Réforme des retraites : « Ça ne peut réussir que s’il n’y a pas de perdants »

Réforme des retraites : « Ça ne peut réussir que s’il n’y a pas de perdants »

La concertation sur la réforme des retraites s’achève bientôt. FO a quitté les discussions. Le Medef veut repousser l’âge de départ à 64 ans, alors que le gouvernement a entretenu le flou sur le sujet. Le Sénat plaide aussi pour un système par points, mais « ça coûtera un peu d’argent » prévient le sénateur Jean-Marie Vanlerenberghe.
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La fin de la concertation sur la réforme des retraites connaît des turbulences. Depuis septembre 2017, le gouvernement a confié à Jean-Paul Delevoye, en tant que Haut commissaire, la délicate mission de discuter avec les partenaires sociaux de la réforme des retraites. Emmanuel Macron a pour objectif d’unifier tous les systèmes de retraite, ce qui signifie la fin des régimes spéciaux, sujet potentiellement explosif. Il entend conserver le principe d’un régime par répartition, tout le réformant avec un système par points où « 1 euro cotisé donne les mêmes droits ». C’est donc une réforme systémique, à la différence d’une réforme paramétrique, comme toucher à l’âge de départ légal à la retraite. Initialement attendu pour 2018, le projet de réforme devrait être présenté d’ici la fin de l’année 2019.

Flou de l’exécutif

Mardi, Force ouvrière a décidé de se retirer du processus de concertation qui prend fin au mois de mai. Le syndicat, opposé depuis le début à la retraite par points, ne veut pas « apparaître comme cautionnant une réforme décidée sans réelle prise en considération ».

Ces dernières semaines, le flou de l’exécutif sur la question de l’âge de départ légal n’a rien arrangé. La ministre de la Santé, Agnès Buzyn, avait dit ne « pas » être « hostile » à l'idée de retarder l'âge de départ en retraite, n'excluant pas de « proposer un allongement de la durée de travail ». La ministre était vite épaulée par son collègue du Budget, Gérald Darmanin. Emmanuel Macron avait pourtant fait du maintien de l’âge légal de départ à la retraite, fixé à 62 ans, une promesse de campagne.

Jean-Paul Delevoye avait peu apprécié. Au point qu’il aurait menacé de présenter sa démission après des mois de travail… Le premier ministre avait dû siffler la fin de la partie, assurant que le gouvernement ne toucherait pas à l’âge légal, tout en affirmant que dans un contexte de vieillissement de la population et « d'un besoin de financement considérable, se poser la question de savoir s'il faut travailler plus longtemps (…) est une question parfaitement valide »…

« Changer l’âge légal, c’est dire la vérité aux Français » pour le Medef

C’est dans ce contexte que ce jeudi matin, le Medef a tenu une conférence de presse pour rappeler sa position. Face à l’augmentation de l’espérance de vie, « aujourd’hui, pour équilibrer le régime des retraites et garantir aux jeunes actifs d’avoir une retraite décente, comme leurs aînés, il faut que le départ effectif en régime normal soit de 64 ans » d’ici 2028, soutient Geoffroy Roux de Bézieux, président du Medef. « Evidemment, il y aura des exceptions, notamment pour ceux qui ont des carrières longues ».

Il ajoute : « Après, il y a deux manières de le faire. Soit on change l’âge légal, ce qui est dire la vérité aux Français. Soit on met une décote sur les points ou la valeur du point mais là, c’est finalement faire travailler les Français plus longtemps, mais sans leur dire ». Regardez (images de Jonathan Dupriez et Flora Sauvage) :

Le Medef veut repousser l’âge de départ à 64 ans
02:07

« Ça coûtera un peu d’argent, il ne faut pas se tromper »

Une manière de présenter les choses que n’apprécie pas Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales du Sénat. Le sénateur Modem du Pas-de-Calais n’apprécie pas plus les sorties intempestives des ministres ou du premier ministre. « C’était mal venu. Que ce soit les propos du premier ministre ou des ministres, c’est inconvenant. C’est mettre en difficulté le Haut commissaire dans ses négociations » dit-il. Il ajoute :

« C’est toujours la peur de ces petits Messieurs de Bercy de ne pas voir le système des retraites à l’équilibre. Tout dépend de ce qu’on veut ».

Pour Jean-Marie Vanlerenberghe, « cette réforme ne peut réussir que s’il n’y a que des gagnants. Ou tout au moins, pas de perdants. Et ça coûtera un peu d’argent, il ne faut pas se tromper ». Il rappelle au passage qu’« il y a plus de 100 milliards d’euros de réserves dans différentes caisses de retraite. Agirc et Arrco, gérés par points et par les partenaires sociaux, ont des réserves ».

« Le Sénat s’est prononcé depuis 10 ans pour un système par points. La question, c’est à quel rythme »

Jean-Marie Vanlerenberghe explique que « dans le système actuel, l’équilibre n’est pas assuré. Il faudrait passer probablement à un départ à 63 ans (ce qu’a fait la majorité sénatoriale en novembre dernier, avant que les députés ne reviennent sur ce vote, ndlr). Mais dans un système par point, on est forcément dans un cas différent. On a un ajustement qui peut se faire. Ce n’est plus l’âge qui est déterminant, même s’il faut un âge plancher, qui est actuellement de 62 ans ». Cet ajustement se fait selon « chacun ». « Le problème c’est de savoir quel niveau de retraite on obtient à 62 ans. Et après, c’est la question du bonus pour ceux qui ont travaillé plus longtemps. C’est ce que propose Jean-Paul Delevoye. Ou pourquoi pas un bonus pour la pénibilité ».

N’y a-t-il pas ici une forme d’hypocrisie, car le système pourrait pousser les Français à dépasser les 62 ans ? « Mais c’est déjà la réalité aujourd’hui » répond le rapporteur général de la Sécu au Sénat. « Qui peut prétendre aujourd’hui partir à 62 ans avec une retraite à taux plein ? Celui qui a commencé à 17 ans, ou ceux dans un régime spécial ou qui ont un bonus pour pénibilité. Mais aujourd’hui, on commence à travailler en moyenne à 22 ans… »

Reste que les rapprochements entre tous les régimes ne seront pas évidents pour arriver à un système par points. « Sur le principe global, le Sénat s’est toujours prononcé depuis 10 ans pour aboutir à un système par points. La question, c’est à quel rythme. Ce que nous disons, c’est qu’il faut procéder à une phase de transition pour arriver à un régime général » explique Jean-Marie Vanlerenberghe. Manière de faire accepter le changement, pense le sénateur Modem.

« Tant qu’on ne connaît pas la valeur du point, personne ne peut dire que cette réforme sera plus juste »

Du côté du PS, dont les députés et sénateurs ont planché la semaine dernière au Sénat sur la question de la réforme, on attend d’en savoir plus pour se prononcer. « Au gouvernement, il y a beaucoup de flottement et des avis très différents. Que va-t-on nous proposer ? On n’en sait rien » lance Monique Lubin, sénatrice PS qui suit le sujet, « tant qu’on ne connaît pas la valeur du point et la gouvernance de ce nouveau système, personne ne peut dire que cette réforme sera plus juste ». Face à un « régime général peu lisible », la sénatrice PS reconnaît qu’« un système par point est plus lisible ». Mais « permettra-t-il plus d’égalité ? Franchement, bien malin celui qui peut le dire aujourd’hui… » Sa crainte :

« Si ça se fait à moyens constants et qu’on a plus de retraités d’ici 15 ans, ce qui sera le cas visiblement, il faudra baisser la valeur du point. Donc les gens partiront de plus en plus tard pour avoir une retraite décente ».

Monique Lubin insiste sur l’importance d’avoir des « mécanismes de solidarité pour les périodes de chômage, maternité, maladie ou les carrières longues. Qu’est-ce qu’il en sera ? Et qu’adviendra-t-il pour les pensions de réversion ? » Pour la sénatrice PS, un « état des lieux clair des régimes spéciaux » ne serait pas non plus de trop, face à « un certain nombre de légendes qui courent sur ces régimes ». « Radicalement opposée » au recul de l’âge légal, elle souligne qu’« à peine 50% des personnes en âge de prendre leur retraite y arrivent en étant au travail. Soit ils sont demandeurs d’emplois, soit à cause de la maladie. Donc je ne comprends pas très bien cet acharnement du Medef et de certains venus de la droite au gouvernement pour dire qu’il faut partir plus tard ». Pour Monique Lubin, il faut « arrêter de ne considérer que les données mathématiques, même si c’est important. On parle de gens quand même ».

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