Prisons indignes : la Cour de Cassation autorise les libérations de détenus

Prisons indignes : la Cour de Cassation autorise les libérations de détenus

Dans un arrêt rendu mercredi, la Cour de Cassation ouvre la voie à la libération des prisonniers s’ils sont détenus dans des conditions indignes. Dès sa prise de fonction mardi, le nouveau ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti avait mis en avant les « conditions de vie inhumaines et dégradantes » des prisonniers.
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Les alternatives à la détention vont-elles être au cœur de la mission du nouveau ministre de la Justice ? Lors de sa prise de fonction Éric Dupond-Moretti a eu un mot pour les « conditions de vie inhumaines et dégradantes » des prisonniers et a réservé son premier déplacement à la prison de Fresnes où il s'est félicité des taux d'occupation « historiquement bas » et a appelé à « poursuivre » sur cette voie. « Il y a évidemment des conditions de détention qui restent très difficiles. Tous ceux qui pensent que la prison c'est le trois-étoiles se trompent complètement, et ils devraient se taire », a déclaré l’ancien avocat pénaliste.

Mercredi, un arrêt de la Cour de Cassation va dans le sens de la feuille de route que semble s’être fixée le nouveau garde des Sceaux. La plus haute juridiction de l’ordre judiciaire donne désormais au juge la possibilité de libérer un prisonnier s’il constate que les conditions de détention de ce dernier sont indignes. « Il appartient au juge judiciaire de faire vérifier les allégations de conditions indignes de détention formulées par le détenu sous réserve que celles-ci soient crédibles, précises, actuelles et personnelles ».

Si le juge constate que les conditions de détention indignes perdurent, il devra « ordonner la mise en liberté de la personne en lui imposant, éventuellement, une assignation à résidence avec surveillance électronique ou un contrôle judiciaire ».

La Cour va même plus loin et renvoie une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) devant le Conseil Constitutionnel. Elle juge « sérieuse l’éventualité d’une inconstitutionnalité des articles du code de procédure pénale, qui ne prévoient pas que le juge judiciaire puisse mettre un terme à une atteinte à la dignité de la personne incarcérée résultant de ses conditions matérielles de détention ».

« Certaines maisons d’arrêt ne font pas honneur à notre République »

La sénatrice écologiste, Esther Benbassa, qui a dénoncé à plusieurs reprises, la vétusté des cellules, à la suite de visites dans des centres pénitentiaires, note « que les prisonniers vont devoir, quand même, prouver leurs mauvaises conditions de détention ». « Les détenus ne peuvent pas vivre dans des établissements surchargés dans des conditions d’hygiènes déplorables. Certaines maisons d’arrêt ne font pas honneur à notre République. Il faut accélérer les outils de réinsertion, les guider vers des formations. La sortie sèche est la première condition de la rechute » préconise-t-elle.

La France condamnée par la Cour européenne

Cet arrêt de la Cour de Cassation fait suite à une condamnation de la France en janvier devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). La Cour européenne avait été saisie par 32 détenus incarcérés, ou qui l'ont été, dans les prisons de Nice, Nîmes, Fresnes, Ducos (Martinique) et Nuutania (Polynésie). Relevant l'existence d'un « problème structurel », la CEDH avait recommandé aux autorités françaises « d'envisager l'adoption de mesures générales » pour mettre fin au surpeuplement et améliorer les conditions de détention.

Le taux d’occupation carcérale sous la barre des 100%

Lors de la crise sanitaire, l’ancienne garde des Sceaux avait procédé à la libération anticipée de 5.300 détenus en fin de peine. Avec la réduction de la délinquance pendant le confinement, la crise du coronavirus a entraîné une diminution de 13 000 détenus, faisant passer le taux d’occupation carcérale sous la barre des 100%. Mardi, Nicole Belloubet a invité son successeur place Vendôme à se saisir de cette « chance historique ».

Un sujet qui provoque la colère du patron de la droite sénatoriale, Bruno Retailleau. « Pendant le confinement, la ministre de la Justice a libéré 14 000 détenus (…) Mme Belloubet, c’est la continuation de Mme Taubira. Mme Taubira en avait rêvé, Mme Belloubet le fait » fustigeait-il le 17 juin dernier sur Public Sénat. Mercredi, invité de l’émission « Bonjour chez vous », le sénateur de Vendée s’interrogeait sur les intentions d’Éric Dupond-Moretti. « Je lui demande solennellement de nous dire si oui ou non, il veut prolonger la politique de Mme Taubira ? Parce que la politique de Mme Belloubet était celle de Mme Taubira. Une conception où on n’envoie surtout pas les gens en prison » a-t-il estimé.

Le Sénat avait voté la création de 15 000 places de prison

« La situation sanitaire a entraîné la libération anticipée de détenus en fin de peine. Ce qui est ennuyeux c’est surtout qu’on n’a pas organisé leur suivi » tempère François-Noël Buffet, vice-président LR de la commission des lois du Sénat, et rapporteur du projet de loi de réforme de la justice. Lors de l’examen du texte en octobre 2018, la majorité sénatoriale de la droite et du centre avec les voix du groupe LREM, avait adopté une version remaniée. Prenant aux mots l’une des promesses du candidat Macron, le Sénat avait voté la création de 15 000 places de prison sur le quinquennat, là où Nicole Belloubet n’en avait prévu que 7 000 d’ici 2022, les 8 000 autres restants en cours de construction. « Les conditions de détentions de certaines maisons d’arrêt, surtout pour les détentions préventives, ne sont pas acceptables. Le problème n’est pas de remettre les détenus en liberté mais de créer de nouveaux lieux de privation de liberté adaptés aux infractions et aux peines prononcées » demande François-Noël Buffet qui ajoute que la construction de nouvelles places de prisons permettrait de répondre au principe de l’encellulement individuel inscrit dans la loi.

La commission des lois du Sénat a prévu d’auditionner le nouveau garde des Sceaux la semaine du 20 juillet.

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