Quel bilan tirer de la présidence française de l’Union européenne ?

Quel bilan tirer de la présidence française de l’Union européenne ?

Le 30 juin, la France quittera la présidence du Conseil de l’Union européenne, au terme de six mois de travail. Une période marquée par la guerre en Ukraine, ce qui a permis à Emmanuel Macron de prendre le leadership de la réponse européenne mais aussi de faire avancer des dossiers particulièrement sensibles, notamment sur les questions de défense et de souveraineté.
Romain David

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La présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE) arrive à son terme. Le 30 juin, la France laissera la place à la République tchèque, comme l’exige le principe de la présidence tournante. En décembre dernier, Emmanuel Macron avait présenté trois priorités : renforcer la souveraineté européenne, définir un nouveau modèle de croissance européen et, enfin, construire une Europe plus humaine. Pour nombre de commentateurs, le programme semblait particulièrement ambitieux au regard de la brièveté de l’exercice - 6 mois -, et surtout du calendrier électoral français. Finalement, c’est le retour de la guerre en Europe, avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie, qui est venu bouleverser cette présidence, éclipsant certains travaux législatifs, mais servant aussi d’accélérateur à d’autres chantiers.

« L’imprévu a joué un rôle capital dans cette présidence, et la France a dû garantir la cohésion de l’UE face à l’impensable », relève auprès de Public Sénat Guillaume Klossa, fondateur du think tank Europanova, ancien conseiller spécial de la présidence de la Commission européenne et auteur de Fierté européenne – Manifeste pour une civilisation d’avenir, aux éditions Télémaque. Le dossier ukrainien a poussé l’UE à prendre une série de décisions inédites en un laps de temps extrêmement court : six paquets successifs de sanctions contre la Russie, la mise en place d’un soutien économique, militaire et humanitaire à l’Ukraine, des mesures d’accueil pour des millions de réfugiés et enfin un horizon politique pour Kiev, avec un possible statut de candidat à l’adhésion à l’UE, largement soutenu par la France. « Il faut mettre au crédit d’Emmanuel Macron cet effort constant pour faire en sorte que la réponse à l’agression russe soit coordonnée, et que l’UE s’exprime d’une seule voix. C’est assez remarquable », salue le politologue Olivier Costa, directeur de recherche au CNRS et au CEVIPOF, spécialiste des institutions européennes.

Un pas de géant sur la défense européenne

Les enjeux de souveraineté ont été mis en avant dans l’agenda politique français par la pandémie de covid-19, et les débats sur l’approvisionnement en principes actifs, en masques de protection ou sur la fabrication des vaccins. Mais la guerre en Ukraine a considérablement élargi ce champ stratégique. « Elle a mis en lumière les relations d’interdépendances énergétiques, alimentaires et politiques entre l’UE et d’autres Etats, ouvrant la voie à une refonte des politiques européennes en la matière », note Guillaume Klossa. Le sommet de Versailles des 10 et 11 mars, consacré à la gestion de crise, a acté cette nécessité d’autonomie stratégique en termes d’énergie, de matières premières, de santé, de numérique ou encore d’alimentation.

Une volonté qui s’est en partie traduite par l’adoption, le 25 mars, du « livre blanc » sur les orientations de sécurité et de défense de l’UE jusqu’en 2030. Ce document marque un tournant majeur dans la construction européenne. Après des décennies de débats en la matière, il ancre la nécessité d’une politique commune de défense face aux nouvelles menaces et donc le besoin d’un réinvestissement massif dans le domaine militaire. Le conflit ukrainien aura permis une approche par le haut, fondée sur des objectifs réalistes. « D’une certaine manière, la France a eu la chance de pouvoir avancer, grâce au contexte géopolitique, sur les dossiers qui lui tenaient à cœur. Paradoxalement, c’est Vladimir Poutine qui a fait plus pour l’Europe qu’Emmanuel Macron », ironise Olivier Costa.

En revanche, la crise a également renforcé la position stratégique de l’OTAN en Europe, avec les demandes d’adhésion de la Finlande et de la Suède face à la menace russe. De quoi mettre en porte à faux la France, qui s’était montrée particulièrement critique sur l’utilité de l’alliance transatlantique, « en état de mort cérébrale » selon des déclarations du chef de l’Etat à la presse britannique en 2019.

L’indépendance énergétique, un nouveau défi

Dans le domaine énergétique, si Paris s’est montré ferme sur la nécessité de rompre avec les énergies fossiles exportées par Moscou, notamment face à une Allemagne particulièrement dépendante des approvisionnements en gaz russe, c’est la Commission européenne qui a pris l’initiative. Elle a présenté en mai REPowerEU, un programme d’indépendance passant par la diversification des partenariats et la construction de nouvelles infrastructures. « Chacun est dans son rôle, il ne revient pas au Conseil de l’UE de prendre les décisions opérationnelles et de lancer des textes », rappelle Olivier Costa.

Une législation inédite sur le numérique

Sur le plan numérique, le Parlement et la Commission européenne ont accouché sous présidence française d’un accord sur deux textes majeurs : le Digital Market Act (DMA) et le Digital Services Act (DSA), qui visent à mieux réguler les activités économiques des géants du numérique et à lutter contre la diffusion de contenus illicites. Ils font écho à l’initiative française de taxation des GAFA. « Le fait qu’il y ait eu un accord politique sur ces deux textes est une vraie victoire. Ils étaient nombreux à prédire un blocage », indique Guillaume Klossa. « En revanche, leur mise en œuvre posera un autre défi. Jamais une réglementation du numérique à l’échelle d’un continent n’avait vu le jour. Il s’agit presque d’une expérimentation dont il faudra certainement tirer les enseignements avant de franchir d’autres étapes ».

La taxe carbone, le salaire minimum, égalité femme-homme… ces dossiers que la France a contribué à faire aboutir

Le projet d’une « taxe carbone » aux frontières de l’Union européenne a été adopté le 22 juin. Il s’agit d’imposer un surcoût aux importations de produits qui ne respectent pas les normes auxquelles sont soumises les entreprises européennes en matière d’émission de gaz à effet de serre. Mais ce texte a bien failli ne jamais voir le jour, rejeté une première fois au début du mois, avant qu’une retouche du calendrier initialement prévu ne permette de dégager un consensus. En cause : l’extinction des « droits à polluer » ou « quotas gratuits » accordés aux industriels européens, afin d’éviter des délocalisations. Ils disparaîtront progressivement à partir de 2027, au lieu de 2025 dans la mouture initiale. « Cette mesure apportera de nouvelles recettes à l’UE, tout en préservant les industries européennes de la concurrence, mais il ne s’agit pas d’une ressource très importante. Face à la crise climatique, ce texte a surtout une dimension politique et symbolique », nuance Guillaume Klossa.

« La France a réussi durant cette présidence à cartographier une série de dossiers mûrs, qui étaient prêts à aboutir : la taxe carbone, la directive sur un salaire minimum européen ou encore les quotas de femmes dans les conseils d’administration… Les travaux étaient déjà en cours, mais la France a accompagné leur aboutissement, ce qui nécessite un vrai travail de négociation. Cela démontre la puissance de la force de frappe française », salut Olivier Costa.

Renforcer le contrôle des frontières européennes et unifier les politiques migratoires

Durant sa conférence de présentation de la présidence française, le 9 décembre, Emmanuel Macron avait évoqué une réforme de l’espace Schengen, passant par l’instauration d’un pilotage politique transeuropéen et un mécanisme de soutien d’urgence aux frontières en cas de crise. L’objectif : poser les bases d’une politique migratoire européenne, un sujet devenu source de fracture entre les Etats d’Europe de l’Est et l’Ouest du continent. Là encore, la guerre en Ukraine est venue chambouler la donne avec plus de 4 millions de réfugiés ukrainiens, accueillis pour plus de la moitié en Pologne. « Cette situation a permis de reposer le débat de manière plus large. On ne peut plus nier le fait qu’il faille, dans des situations d’extrême urgence, accueillir des personnes de manière massive. Jusqu’à présent, cette idée était pratiquement taboue », rappelle le fondateur d’Europanova.

Emmanuel Macron a proposé en février la mise en place d’un « Conseil de Schengen », dont les orientations générales ont été fixées par le Conseil de l’UE au début du mois de juin. Parmi les mesures préconisées : une limitation des points de passage et le renforcement de la surveillance pour lutter contre l’instrumentalisation des flux migratoires par des pays tiers, mais aussi l’instauration d’un cadre juridique mieux adapté aux situations de crise sanitaire. « Les plus conservateurs sont assez déçus. Ils estiment qu’il n’est pas allé assez loin, qu’il n’a pas tenu ses promesses. La démission en avril du président de Frontex est venue faire tache », pointe Olivier Costa.

Un premier pas vers la refonte des traités

Là encore, il s’agissait de tirer les enseignements de la crise sanitaire : le déploiement de mesures d’urgence pour permettre aux économies de résister à la pandémie a fait voler en éclat le cadre budgétaire de l’UE, notamment la sacro-sainte règle des 3 %. « Il nous faut sortir de nos vieux tabous et de nos vieux fétiches », avait estimé Emmanuel Macron en décembre dernier. Une fois de plus, c’est l’instabilité provoquée par la guerre en Ukraine et l’explosion de l’inflation qui ont permis de laisser les critères budgétaires en suspens.

Lors de son discours devant le Parlement européen, le 9 mai dernier, le chef de l’Etat a proposé « la convocation d’une convention de révision des traités ». Il a plaidé pour que l’avis des citoyens soit davantage pris en compte, manière astucieuse de contourner les réticences de certains pays membres, en Europe de l’Est et en Europe du Nord notamment, à toucher au fonctionnement actuel de l’Union. Quelques semaines plus tard, le Parlement lui a emboîté le pas en adoptant à une très large majorité une résolution listant 6 points de révision. Mais cette refonte risque de rester lettre morte. La République tchèque, qui doit prendre la suite de la France à la tête du Conseil de l’UE, y est plutôt opposée. « Changer les traités est un chantier extrêmement compliqué. Il faut bien que quelqu’un s’y colle. La PFUE, de ce point de vue, a fait tout ce qu’elle pouvait faire », conclut Olivier Costa.

>> Retrouvez notre émission "Ici l'Europe" consacrée à la réforme des traités européens

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