« Pressions » sur le PNF : l’hypothèse « d’un cabinet noir » dans l’affaire Fillon relancée

« Pressions » sur le PNF : l’hypothèse « d’un cabinet noir » dans l’affaire Fillon relancée

En déclarant devant les députés avoir subi « des pressions » de la part de ses supérieurs dans l’affaire Fillon, Éliane Houlette, ancienne patronne du Parquet National Financier donne du crédit à la défense de l’ancien candidat à la présidentielle et pose une nouvelle fois la question de l’indépendance de la justice. Ce vendredi, Éliane Houlette dit « regretter » que ses propos aient été « déformés ou mal compris ».
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Passée inaperçue la semaine dernière, Cette audition, rapportée par Le Point, apporte de l’eau au moulin à la défense de François Fillon. Le 10 juin dernier, devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur « l’indépendance du pouvoir judiciaire », Éliane Houlette, ancienne procureur de la République du parquet national financier (PNF) a fait part aux députés « d’une énorme pression » qu’elle aurait subie lors de l’instruction de l’affaire Fillon en pleine campagne présidentielle 2017.

Si devant les députés, l’ancienne magistrate, affirme avoir, en toute indépendance, ouvert une enquête visant les époux Fillon après des soupçons d'emplois fictifs révélés par le Canard Enchaîné en janvier 2017, elle détaille, en revanche, le « contrôle très étroit » qu'aurait exercé le parquet général, son autorité de tutelle directe, dans la conduite des investigations.

« Le plus difficile (...) a été de gérer en même temps la pression des journalistes, mais ça on peut s'en dégager, (...) et surtout la pression du parquet général », a déclaré l'ex-procureure, partie à la retraite en juin 2019. Éliane Houlette évoque « des demandes de transmission rapide » sur les actes d'investigation ou les auditions.

« Le choix procédural que j’avais adopté ne convenait pas »

Mais surtout, elle révèle avoir été convoquée par le parquet général le 15 février 2017, au moment où le PNF menait une enquête préliminaire visant les époux Fillon. « Le choix procédural que j’avais adopté ne convenait pas » (…) On m’engageait à changer de voie procédurale, c’est-à-dire à ouvrir une information judiciaire. J’ai reçu une dépêche du procureur général en ce sens » explique-t-elle. Un choix qu’elle fera dix jours plus tard en annonçant l’ouverture d’une information judiciaire. Une procédure qui conduit à la désignation d’un juge d’instruction, susceptible de procéder à des mises en examen. François Filon sera mis en examen le 14 mars 2017 pour « détournement de fonds publics », « recel et complicité d'abus de biens sociaux » et « manquement aux obligations déclaratives à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique ».

La procureure générale de Paris réfute toute « pression de quelque nature que ce soit »

Dans un communiqué, la procureure générale de Paris, Catherine Champrenault, a, quant à elle, réfuté vendredi toute « pression de quelque nature que ce soit » dans l'affaire Fillon après des propos de l'ex-cheffe du parquet national financier et évoque « ce qui relève du fonctionnement interne et habituel du ministère public ».

Éliane Houlette évoque une « dénaturation de (ses) propos »

Par SMS adressé au quotidien Le Monde, Éliane Houlette a tenu à préciser sa pensée jeudi. « La pression du parquet général concernait uniquement un choix procédural (enquête préliminaire ou information judiciaire) et le moment de ce choix. Toute autre interprétation est une dénaturation de mes propos ».

Ce vendredi, l'ancienne cheffe du PNF tente une nouvelle fois d'éteindre l'incendie. Par une déclaration transmise à l'AFP, Éliane Houlette « tient à ce qu'il soit bien compris que M. Fillon n'a pas été mis en examen à la demande ou sous la pression du pouvoir exécutif ». « L'enregistrement de l'audition, accessible sur le site de l'Assemblée nationale, montre que les pressions qu'elle a mentionnées ne portent pas sur les faits reprochés à M. Fillon ni sur le bien-fondé des poursuites diligentées contre lui. Elles étaient d'ordre purement procédural » souligne-t-elle.

« Satisfaction » et « colère » chez François Fillon

Reste à savoir si ces précisions vont éteindre la polémique. Ce matin, contacté par Public Sénat, Me Antonin Levy, avocat de François Fillon parlait « d'une heureuse surprise » quand on l'interrogeait sur cette audition. « Elle confirme notre suspicion d’une enquête biaisée dès le début ». Les réquisitions ont été lourdes dans le procès Fillon, 5 ans d’emprisonnement dont deux ferme, 375 000 euros d’amende et 10 ans d’inéligibilité pour François Fillon (3 ans avec sursis et la même amende pour son épouse). Le jugement est attendu le 29 juin. « Je reste confiant. L’audience a montré les failles de l’enquête. Les magistrats sauront s’extraire de toute pression » estime Antonin Levy qui a plaidé la relaxe. Et quand on lui demande quel est l’état d’esprit de son client à la lumière des révélations d’Éliane Houlette, il répond « une forme de satisfaction » et « de colère ».

En effet, l’ancien candidat à l’élection présidentielle n’a cessé de mettre en cause « un cabinet noir » piloté par l’Élysée sous la présidence de François Hollande et qui serait à la source d’une cabale judiciaire contre lui. Lors de sa dernière intervention médiatique, en janvier, sur France 2, l’ancien premier ministre déclarait à ce sujet. « J'ai tourné la page. Je n'ai pas envie, ni les moyens de mener une enquête. Comment imaginer que le Parquet national financier lance une enquête sans aucune précaution, sans que le pouvoir n'en soit informé ? »

Fidèle parmi les fidèles de François Filon, le président du groupe LR du Sénat, Bruno Retailleau n’a pas souhaité réagir si ce n’est par un tweet. « Il fallait détruire le candidat Fillon et tout a été mis en œuvre pour cela ».

« Mme Houlette a manqué de courage »

neÉliane Houlette aurait mieux fait de dire tout ça au moment où François Filon faisait l’objet d’une enquête. Tout dans cette procédure était absurde et exceptionnel. Mme Houlette a manqué de courage » regrette le sénateur LR de la Meuse, Gérard Longuet.

« Cette procédure a quand même changé l’issue des élections »

« Mme Houlette n’avait jusqu’ici pas été amenée à parler sous serment, ceci explique cela » note le président du groupe centriste du Sénat, Hervé Marseille qui a fait partie de l’équipe de campagne de François Fillon. « Quand une personne qui a exercé d’aussi hautes responsabilités fait ces révélations, ça pose énormément de questions sur le fonctionnement de la justice. Sans tomber dans le complotisme, on s’interroge sur la personne qui était à l’origine de tout ça. Cette procédure a quand même changé l’issue des élections, ce n’est pas rien. On ne peut pas en rester là ». Le député LR, Éric Ciotti a déjà réclamé l’ouverture d’une enquête pour « forfaiture ».

« Il y a quelques cabinets occultes qui ont œuvré »

Autre soutien de François Fillon à la présidentielle, le sénateur LR Cédric Perrin se souvient « de la rapidité » de l’enquête. « C’est très étonnant la façon dont a été traité François Fillon. Les actes d’instruction ont été démultipliés pendant la campagne et jusqu’à l’élection et après : plus rien. J’ai soutenu François Fillon, j’ai été déçu par son attitude. Mais en revanche, je pense qu’on a voulu se faire Fillon. Il y a quelques cabinets occultes qui ont œuvré.

Le sénateur LR de Côte d’Or, Alain Houpert n’était, lui, pas un soutien de François Fillon. En pleine tourmente judiciaire, ce sarkozyste avait appelé François Fillon à se retirer, pour mettre en place « un plan B », avec une hypothétique candidature secours de François Baroin. « La droite devait gagner en 2017. Et même s’il existe la présomption d’innocence, François Fillon devait se retirer pour pouvoir se défendre, je le maintiens. Par contre s’il y a eu une obstination de la part de François Fillon à se maintenir, il y a eu aussi une autre obstination du pouvoir à vouloir le faire chuter. Et c’est très grave » souligne-t-il aujourd’hui.

Chez les opposants politiques de François Fillon, les révélations d’Éliane Houlette sont « la preuve d’intrigues politiques » au sein de la justice. Le leader de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon estime que la cheffe du parquet général Catherine Champrenault, toujours en poste, « est une composante du réseau socialiste, à l'intérieur de la justice, mis en place par Hollande, et qui est aussi celui qui s'est chargé des enquêtes dites préliminaires contre (lui) et ont décidé des perquisitions ».

« Et dire que lorsque nous dénonçons l’instrumentalisation de la justice, certains nous traitent de complotistes... La vérité éclate et ce n’est que la partie émergée de l’iceberg » a tweeté la présidente du RN, Marine Le Pen.

L’ancienne ministre socialiste, désormais sénatrice de Paris, membre du groupe CRCE (groupe communiste républicain citoyen et écologiste), Marie-Noëlle Lienemann considère que « cette précipitation du calendrier, ce feuilleton Fillon a joué un rôle dans la campagne même si c’est difficile à évaluer ». « C’est effondrant car ça entretient un doute sur l’indépendance de la Justice ». Marie-Noëlle Lienemann en vient à s’interroger sur la pertinence d’un parquet national financier. « Je pense qu’il vaudrait mieux outiller chaque parquet de compétences financières plutôt que d’avoir un seul parquet national qui évidemment est plus contrôlable puisqu’il est unique ».

 

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