Présidentielle : quand la qualification pour le second tour se joue sur le fil

Présidentielle : quand la qualification pour le second tour se joue sur le fil

Les électeurs feront-ils mentir, dimanche 10 avril, les enquêtes d’opinion ? Il n’est pas rare que les résultats du premier tour déjouent les pronostics, avec des qualifications - ou des éliminations — qui se jouent parfois à quelques centaines de milliers de voix. Retour sur trois cas d’école : les présidentielles de 1995, 2002 et 2017.
Romain David

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Sondage après sondage, le scénario de la présidentielle, dont le premier tour se tient dimanche, apparaît bien installé : un match retour au duel de 2017, avec la qualification d’Emmanuel Macron et de Marine Le Pen. Pour autant, à trois jours du scrutin, les courbes ne sont pas encore stabilisées, et depuis plusieurs semaines, l’avance du chef de l’Etat s’essouffle, tandis que la dynamique sondagière de la présidente du Rassemblement national se confirme. Le dernier pointage du baromètre Opinionway, publié ce jeudi 7 avril, donne le président sortant à 26 % contre 22 % pour la candidate du Rassemblement national. En tenant compte de la marge d’erreur, l’ordre d’arrivée pourrait même s’inverser. Par ailleurs, le bon score enregistré par Jean-Luc Mélenchon dans cette même enquête, passant en deux jours de 14 à 17 % des intentions de vote, pourrait permettre à l’insoumis de créer la surprise dimanche prochain.

Ces chiffres sont également à rapprocher d’un taux d’hésitation particulièrement élevé chez les électeurs, (et dont nous vous parlions ici) - 32 % des Français interrogés indiquent qu’ils peuvent encore changer de candidat d’ici leur passage dans l’isoloir – ce qui ajoute à l’incertitude et laisse penser que l’accès au second tour pourrait se jouer à un cheveu. Les qualifications sur le fil ne sont pas rares dans le cadre d’une élection présidentielle. Et le rapprochement des scores n’a pas manqué de donner à certaines soirées électorales des allures de supplice chinois. Public Sénat a sélectionné trois exemples, restés dans les annales.

1995 : deux candidats pour une même famille

L’événement de la campagne de 1995 reste la division de la droite, entre Jacques Chirac et Édouard Balladur. Après les législatives de 1993, un accord tacite lie le président du RPR et l’ancien ministre de l’Economie. Au second Matignon, au premier la prochaine élection présidentielle. Mais à l’approche du scrutin, Édouard Balladur, fort de la popularité qu’il a recueilli à la tête du gouvernement, se lance dans la course. Jacques Chirac fait d’abord figure d’outsider, mais le Corrézien remonte rapidement la pente. Sa campagne, articulée autour de la fracture sociale, imprime auprès des électeurs, tandis qu’Édouard Balladur pâtit d’une certaine distance, sans doute liée à sa charge de Premier ministre. Fin février, les deux hommes sont au coude à coude dans les enquêtes d’opinion, autour des 20 %. Un mois et demi plus tard, Jacques Chirac a pris l’avantage : il est donné à 24 %, suivi par le socialiste Lionel Jospin (20,5 %), tandis qu’Édouard Balladur s’enfonce à la troisième place (16,5 %).

Au soir du premier tour, le score final ne bouleverse pas l’ordre d’arrivée, mais nuance considérablement la dynamique annoncée par les derniers sondages. Jacques Chirac, bien moins haut qu’annoncé, est à 20,84 %, tandis qu’Édouard Balladur semble avoir réussi à rattraper une partie de son retard, avec 18,58 % des suffrages exprimés. Moins de 700 000 voix séparent donc les deux frères ennemis, distancés toutefois par Lionel Jospin (23,30 %).

« La première victime, ce soir, ce sont les instituts de sondages qui ont été, dans leur immense majorité, complètement balayés dans leurs prévisions », condamne sur France 2 Nicolas Sarkozy, l’un des soutiens d’Édouard Balladur. Sur la même chaîne, le politologue Pascal Perrineau invoque le nombre d’indécis : « 30 % de Français se sont décidés véritablement dans les tout derniers jours. Ce ne sont pas les sondages qui se sont trompés, c’est simplement l’opinion qui ne cesse d’évoluer jour après jour. »

2002 : des sondages déroutés par la multiplication des candidatures et la montée de l’abstention

La campagne de 2002 a fait jurisprudence chez les commentateurs : des sondages restés aveugles à la percée de Jean-Marie Le Pen. Et, le 21 avril, à 20 heures, l’extrême droite qui se qualifie pour la première fois au second tour d’une présidentielle. Un choc électoral sans précédent sous la Ve République. Durant les deux derniers mois de la campagne, les différents instituts enregistrent bien la sensible hausse du leader frontiste, qui passe progressivement de 10 à 14 % des intentions de vote. Mais sans imaginer un seul instant qu’il puisse venir inquiéter le duo de tête, formé par Lionel Jospin et le président sortant, Jacques Chirac, respectivement donnés à 18 et 19 % dans les derniers pointages. Les résultats officiels tordent le cou à ces pronostics : Chirac : 19,88 % - Le Pen : 16,86 % - Jospin : 16,18 %. Le socialiste est éliminé à la surprise générale. Moins de 200 000 voix le séparent de Jean-Marie Le Pen. Comme l’a récemment rappelé Jean-Luc Mélenchon, lors de son passage dans ADN, l’émission politique de l’INA, il n’a manqué à Lionel Jospin que « deux voix dans chaque bureau de vote ».

Mais comment expliquer un tel plantage sondagier ? La multiplication des candidatures (16 candidats, un record pour cette élection), notamment à gauche de l’échiquier politique, est souvent avancée. Elles ont considérablement abaissé le seuil de qualification au second tour – Jean-Marie Le Pen ne progresse que d’un peu plus de 230 000 voix par rapport à son score de 1995 – et affaibli Lionel Jospin. Citons également un taux d’abstention record pour le premier tour d’une élection présidentielle, avec 28,4 % des inscrits, un phénomène toujours difficile à cerner avant le scrutin.

L’affaire « papy Voise », du nom d’un retraité violemment agressé à deux jours du vote, et dont le visage tuméfié a tourné en boucle sur certaines chaînes, a aussi été pointée du doigt. L’emballement médiatique autour de ce fait divers aurait permis à Jean-Marie Le Pen de grappiller quelques voix supplémentaires au terme d’une campagne marquée par les questions de sécurité. Enfin, peut-être y a-t-il eu, aussi, une part non négligeable d’agacement chez les électeurs pour un scenario que les observateurs ont voulu leur imposer, comme nous l’expliquait Frédéric Micheau, le directeur général adjoint d’Opinionway, dans cet article : « Ce duel était présenté comme inéluctable, mais on observe qu’il ne satisfaisait pas les électeurs. Il y a eu, au cours de la campagne, un moment Arlette Laguiller puis un moment Olivier Besancenot ».

Le Conseil constitutionnel voit affluer un nombre important de courriers d’électeurs à l’issue du scrutin, certains mettant directement en cause l’influence des sondages sur le vote. Nous ne résistons pas à l’envie de reproduire la réponse que les sages de la rue Montpensier leur ont adressée, dans le communiqué des résultats définitifs : « Plusieurs électeurs ont cru devoir indiquer au Conseil constitutionnel que, compte tenu des résultats du premier tour, ils regrettaient le choix qu’ils avaient fait. Estimant avoir été abusés par les médias et les instituts de sondages, certains ont même été jusqu’à demander l’annulation des opérations électorales dans leur ensemble, au motif qu’ils auraient fait un choix différent au premier tour si les résultats de celui-ci avaient été correctement ‘prévus’. Faut-il rappeler que le vote de chacun lui appartient et qu’il est irrévocable ? que les sondages d’opinion ont pour ambition de ‘photographier’ l’état de l’opinion et non de faire des prévisions ? »

2017 : Jean-Luc Mélenchon refuse de reconnaître les résultats provisoires

Début 2017, le PenelopeGate, une affaire de soupçons d’emplois fictifs visant François Fillon, bouleverse complètement la trame qui s’était mise en place après la primaire de droite, en novembre. L’ancien Premier ministre de Nicolas Sarkozy, longtemps donné en tête avec Marine Le Pen, plonge. À la même période, le ralliement de François Bayrou à Emmanuel Macron, et la victoire de Benoît Hamon à la primaire de la gauche, parce qu’elle divise profondément le PS, propulsent le marcheur au-dessus des 20 % d’intentions de vote. Les dernières enquêtes d’opinion avant le premier tour soulèvent deux interrogations, qui ne sont pas sans rappeler celles qui se posent aussi pour la présidentielle de 2022. Qui d’Emmanuel Macron (24,5 %) ou de Marine Le Pen (23 %) arrivera en tête ? François Fillon et Jean-Luc Mélenchon, tous les deux à 19 %, sont-ils encore en mesure de se qualifier ?

Le score final consacre l’avance de l’ancien ministre de l’Economie : 24,01 %, suivi d’assez près par la fille de Jean-Marie Le Pen, à 21,3 %. Absents du second tour, le LR et l’insoumis se disputent la troisième place dans un mouchoir de poche : Fillon : 20,01 % - Mélenchon : 19,58 %. Les scores sont si serrés qu’au cours de la soirée électorale, la France insoumise remet en cause les premières estimations, fondées sur des sondages à la sortie des bureaux de vote. « Nous ne validons pas le score annoncé sur la base de sondages. Les résultats des grandes villes ne sont pas encore connus. J’appelle à la retenue et les commentateurs à la prudence », poste Jean-Luc Mélenchon sur sa page Facebook. « Les résultats qui nous proviennent des bureaux de vote ne confirment pas ceux des instituts […] Nous demandons que cessent les pressions qui visent à nous faire entériner un résultat de sondages », abonde son directeur de campagne Manuel Bompard lors d’un point presse. Peu avant 22 heures, le tribun, qui a repoussé sa prise de parole, temporise encore : « Le résultat annoncé depuis le début de la soirée n’est pas celui que nous espérions. En toute hypothèse, ce ne sera pas celui qui a été annoncé qui sera le bon. En effet, le ministère de l’Intérieur a réservé sa déclaration jusqu’à ce soir minuit […] Je ne saurais faire, ni dire davantage à cette heure ». Les résultats définitifs entérineront les classements du début de soirée.

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