Paris : Demonstration against pension reform and 49.3

Réforme des retraites : les 8 dates clés de trois mois de crise sociale et politique

Trois mois après l’annonce officielle du projet de réforme des retraites par Élisabeth Borne, une douzième journée de mobilisation contre le texte a eu lieu le 13 avril partout en France. Les manifestants ont défilé à la veille de la décision du Conseil constitutionnel qui pourrait censurer la réforme. Trois mois après l’annonce du projet de loi, retour sur les dates clefs de la réforme des retraites.
Stephane Duguet

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Sur la réforme des retraites, le gouvernement souhaitait aller vite. Pourtant, bien avant les douze journées de mobilisation contre le texte et l’attente de la décision du Conseil constitutionnel ce vendredi 14 avril, il s’était déjà enlisé. Premier couac : le décalage de la présentation de la réforme. Initialement prévue en décembre, le président de la République Emmanuel Macron, poussé par son allié du Modem François Bayrou, annonce que l’on ne connaîtra son contenu que le 10 janvier.

  • 10 janvier : Élisabeth Borne dévoile sa réforme des retraites

Cela semble une éternité. Et pourtant, il y a 3 mois, Élisabeth Borne, la Première ministre, s’avançait à son pupitre pour dévoiler les mesures de la réforme des retraites dont le report de l’âge minimum légal de départ en retraite à 64 ans contre 62 ans. Ce chiffre de 64 ans ne sort pas de nulle part. Il est le fruit des négociations entre la cheffe du gouvernement et Les Républicains (LR) puisque le président de la République Emmanuel Macron souhaitait repousser l’âge minimum à 65 ans.

En négociant le soutien des élus Les Républicains à l’Assemblée et au Sénat, le gouvernement voulait s’assurer d’une majorité pour voter son texte qu’il justifiait comme « nécessaire » pour « sauver le système par répartition ». Avec le souvenir des fortes mobilisations sociales de l’hiver 2019-2020 contre la réforme des retraites voulues à l’époque par Edouard Philippe et mise en sommeil par la pandémie de covid-19, Elisabeth concluait son discours de vingt minutes par cette formule : « Ce projet suscitera des commentaires, des débats et des oppositions. […] La confrontation d’idées peut se faire sans désinformation, sans agiter les peurs ».

  • 19 et 31 janvier : Plus d’1 million de personnes dans les rues

Avant même l’arrivée du texte à l’Assemblée nationale, en commission le 30 janvier, dans l’hémicycle le 6 février, tous les syndicats réunis en intersyndicale se sont mobilisés contre la réforme des retraites et demandent le retrait du report de l’âge. Une première journée de manifestation organisée le 19 janvier rassemble 1,12 million de personnes selon le ministère de l’Intérieur, plus de deux millions d’après la CGT. Ensuite, la mobilisation du 31 janvier réunit encore plus de participants : 1,3 million, avance le ministère de l’Intérieur, 2,8 millions, estime la CGT. Cette date n’avait pas été choisie au hasard. Les manifestations ont eu lieu au lendemain du premier jour de débats en commission des affaires sociales au Palais Bourbon.

 

  • 17 février : Fin des débats sans vote, « personne n’a craqué » s’égosille Olivier Dussopt

A cause du véhicule législatif choisi par l’exécutif, un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS), et de l’article 47-1 de la constitution, les députés disposaient de vingt jours pour examiner la réforme. Au-delà de ce délai, le texte pouvait quitter l’Assemblée nationale pour le Sénat sans vote. Avec 20 000 amendements à examiner, les députés ne sont pas allés au bout du texte devant s’arrêter le 17 février à minuit. Ces vingt jours à l’Assemblée nationale auront tout de même révélé une approximation du gouvernement concernant le nombre de bénéficiaires de la pension à 1 200 euros, bien en deçà de ce que sous-entendait le gouvernement, comme Public Sénat l’expliquait ici. Le dispositif pour les carrières longues n’était, lui aussi, pas très limpide.

L’Assemblée nationale a également été le théâtre de joutes verbales entre la majorité présidentielle et les députés insoumis. En témoigne, entre autres, l’exclusion de l’élu de Seine-Saint-Denis Thomas Portes. Il avait refusé de s’excuser suite à la publication sur son compte Twitter d’une photo le montrant le pied sur un ballon à l’effigie du ministre du Travail Olivier Dussopt. C’est le même Olivier Dussopt qui clôtura les débats inachevés le 17 février, presque aphone, en haranguant les députés de la NUPES quittant les bancs de l’hémicycle en signe de protestation : « Personne n’a craqué, personne n’a craqué et nous sommes là, devant vous, pour la réforme ! »

  • 28 février : La réforme des retraites arrive au Sénat

Autre salle, autre ambiance. Si le gouvernement espérait des débats plus apaisés au Sénat qu’à l’Assemblée nationale – ce qui fût le cas – l’opposition de gauche s’est fait entendre. Une position confortée par la contestation constante dans les rues. Partout en France, les manifestations rassemblent entre 400 000 personnes selon le ministère de l’Intérieur et 1 million selon la CGT. Contrairement à leurs collègues insoumis, les sénateurs de gauche, à l’instar du président des sénateurs socialistes Patrick Kanner, ont affirmé vouloir débattre de l’article 7, celui qui reporte l’âge minimum de départ à 64 ans. Son collègue de droite, le président du groupe Les Républicains Bruno Retailleau avait d’ailleurs prévenu les sénateurs de gauche que le Sénat « c’est le sérieux, ce n’est pas la guignolisation », sous-entendant qu’il fallait voter le texte.

Les sénateurs avaient 11 jours pour adopter la réforme. Le top départ a été lancé à la Chambre Haute le 2 mars avec 4 730 amendements au compteur. La majorité sénatoriale composée de la droite et du centre était, elle, favorable à une réforme des retraites amendée puisque le report de l’âge légal était voté chaque année depuis 2018 à l’instigation du LR René-Paul Savary. La stratégie de l’opposition de gauche a été qualifiée « d’obstruction cordiale », par le sénateur LR Bruno Sido qui reprochait à ses collègues de monopoliser la parole pour rallonger les débats. Malgré tout, la gauche a obtenu de la majorité que les débats ne soient pas accélérés grâce à différentes procédures avant l’examen de l’article 7 et de la manifestation du 7 mars.

Ce jour-là, la mobilisation a connu un tournant symbolique avec un appel à la grève reconductible de l’intersyndicale qui sous l’impulsion de la CFDT s’y refusait jusqu’alors. Les manifestations ont réuni plus de 3,5 millions de personnes selon la CGT et 1,28 selon le ministère de l’Intérieur. La plus forte depuis le début du mouvement.

  • 9 mars : Le Sénat adopte l’article 7 sur le report de l’âge minimum

Portés par les mobilisations, les sénateurs écologistes, communistes et socialistes relaient la colère au Palais du Luxembourg. Mais la majorité de droite, en accord avec le gouvernement d’Élisabeth Borne, a fini par accélérer les débats le 8 mars en utilisant l’article 42 du règlement du Sénat, permettant de réduire les prises de parole de l’opposition. Après cette manœuvre, c’est au tour de l’article 38 d’être dégainé par Bruno Retailleau réduisant le temps de parole à un avis favorable, un avis défavorable sur les amendements. Le patron des sénateurs socialistes Patrick Kanner s’est alors emporté face à son homologue LR : « Honte à vous ! Vous vous êtes laissés bâillonner par l’article 47-1 et le gouvernement et vous voulez maintenant bâillonner votre opposition ! »

Dans une ambiance électrique, rarement atteinte au Sénat, la gauche a quitté l’hémicycle suite à une passe d’arme avec le rapporteur René-Paul Savary. En faisant adopter un amendement de réécriture de l’article 7, il avait supprimé plus de 1 000 amendements de l’opposition. Réaction immédiate des sénateurs de gauche qui ont déposé des milliers de sous-amendements déclarés irrecevables. « La droite sénatoriale et le gouvernement foulent la démocratie aux pieds », avait dénoncé la présidente du groupe communiste Éliane Assassi soutenue par ses collègues socialistes et écologistes.

C’est dans ce contexte que les sénateurs ont fini par voter sur l’article 7 dans la nuit du mercredi 8 au jeudi 9 mars qui a recueilli 201 voix pour, 115 contre. Le sénateur de la Vendée Bruno Retailleau avait fustigé l’opposition accusée de se « mélenchoniser ».

  • 10 mars : Le vote bloqué pour adopter la réforme dans le temps imparti

Après la droite sénatoriale, ce fut au tour d’Olivier Dussopt de dégainer un article pour accélérer les débats : le 44-3 de la constitution ou vote bloqué. Il permet à une assemblée de se prononcer sur le texte en entier en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le gouvernement. L’opposition de gauche s’est indignée du recours à cette procédure. « Quel aveu de faiblesse […] la majorité sénatoriale est devenue le toutou du gouvernement », avait fustigé le patron des sénateurs écologistes, Guillaume Gontard. Réponse de Bruno Retailleau : « L’application du vote bloqué, c’est la Constitution. Ce n’est pas une application illibérale de notre loi fondamentale. La cause du vote bloqué, c’est vous, c’est votre obstruction. »

Le projet de loi de réforme des retraites a ensuite été adopté le 11 mars après plus de 100 heures de débats et d’accrochages. 195 sénateurs ont voté pour, 112 contre. Le patron des Républicains avait précisé que son camp votait la loi car « c’est notre réforme. C’est ici qu’elle est née ». Un vote salué par Élisabeth Borne puisque l’Assemblée n’était pas allée au bout de l’examen.

  • 16 mars : Le gouvernement utilise le 49-3 pour faire adopter sa réforme à l’Assemblée nationale

Après un accord en commission mixte paritaire (CMP) qui a réuni le 15 mars 7 députés et 7 sénateurs, la réforme des retraites retourne au Sénat et à l’Assemblée pour être adoptée. Les 14 parlementaires de la commission étaient en majorité favorables à la réforme. Ils se sont accordés afin de conserver la surcote pour les femmes, l’expérimentation d’un CDI sénior exigé par les sénateurs. Ils ont également trouvé un compromis sur les carrières longues qui n’était pas celui demandé par le député LR Aurélien Pradié. Cette CMP a été le théâtre de scènes peu communes. Entre deux pauses dans les discussions, les députés sortaient faire un compte rendu aux journalistes – très nombreux – dans la salle des quatre colonnes. Mathilde Panot, la patronne du groupe des députés de La France Insoumise, membre de la commission, souhaitait aussi que les débats soient diffusés en direct. Chose inédite, face au refus de la présidente de l’Assemblée, la députée du Val-de-Marne a publié en direct les échanges entre les participants.

Le retour du texte validé en CMP devant les sénateurs s’est déroulé sans encombre. La majorité sénatoriale l’a adopté sans difficulté par 193 voix pour, 114 voix contre et 38 abstentions. En revanche, du côté de l’Assemblée nationale, le doute subsistait sur l’obtention d’une majorité jusqu’à l’ouverture de la séance le 16 mars dans l’après-midi. La Première ministre est même arrivée en retard dans l’hémicycle, retenue à l’Elysée où Emmanuel Macron a finalement décidé de recourir à l’article 49-3 pour adopter la réforme sans vote. Pourtant, députés, sénateurs et ministres affirmaient jusqu’au bout ne pas vouloir utiliser cet article. Finalement, face à l’incertitude des votes de députés de la majorité et des Républicains, le gouvernement est passé en force. Bruno Retailleau a dénoncé l’attitude de certains de ses collègues LR qu’il « ne comprend pas d’un point de vue politique ». En revanche, le patron des sénateurs de droite préférait un 49-3 “s’il n’y a pas de majorité ».

Lors de l’annonce du 49-3 au Palais Bourbon, les paroles de la Première ministre ont été couvertes par les chants de la NUPES. Peu après, des rassemblements sont organisés partout en France. A Paris, les manifestants se sont réunis place de la Concorde, face à l’Assemblée nationale. Tous les soirs suivants, des manifestations spontanées se sont multipliées.

  • 20 mars : Le gouvernement à 9 voix d’être renversé par les députés

En parallèle, deux motions de censures ont été déposées par le groupe LIOT et Rassemblement National (RN). Celle du groupe LIOT soutenue par toutes les oppositions était celle qui avait le plus de chances d’être adoptée. Le 20 mars, il s’en est fallu de peu pour que le gouvernement soit renversé. 278 députés ont voté pour, la majorité requise était de 287. La réforme a donc été adoptée par le Parlement, mais la crise politique ne s’est pas refermée. L’interview donnée par Emmanuel Macron à France 2 et TF1 n’a pas apaisé les tensions. Certains propos du chef de l’Etat, comparant les manifestants français aux militants d’extrême droite qui ont envahi le Capitole aux Etats-Unis, ont même été dénoncés par plusieurs politiques et universitaires. Le lendemain de cet entretien, la manifestation du 23 mars connaît un regain de participation avec 3,5 millions de personnes selon la CGT et 1,08 million selon le ministère de l’Intérieur.

  • 14 avril : En attendant le Conseil constitutionnel

Emmanuel Macron disait vouloir que cette réforme aille au « bout de son cheminement démocratique », sous-entendu jusqu’au Conseil constitutionnel. Les Sages examinent quatre recours : celui du gouvernement, celui des députés RN et NUPES et celui des sénateurs de gauche qui dénoncent de « multiples atteintes au débat » et l’utilisation de plusieurs outils réglementaires comme l’article 44-3 de la constitution ou le 38 du règlement du Sénat. Les constitutionnalistes ne sont pas d’accord sur ce que le Conseil constitutionnel pourrait censurer ou non. On vous résume les différentes hypothèses ici.

Les Sages de la rue Montpensier vont aussi se prononcer sur le référendum d’initiative partagée (RIP) demandé par 250 parlementaires des sept groupes de gauche de l’Assemblée nationale et du Sénat. Si la procédure est validée (que l’on vous explique ici), députés et sénateurs disposeront de neuf mois pour réunir 4,8 signatures d’électeurs français, ce qui équivaut à une suspension de la réforme pendant ce temps-là. Une nouvelle demande de RIP devrait même être transmise ce jeudi en fin de journée par ces mêmes parlementaires de gauche comme le révèle Public Sénat. Quelle que soit la décision du Conseil constitutionnel, l’intersyndicale assure la respecter, bien que « le combat syndical est loin d’être terminé », affirme le secrétaire général de la CFDT dans le cortège parisien lors de la 12e journée de mobilisation.

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