Réforme des retraites : un nouveau degré franchi dans la tension sociale ?

Réforme des retraites : un nouveau degré franchi dans la tension sociale ?

L’irruption de militants ou de syndicalistes dans les locaux de la CFDT, à deux reprises, est désapprouvée dans les groupes LR ou PS au Sénat. Un niveau de tension inédit pour certains. Roger Karoutchi réclame une condamnation sans ambiguïté de la CGT.
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« Ce climat est insupportable ! » Ce lundi soir, le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, semblait atteint par l’animosité à l’égard de sa centrale d’une frange du front syndical contre la réforme des retraites. Sur les chaînes parlementaires, le leader syndical s’exprimait à chaud après la nouvelle intrusion au siège de la CFDT le même matin. Une « quinzaine » de personnes ont pénétré dans le local, pour y couper l’électricité : l’action a été revendiquée par tous les syndicats franciliens CGT-Énergie.

Trois jours auparavant, les locaux du syndicat avaient déjà été chahutés par « quelques dizaines d’individus » dont des personnes syndiquées et se réclamant de la « coordination SNCF-RATP ». La CFDT avait condamné une action « violence », parlant de « violences verbales et physiques » et d’intimidations.

 « C'est grave pour notre démocratie », s’alarme un sénateur centriste

Ce mardi, des membres de la majorité sénatoriale font part de leur préoccupation, après ces deux épisodes, au 47e jour de mobilisation contre la réforme des retraites. « Ce n’est pas admissible. On a le droit le manifester, de s’opposer à la réforme des retraites, mais si chacun commence à légitimer le fait que sa position lui permet d’aller envahir, d’occuper, ce n’est pas possible. La démocratie, c’est quand même le respect de l’autre », proteste le sénateur LR Roger Karoutchi, dénonçant un « culte de la violence ».

Intrusions au siège de la CFDT : « Ce n’est pas admissible », pour le sénateur Roger Karoutchi
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 « C’est très scandaleux ! Je suis pour une démocratie apaisée, c’est absolument dingue que la seule manière aujourd’hui de s’exprimer, c’est d’aller embêter les autres », ajoute son collègue de l’Oise, Jérôme Bascher.

Les inquiétudes sont également partagées chez les centristes. « Quand des militants de la CGT viennent manifester violemment à l'intérieur de la CFDT, c'est grave pour notre démocratie », a déploré, ce matin sur notre antenne, Olivier Henno.

« Le gouvernement crée cette radicalité », accusent les socialistes

. « Je regrette sincèrement qu’il y ait des dérapages », réagit Martine Filleul
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Au sein du deuxième groupe du Sénat en effectifs, les socialistes, le mot « radicalité » est également prononcé. « Je regrette sincèrement qu’il y ait des dérapages : que ce soit l’intrusion qu’il y a eue à la CFDT ou les violences policières à l’occasion des manifestations », réagit la socialiste Martine Filleul. La sénatrice du Nord est d’ailleurs convaincue que ce climat n’est pas arrivé « par hasard ». « Il y a une exaspération des Français, une radicalisation, parce qu’ils ne sont pas entendus par le président de la République. Il y a une forme d’entêtement. » Même lecture pour son collègue Olivier Jacquin. « Le gouvernement, avec cette fausse concertation, crée et accentue cette radicalité, qui n’est pas propice à un débat démocratique. »

Gauche ou droite, les deux grands courants du Sénat rendent responsable le gouvernement des tensions. « L’explosion des violences est le résultat du laxisme de ce gouvernement », considère Bruno Retailleau, à la tête de la droite sénatoriale. « Je pense que c’est un long processus de pourrissement de ce climat social […] Il faut vite apporter des réponses », presse Sophie Primas, la présidente LR de la commission des Affaires économiques.

« Des violences entre syndicats : je ne l’avais pas connu », témoigne la sénatrice LR Sophie Primas
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Au-delà de ces critiques adressées au couple exécutif, la sénatrice des Yvelines se montre surtout interloquée par ces « violences » qui opposent des syndicats à d’autres. « Pour ma part, je n’avais jamais connu cela. » La socialiste Martine Filleul considère globalement qu’il y a « sans doute un degré supérieur de violence qui s’exprime » depuis l’émergence des gilets jaunes fin 2018.

« Un côté plus violent », note un historien

Y a-t-il un côté vraiment inédit ? « L’opposition entre les grands syndicats, cela a toujours existé, les formes peuvent changer. Ce qui me frappe par rapport au passé, c’est le côté plus violent et moins bon enfant qu’avant », explique Pascal Raggi, maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université de Lorraine. Les violences n’opposaient « pas forcément » les syndicats « entre eux », selon lui.

Co-auteur de l’ouvrage « Les syndicats face à la violence militante des années 1980 à nos jours », l’historien rappelle que des actions violentes ont déjà été observées dans l’histoire syndicale récente. 1995 est à ce titre un exemple resté dans les mémoires. Nicole Notat, secrétaire générale de la CFDT, avait dû être exfiltrée d’une manifestation contre les retraites à Paris. Jets de canettes ou encore adhérents l’accueillant aux cris de « Notat, trahison » : le climat était particulièrement houleux. Mais il ajoute : « Vu le nombre de gens mobilisés en 1995, il y a eu très peu de débordements par rapport à la taille des cortèges ».

1995 avait été marquée par une scission d’une partie de la CFDT, c’est la naissance de SUD, en désaccord avec les orientations du syndicat dans la négociation : preuve que l’exemple de bases qui échappent aux confédérations ne date pas d’aujourd’hui. « À la fin des années 70, en Lorraine, lors des conflits dans la sidérurgie, à l’intérieur de la CGT ou de la CFDT, des courants en désaccord avec la ligne majoritaire, ont créé leur propre structure pour faire des actions commando », relate Pascal Raggi.

Sur le long terme, l’historien observe que les phénomènes de violence au cours de mobilisations sociales ont tendance à être de plus en plus « rapprochés » qu’auparavant – les années 2010 (avec les manifestations contre la loi Travail en 2016) ayant accéléré ce phénomène. Notamment sous l’effet des chaînes d’information en continu. « L’impact médiatique est tellement important que des gens décident de faire ce type d’actions. »

Selon Laurent Berger, qui s’est entretenu avec son homologue de la CGT, Philippe Martinez, a « condamné » les intrusions au siège, « à titre personnel ». Pour le sénateur Roger Karoutchi, cette précaution de langage ne pourra pas suffire. « Il ne peut pas dire que sa condamnation est personnelle. « Il doit exprimer des regrets au nom du syndicat » et « peut-être convoquer » les responsables, estime le sénateur des Hauts-de-Seine.

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