Réforme constitutionnelle (1/2) : récit d’un poker menteur qui a opposé Macron à Larcher

Réforme constitutionnelle (1/2) : récit d’un poker menteur qui a opposé Macron à Larcher

Pendant plus de deux ans, la réforme de la Constitution a concentré les échanges entre l’Elysée et le Sénat, indispensable pour obtenir une majorité des 3/5 au congrès. Une réforme qui est vite devenue un long chemin de croix pour le gouvernement. Récit de ces longues discussions, pleines de rebondissements.
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La réforme constitutionnelle, c’est l’histoire d’un rendez-vous manqué. Ou plutôt la chronique d’un échec annoncé, un projet qui ne pouvait que mal tourner. Depuis le début du quinquennat d’Emmanuel Macron, le sujet a occupé de long mois ministres, conseillers et sénateurs, pour finir dans une voie de garage. Un enterrement qui n’a jamais officiellement dit son nom. Mais ce projet de réforme des institutions a-t-il jamais eu la moindre chance d'aboutir ?

Les sénateurs en position de force

La Constitution, c’est du sérieux. Les Présidents adorent imaginer repenser le texte fondateur de la Ve République. Quoi de mieux, pour laisser sa trace dans l’histoire, que de graver son empreinte dans le marbre de la loi fondamentale ? Mais à ce petit jeu, attention à ne pas se casser les dents. Ce marbre est du genre solide. Nicolas Sarkozy y est parvenu, de peu. François Hollande a échoué, après les attentats de 2015. Même sort pour Emmanuel Macron. Car pour réviser la Constitution de 1958, il faut être deux. Plus exactement, il faut l’accord du Sénat.

La Haute assemblée, qui n’a jamais le dernier mot face aux députés, jouit ici d’une forme de droit de blocage. La Constitution – comme les lois relatives au Sénat – ne peut être modifiée sans l’aval des sénateurs. Il faut ensuite la majorité des 3/5 du Parlement réuni en Congrès à Versailles. Même avec sa majorité pléthorique à l’Assemblée, Emmanuel Macron ne peut se passer des voix des sénateurs. Une position de force que les élus du palais de Marie de Médicis, à majorité de droite et du centre, ne se privent pas d’utiliser.

En 2017, Macron imagine adopter la réforme en un an…

On rembobine. 7 mai 2017. Emmanuel Macron est élu président de la République. L’affaire Fillon a marqué la campagne. François Bayrou joue le rôle de « Monsieur Propre » au gouvernement. Nommé garde des Sceaux, il présente le 1er juin une grande réforme de moralisation de la vie publique, qui inclut une réforme de la Constitution. On parle de suppression de la Cour de justice de la République et du non-cumul des mandats dans le temps. Trois semaines après, cité dans l’affaires des assistants parlementaires du Modem, il est débarqué du gouvernement…

Emmanuel Macron n’enterre pas sa réforme, bien au contraire. Le 3 juillet, il convoque le Congrès et centre son discours sur les institutions (voir ci-dessous). Au programme : la baisse d’un tiers du nombre de parlementaires et une dose de proportionnelle, des promesses de campagne. Il imagine alors faire voter son texte d’ici un an. Et il n’exclut pas de recourir au référendum pour adopter sa réforme.

REPLAY. Discours intégral d'Emmanuel Macron devant le Congrès à Versailles
28:51

Mais, pour les sénateurs, il ne faut toucher à la Constitution que d’une main tremblante. Et si possible, pas celle d’Emmanuel Macron. Car le président du Sénat, Gérard Larcher, et les sénateurs, vont trouver beaucoup à redire à la réforme.

Les sénatoriales de septembre 2017 viennent compliquer le jeu d’Emmanuel Macron. Le scrutin est mauvais pour La République En Marche et l’espoir de réunir la majorité des 3/5 au Congrès s’éloigne, plaçant davantage encore les sénateurs en position de force.

Gérard Larcher se montre d’abord « ouvert »

Pourtant, au départ, en octobre 2017, Gérard Larcher se montre « ouvert ». Ses échanges avec Emmanuel Macron sont alors « positifs ». Il espère même aller « au bout ». En bon chasseur, l’élu des Yvelines sait qu’il ne faut pas effrayer tout de suite sa proie. Et puis le candidat Fillon défendait aussi une baisse du nombre de parlementaires.

Fin décembre, Emmanuel Macron, Gérard Larcher et François de Rugy, alors président de l’Assemblée, se rencontrent à l’Elysée. L’occasion de prendre le pouls, à quatre jours de Noël. Très vite, Gérard Larcher rappelle ses « lignes rouges ».

Députés et sénateurs ont été chargés de plancher à des idées. Le Sénat accouche de 40 propositions, issues d’un groupe de travail rassemblant toutes les sensibilités politiques de la Haute assemblée. Quand il s’agit de défendre la maison, le Sénat sait faire corps et n’oublie pas son rôle institutionnel vis-à-vis des collectivités. Un enjeu essentiel se dessine : la bonne représentation des territoires. Gérard Larcher montre ses muscles, sans fermer la porte à Emmanuel Macron. Regardez :

« Je suis toujours prudent quand il s’agit de toucher à la Constitution », prévient Gérard Larcher
02:27

Les sénateurs fixent leurs lignes rouges

Parmi les lignes rouges des sénateurs, le non-cumul des mandats dans le temps, limité à trois mandats de suite, ne passe pas dans un premier temps. Un compromis arrivera plus tard. Autre grief : le gouvernement veut réduire le droit d’amendement en fonction de la taille des groupes. Le Parlement doit travailler plus vite. Bronca à l’Assemblée comme au Sénat.

Le gouvernement « veut neutraliser le Parlement » s’inquiète le sénateur LR Roger Karoutchi. « Leur idée, c’est d'avoir César qui dirige seul ce pays » raille Olivier Faure, patron du PS. Patrick Kanner, à la tête des sénateurs socialistes, n’exclut pas « un leurre pour le retirer ensuite ». Une monnaie d’échange en somme. Ce sera le cas également, plus tard, avec l’idée d’une élection des sénateurs par région et à la proportionnelle intégrale.

Au sommet de l’Etat, on se pose la question : comment contourner le Sénat, qui bloque ? Le gouvernement pourrait recourir au référendum pour adopter la baisse du nombre de parlementaires et le non-cumul des mandats dans le temps. Mais les juristes ne sont pas d’accord entre eux…

En passant de 348 sénateurs à 244, soit une baisse de 30%, la réforme déplumera certains territoires. D’après les calculs de publicsenat.fr, la moitié des départements se retrouverait avec un seul sénateur, contre seulement 7 aujourd’hui.

Au printemps 2018, la réforme se précise. Trois textes sont présentés en Conseil des ministres : un projet de loi constitutionnel, un organique et un ordinaire. Une triplette qui deviendra un enjeu. Pour les sénateurs, la réforme est un tout indissociable. Il faut tout examiner en bloc, ou rien. Nouvelle ligne rouge. Pire : le gouvernement veut un renouvellement intégral du Sénat en 2021, plutôt que par moitié. Les sénateurs font front et dénoncent un « bidouillage ».

La réforme coupée en plein élan par l’affaire Benalla

Le rapport de force commence. Gérard Larcher ne lâche rien, le gouvernement non plus. Christophe Castaner, alors chargé des Relations avec le Parlement, défend un Parlement plus « efficace » (voir la vidéo ci-dessous).

La réforme des institutions doit permettre au Parlement d’être plus « efficace » selon Castaner
02:42


Le temps défile. Juin 2018, au début de l’examen du texte par les députés, Gérard Larcher juge qu’« en l’état, la réforme n’est pas acceptable ». Philippe Bas souligne avec franchise que c’est l’Elysée qui a le plus à perdre :

Nous pouvons provoquer un échec. Ce sera un échec du Président. Pas un échec du Sénat, même si on essaie de nous le mettre sur le dos. (Philippe Bas)

L’Elysée n’est pas seul maître des horloges et les événements vont le lui rappeler. Le cours du quinquennat bascule brutalement un 1er mai 2018, place de la Contrescarpe, à Paris. C’est l’affaire Benalla. A l’Assemblée, qui a commencé l’examen du texte, l’opposition fait feu de tout bois. Les débats s’enlisent. Le gouvernement n’a pas d’autre choix que de suspendre l’examen. Trou d’air. Coupée en plein élan, la réforme constitutionnelle devient le dommage collatéral de l’affaire. La commission d’enquête que le Sénat va mettre en place sur l’affaire va définitivement dégrader les relations avec l’Elysée. Ce qui n’aidera pas une réforme déjà mal engagée.

 

[Suite et fin demain des aventures de la réforme des institutions : comment la réforme constitutionnelle, si proche d’une conclusion, va pourtant aboutir à un échec]

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