Réforme du droit du travail : les premières discussions sont engagées au Sénat

Réforme du droit du travail : les premières discussions sont engagées au Sénat

Ce lundi se tenait au Sénat la première séance publique sur le projet de loi d’habilitation. La discussion générale sur le texte a une fois encore démontré tant la détermination du gouvernement à faire passer sa réforme avec l’appui de la droite et du centre, que l’opposition des communistes et des socialistes sur la méthode comme sur le fond. Les deux motions déposées par le groupe communiste ont été rejetées.
Public Sénat

Par Alice Bardo

Temps de lecture :

8 min

Publié le

Mis à jour le

« Efficacité » et « urgence ». Tels sont les deux mots d’ordre rappelés par la ministre du Travail dans son allocution prononcée en ouverture de la séance publique. Pour légitimer le recours aux ordonnances, Muriel Pénicaud a insisté sur la nécessité, selon elle, de « sortir immédiatement du statut quo grâce à l’applicabilité immédiate des ordonnances ».

« Notre droit du travail a été conçu sur un modèle qui est celui de l’emploi à vie dans une grande entreprise industrielle », a également tenu à rappeler la ministre, qui estime que le Code du Travail « néglige la capacité de l’employeur et du salarié à trouver le meilleur accord à leur niveau ». Elle entend ainsi justifier l’inversion de la hiérarchie des normes, contre laquelle sont vent debout les communistes et la plupart des socialistes.

Muriel Pénicaud entend « sortir immédiatement du statut quo grâce à l’applicabilité immédiate des ordonnances »
00:59

« Il faut que les entreprises et les salariés soient co-auteurs de la norme sociale alors qu’aujourd’hui la majorité des règles relèvent de la loi », a insisté Muriel Pénicaud. Et d’ajouter : « Des droits justes inscrits dans la loi n’ont parfois plus qu’une valeur incantatoire. »

La loi doit « définir l’essentiel »

Elle a toutefois tenté de ménager la chèvre et le chou en affirmant que la loi devait encore « définir l’essentiel » et que celle-ci primait sur les autres normes sociales. Quant à la branche, elle assure qu’elle continuera de jouer un rôle important. « À la demande des partenaires nous avons finalement choisi de renforcer, non seulement l’accord d’entreprise, mais aussi l’accord de branche », a-t-elle précisé, mettant ainsi en avant la concertation engagée par le gouvernement avec les partenaires sociaux, qui vient de s’achever.

À la suite du discours d’une quarantaine de minutes de la ministre, ce fut au tour du rapporteur du texte et président de la commission des affaires sociales de s’exprimer. Selon Alain Milon (LR), il est « indéniable qu’employeurs, salariés et personnes à la recherche d’un emploi sont pénalisés par une législation trop rigide ». Il regrette que le précédent gouvernement se soit arrêté à des « demi-mesures sur lesquelles la majorité s’est déchirée » et estime qu’il y a désormais « urgence » à réformer.

« Préciser les habilitations pour renforcer l’ambition du projet de loi »

Le sénateur est toutefois plus réservé sur la méthode employée et insiste sur l’action de la commission dont il est à la tête qui, la semaine dernière, «  a précisé les habilitations pour renforcer l’ambition du projet de loi autour de trois objectifs : développer la compétitivité et l'attractivité, tenir compte des spécificités des petites entreprises et rationaliser le droit du travail ». Il rappelle notamment que la commission a adopté 31 amendements, parmi lesquels la faculté pour l’employeur d’organiser des référendums pour valider un projet d’accord sans passer par les syndicats, ou encore la suppression de l’obligation des entreprises de moins de 50 salariés de négocier avec un salarié mandaté.

L’article 9,« sans lien direct avec le reste du texte »

Albéric de Montgolfier est ensuite monté à la tribune pour s’exprimer au sujet de l’article 9 du projet de loi. Le rapporteur général de la commission des finances rappelle que « cet article n’a pas de lien direct avec le reste du texte puisqu’il traite du report du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu ». « Il aurait été préférable de le faire figurer dans un autre texte », a ajouté le sénateur, qui se « réjouit » toutefois de ce report. Il a d’ailleurs proposé une « solution de compromis » pour contourner « les imperfections et la complexité » du prélèvement à la source : « Le prélèvement mensualisé et contemporain, basé sur les revenus actuels. »

Albéric de Montgolfier : « cet article n’a pas de lien direct avec le reste du texte puisqu’il traite du report du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu »
05:16

Les deux motions de censure rejetées

Par ailleurs le groupe communiste a déposé deux motions de censure, toutes deux rejetées par les sénateurs.  La sénatrice Éliane Assasi, qui défendait le premier d’entre eux, a fustigé une « nouvelle agression contre le droit du travail » et met en garde contre une dérive vers « l’arbitraire du modèle anglo-saxon » alors que l’exception française fait valoir la « primauté de la loi ».

Éliane Assassi, qui considère que les ordonnances sont « antidémocratiques par essence », regrette qu’avec ce texte « la loi devienne un outil de dérégulation alors qu’elle devrait normalement protéger les plus faibles ». « Vous devez cesser cet affichage trompeur de la modernité alors que vous faites ressortir les vieilles ficelles libérales », a-t-elle ajouté. Du plafonnement des indemnités prud’homales au recours aux CDI de chantier, en passant par la fusion des instances représentatives du personnel  qui « marginalise les acteurs syndicaux » et l’inversion de la hiérarchie des normes qui « vise à instaurer une forme de dumping social interne », rien ne convient aux communistes parmi les mesures proposées par le gouvernement. Selon elle, le texte est inconstitutionnel en ce qu’il est contraire au Préambule de la Constitution de 1946, intégré au bloc de constitutionnalité actuel.

Eliane Assassi fustige une « nouvelle agression contre le droit du travail »
02:11

Les socialistes désunis

Une accusation que réfute Yves Daudigny. Le sénateur socialiste redoute que l’adoption de la motion « prive le Sénat d’une discussion utile et d’un examen complet du projet de loi en séance publique ». « Le champ de l’habilitation vise à favoriser le dialogue social et encourage employeurs et salariés à trouver le meilleur compromis à leur niveau », a-t-il ajouté, tranchant avec la position de la plupart des sénateurs de son groupe, telle Évelyne Yonnet, qui dénonce un « texte cédant au populisme médiatique et qui jette l’opprobre sur les parlementaires ». La sénatrice socialiste « s’abstiendra » lors du vote des deux motions.

Yves Daudigny : « Le champ de l’habilitation vise à favoriser le dialogue social et encourage employeurs et salariés à trouver le meilleur compromis à leur niveau »
03:07

La deuxième motion était portée par le communiste Dominique Watrin, qui déplore un « parti pris 100% Medef ». Le sénateur a notamment tenu à rappeler qu’il n’y avait « pas de lien entre la protection de l’emploi et la hausse ou la baisse du chômage » comme l’assurent les partisans du texte. Brandissant un petit Code du travail « plus protecteur », rédigé par un groupe de recherche, il fustige le « projet très politique, déconnecté des réalités et dangereux pour l’équilibre social » du gouvernement. À 308 voix contre et 20 pour, sa motion sera elle aussi rejetée.

Les centristes « contemplatifs »

À la reprise de la discussion générale, les échanges furent attendus. Côtés centristes, le sénateur UDI Olivier Cadic avoue être « contemplatif » vis-à-vis du projet du gouvernement et se vante même d’avoir proposé bien avant que ce projet ne naisse un amendement pour introduire la hiérarchie des normes. « En France, les statistiques démontrent que nous sommes plus ‘start’ que’ up’ », a-t-il déclaré ironiquement. Le sénateur enjoint toutefois la ministre d’ « aller vite, mais surtout loin » : « Irez-vous au bout ou y’aura-t-il tellement d’exceptions que ce sera une réforme pour rien ? »

Cadic : « En France, les statistiques démontrent que nous sommes plus ‘start’ que’ up’ »
01:12

En réponse à son collègue centriste, le socialiste Jean-Louis Tourenne a souhaité résumer en une phrase l’allocution de 17 minutes d’Olivier Cadic : « Il faut supprimer le Code du travail. » Opposé à la réforme du travail tant sur la forme que le fond, il regrette notamment que le projet de loi n’ait été précédé  « d’aucun examen des effets de la loi El-Khomri ». Le sénateur déplore également que les parlementaires n’aient pas pu assister aux concertations avec les syndicats, « une procédure inédite et contraire à la démocratie parlementaire ».

Jean-Louis Tourenne a souhaité résumer en une phrase l’allocution de 17 minutes d’Olivier Cadic : « Il faut supprimer le code du travail. »
00:23

Un « hold-up législatif »

Selon lui, le recours aux ordonnances n’est pas si éloigné du 49-3. Il rejoint ainsi la position des communistes, pour qui cette procédure accélérée n’est qu’un « 49-3 déguisé ». Laurence Cohen ira jusqu’à dénoncer un « hold-up législatif ».

À l’instar d’Alain Milon, certains Républicains trouvent également la méthode contestable. C’est ainsi le cas de Catherine Deroche, qui estime qu’ « il faut s’inquiéter de la manière dont cette réforme a été mise en œuvre ».

Enfin, David Rachline, sénateur FN, considère qu’il faudrait plutôt changer de modèle économique » : « Tout comme le modèle communiste s’est effondré, le modèle mondialiste s’effondrera un jour ! »

Les discussions reprendront demain, dès 14h30.

Dans la même thématique

Deplacement du Premier Ministre a Viry-Chatillon
7min

Politique

Violence des mineurs : le détail des propositions de Gabriel Attal pour un « sursaut d’autorité »

En visite officielle à Viry-Châtillon ce jeudi 18 avril, le Premier ministre a énuméré plusieurs annonces pour « renouer avec les adolescents et juguler la violence ». Le chef du gouvernement a ainsi ouvert 8 semaines de « travail collectif » sur ces questions afin de réfléchir à des sanctions pour les parents, l’excuse de minorité ou l’addiction aux écrans.

Le

Turin – Marifiori Automotive Park 2003, Italy – 10 Apr 2024
6min

Politique

Au Sénat, la rémunération de 36,5 millions d’euros de Carlos Tavares fait grincer des dents. La gauche veut légiférer.

Les actionnaires de Stellantis ont validé mardi 16 avril une rémunération annuelle à hauteur de 36,5 millions d’euros pour le directeur général de l’entreprise Carlos Tavares. Si les sénateurs de tous bords s’émeuvent d’un montant démesuré, la gauche souhaite légiférer pour limiter les écarts de salaires dans l’entreprise.

Le