, avec une inflation des propositions et un souci de chiffrage », observe Martial Foucault. « Il faut déjà que le lecteur soit très politisé pour faire cet exercice de comparaison. » On pourrait citer les conférences de presse que décline depuis plusieurs semaines Valérie Pécresse sur certains volets de son programme, ou encore la trentaine de « publications programmatiques » d’une vingtaine de pages chacune, mise en ligne par Jean-Luc Mélenchon.

L’éparpillement de la gauche

Dans le détail, les électeurs de Fabien Roussel et de Yannick Jadot apparaissent comme étant les plus hésitants, puisque respectivement 50 et 58 % d’entre eux reconnaissent qu’ils pourraient encore changer leur bulletin d’ici dimanche. Ils sont plus d’un tiers du côté de Jean-Luc Mélenchon (34 %) et Valérie Pécresse (39 %). Le phénomène est moins marqué chez Emmanuel Macron (18 % d’indécis) et les deux candidats d’extrême droite : 22 % d’hésitants chez Marine Le Pen et 25 % chez Éric Zemmour. « S’il y a une indécision, c’est que les électeurs ne sont pas totalement convaincus que les candidats portent leurs propositions sans ambiguïté », pointe le directeur du Cevipof. Le fait que la part d’électeurs hésitants soit plus marquée à gauche est à rapprocher de la multiplication des candidatures. Conséquence : les électeurs sont susceptibles d’adhérer à plusieurs programmes à la fois.

La polarisation populistes/progressistes antagonise les électorats

L’étude se penche aussi sur « l’état d’esprit général des Français » à la veille de cette élection. 55 % se disent proches d’une France mécontente et 37 % d’une France contestataire. Là encore, des niveaux très élevés, indique Martial Foucault, et qui font écho à la séquence des « Gilets Jaunes », qui a marqué un tournant dans le quinquennat écoulé. « Cette contestation est protéiforme. Elle est politique sur le mode du fonctionnement de notre démocratie, avec l’idée d’une élection jouée à l’avance, elle a été nourrie par la privation des libertés durant la crise sanitaire. Enfin, elle est liée à l’opposition à Emmanuel Macron. » Phénomène plutôt habituel, les extrêmes enregistrent les niveaux de mécontentement les plus élevés (97 % chez les électeurs de Jean-Luc Mélenchon, 98 % chez les communistes et 99 % du côté de Marine Le Pen et Éric Zemmour).

« Toutefois, le clivage populiste contre progressistes mis en place par Emmanuel Macron contribue aussi à nourrir la contestation. On n’a plus ce discours qui consiste à différencier les candidats des extrêmes de leurs électeurs. Mélenchon, Zemmour et Le Pen, c’est 45 % des électeurs auxquels on colle la même étiquette. » Le piège pour le président sortant serait donc de voir une coalition contre sa réélection se mettre en place dans les urnes, via « une polarisation affective », selon la formule de Martial Foucault. En clair : des catégories sociales relativement différentes, mais prêtes à voter par un même candidat, car unies par un sentiment de rejet du président sortant.

Un duel de plus en plus serré

Par ailleurs, l’enquête confirme le tassement d’Emmanuel Macron au premier tour et la dynamique sondagière de Marine Le Pen. L’envolée dont a bénéficié le président sortant lors du déclenchement de la guerre en Ukraine, il y a un mois (30,5 % dans la sixième vague de cette enquête), est retombée et la courbe revenue au niveau d’avant crise, avec 26,5 % des intentions de vote. Avec 21,5 %, Marine Le Pen grignote 4 points par rapport au précédent pointage. Notons également la progression de Jean-Luc Mélenchon qui, avec 16 % des intentions de vote, se rapproche un peu plus d’une éventuelle qualification. À rebours, l’affaissement de Valérie Pécresse, à 8,5 % désormais, se confirme. L’enquête révèle, au cours des trois dernières semaines, une accélération de la fuite des électeurs qui avaient voté François Fillon en 2017, en faveur de Marine Le Pen et d’Emmanuel Macron.

L’écart entre les deux finalistes se rétrécit également pour le second tour, avec 54 % des intentions de vote pour Emmanuel Macron (-3 %), et 46 % pour Marine Le Pen (+3 %).

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