Projet de loi sur le séparatisme : imbroglio entre LR et le PS au Sénat

Projet de loi sur le séparatisme : imbroglio entre LR et le PS au Sénat

Après avoir accepté que la sénatrice PS Marie-Pierre de la Gontrie soit corapporteure du texte sur le séparatisme au Sénat, le président LR de la commission des lois, François-Noël Buffet, a dû faire machine arrière une semaine après. Le patron des sénateurs LR, Bruno Retailleau, a fermé la porte.
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Drôle d’imbroglio au Sénat. La désignation des rapporteurs sur le projet de loi sur le séparatisme a été l’objet de discrètes tensions à la Haute assemblée. Les socialistes ont cru un temps pouvoir avoir un corapporteur sur ce texte, avant que les LR ne préfèrent garder la main. Explications.

La semaine dernière, la nomination des rapporteurs, en vue de l’examen du texte en mars, est à l’ordre du jour de la réunion de la commission des lois. François-Noël Buffet, président LR de la commission, qui a succédé à Philippe Bas, propose comme rapporteur, lui-même, la sénatrice LR Jacqueline Eustache-Brinio, défenseure d’une ligne de fermeté et proche du président du groupe LR, Bruno Retailleau, ainsi que la sénatrice UDI du groupe Union centriste, Dominique Vérien.

Coup de fil de Bruno Retailleau à Patrick Kanner

Les socialistes de la commission – Jean-Pierre Sueur, Marie-Pierre de la Gontrie ou le patron du groupe PS, Patrick Kanner – s’étonnent alors, qu’aucun membre de l’opposition ne soit rapporteur sur un texte aussi symbolique. Les socialistes avaient par exemple pu obtenir un corapporteur sur la bioéthique. François-Noël Buffet répond du tac au tac et accepte la proposition. Il propose à Marie-Pierre de la Gontrie d’être aussi corapporteure. « Sur le principe, il n’était pas hostile à l’ouverture », confie un sénateur LR, selon lequel rien n’avait cependant encore été officiellement décidé. Les socialistes, en réalité, n’en attendaient pas tant. Ils doivent se consulter. Le président de la commission leur demande une réponse avant la fin de la réunion. Après quelques échanges sur leur boucle WhatsApp, c’est d’accord. La sénatrice PS sera donc corapporteure. Jusqu’ici, tout va bien.

Rapidement, les choses se compliquent. Le sénateur LR du Rhône a, en réalité, accepté un peu trop vite de partager le texte. Car Bruno Retailleau ne voit pas les choses de la même manière. Le patron des sénateurs LR n’est pas vraiment content. François-Noël Buffet s’en ouvre d’abord à Patrick Kanner discrètement, en mots choisis et diplomatiques. Puis le week-end dernier, les choses se règlent entre présidents de groupe. Bruno Retailleau appelle Patrick Kanner pour lui dire que ce ne sera pas possible. Ce texte clivant est trop important aux yeux du sénateur de Vendée, qui affiche ses ambitions pour 2022. Les LR se séparent donc du PS pour rapporter le texte. Plutôt ironique, quand il s’agit de parler de séparatisme.

« Pas de consensus politique sur l’ouverture à un rapporteur PS »

Ce mardi matin a lieu la réunion de la commission des lois. A l’ordre du jour… de nouveau la désignation des rapporteurs. Première surprise. Mais à droite, on fait valoir que rien n’avait encore officiellement été acté. Deuxième surprise : François-Noël Buffet se retire lui-même du poste de rapporteur. Les rapporteurs seront Jacqueline Eustache-Brinio et Dominique Vérien. « Et point barre », résume un sénateur. Le président de commission confirme donc ainsi que les socialistes n’auront pas de rapporteur. « La semaine a permis une réflexion pour tout le monde. Et il n’y avait pas de consensus politique sur l’ouverture à un rapporteur PS », dit pudiquement un membre du groupe LR. La désignation des rapporteurs sur le texte bioéthique, où le PS avait dû « pousser un peu les murs », pour en obtenir finalement un (lire notre article), a peut-être aussi laissé des traces au groupe LR.

A droite, on temporise en rappelant qu’« il y a au Sénat un fait majoritaire, et sur un texte important comme celui-là, la majorité n’a pas la même position que le PS. Il est tout à fait naturel qu’il y ait des rapporteurs qui fassent partie de la majorité sénatoriale ». Autrement dit, rien de plus normal que la droite garde la main sur un tel sujet.

Les sénateurs PS claquent la porte de la commission

Vu les conditions, la gauche ne voit pas les choses ainsi. En signe de protestation, les sénateurs PS vont au clash et claquent la porte de la commission. Ils quittent la réunion. Avant cela, Patrick Kanner intervient solennellement. Il rappelle à François-Noël Buffet qu’il s’était « engagé » à proposer un poste de rapporteur à l’opposition socialiste, « une décision à mettre à votre honneur » et « conforme à la tradition du Sénat », peut-on lire dans l’intervention du président de groupe. « Un texte d’une si grande importance, méritait un regard qui ne concède rien aux dogmes idéologiques », continue Patrick Kanner, avant d’ajouter :

Il semblerait, Monsieur le président, que vous cédiez aux pressions de votre groupe politique. Nous craignons que le texte ressemble à s’y méprendre à un tract de campagne.

A la sortie, Marie-Pierre de la Gontrie, qui ne sera donc pas rapporteure, publie l’information sur Twitter. Elle ne cache pas sa colère. « Coup de théâtre (ou de Jarnac), suis virée du poste de corapporteure de la commission des lois à la demande de Bruno Retailleau, président du groupe LR ! Désormais les décisions de la commission sont sous tutelle. C’est grave », attaque la sénatrice de Paris.

« Pour la droite au Sénat, le séparatisme, c’est le sectarisme »

Contactée par publicsenat.fr, Marie-Pierre de la Gontrie n’en démord pas. « Pour la droite au Sénat, le séparatisme, c’est le sectarisme », lance-t-elle. « Et ça affaiblit François-Noël Buffet. C’est toujours mauvais d’affaiblir un président de commission, en l’occurrence le président de la commission des lois », estime la sénatrice PS. Le sénateur du Rhône, qui a dû visiblement faire machine arrière, risque de paraître, aux yeux de certains, comme « désavoué ».

Au passage, le compte rendu de la réunion de la semaine dernière – celle où François-Noël Buffet a donné un accord verbal aux socialistes – ne fait aucune mention des échanges sur ce point. Comme s’ils n’avaient jamais existé… « Ça pose la question de la fiabilité des comptes rendus », s’étonne un sénateur.

Pour Bruno Retailleau, c’est un marqueur politique

Pour Bruno Retailleau, cette histoire très interne au Sénat pose aussi une autre question : ses ambitions présidentielles ont-elles joué un rôle dans sa décision ? En ne laissant par le PS corapporter le texte, le dirigeant LR pourra imprimer au mieux le projet de loi de son empreinte. Or le séparatisme, c’est l’un des sujets de prédilection de Bruno Retailleau, l’un de ceux sur lequel il veut façonner sa ligne politique pour creuser son sillon dans l’opinion. Le sujet est important pour lui. Il veut en faire en marqueur politique.

Ces tensions montrent aussi que la collégialité, propre au Sénat sur certains sujets, sera impossible ici. Le gagnant en sera le traditionnel clivage droite/gauche, qui devrait marquer les débats à la Haute assemblée. Et après ce « bazar » en commission, un sénateur prédit « des débats exotiques… »

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