Régionales : avec 15 ministres candidats, l’exécutif nationalise le scrutin

Régionales : avec 15 ministres candidats, l’exécutif nationalise le scrutin

L’envoi de plusieurs poids lourds du gouvernement dans le scrutin pour les élections régionales de juin prochain laisse entrevoir la volonté de l’exécutif de préparer 2022.
Public Sénat

Par Jules Fresard avec Pierre Maurer

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Et de 15. En officialisant sa candidature pour les élections régionales en Île-de-France dimanche 16 mai, Gabriel Attal, le porte-parole du gouvernement, est venu grossir les rangs déjà bien remplis des ministres et secrétaires d’État en lice pour le scrutin des 20 et 27 juin prochains. Avec un chiffre, qui témoigne de l’importance que l’exécutif porte à l’enjeu. Un peu moins d’un membre du gouvernement sur trois est candidat, dont quatre se présentent en tant que tête de liste.

« Je me félicite de voir des ministres y aller. Ils le font volontairement, et le président respecte les choix de chacun, il ne force personne. Je l’ai personnellement vérifié », tient à préciser François Patriat, président du groupe LREM au Sénat. Car face à la multiplication des candidatures de poids lourds gouvernementaux, à l’image d’Éric Dupond-Moretti et Gérald Darmanin dans les Hauts-de-France, l’opposition de droite comme de gauche reproche au président de la République de vouloir transformer ce scrutin local en enjeu national. Avec l’arbre régional qui cacherait la forêt présidentielle.

Les Hauts-de-France scrutés de près

Première étape de ce tour de France électoral, la région Hauts-de-France, où six membres du gouvernement sont candidats, parmi lesquels Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux et fils de Maubeuge, ancien soutien de la maire socialiste Martine Aubry, venu prêter main-forte à Laurent Pietraszewski, l’actuel secrétaire d’État chargé des Retraites et tête de liste pour LREM dans la région.

Le 8 mai, celui qui avait gagné le surnom d’« Acquittator » lors de ses années passées en tant qu’avocat pénaliste, a profité de l’ascension du terril 74a de Loos-en-Gohelle pour engager le fer dans la bataille électorale. « Je ne viens pas pour chasser sur les terres du RN. Je viens pour chasser le RN. Un parti qui ne fait que critiquer, qui n’a pas d’idées, pas de proposition. Marine Le Pen a été élue par de nombreux Français pourtant elle n’est jamais là à l’Assemblée nationale », a ciblé Éric Dupond-Moretti, arrivé en politique il y a un peu moins d’un an.

Au sein de l’opposition, cette candidature est raillée. « Laurent Pietraszewski sera le porteur d’eau d’Éric Dupond-Moretti, notamment quand il escalade le terril ! » ironise ainsi Patrick Kanner, sénateur du Nord et président du groupe socialiste.

La droite, elle, avait dénoncé, alors que la candidature d’Éric Dupond-Moretti n’était pas officialisée, une manœuvre « pitoyable ». « Je trouve tout ça assez pitoyable et celui qui manipule tout ça, c’est le Président lui-même, et franchement, faire ces petites manœuvres de tambouille politicienne pour enquiquiner celui qui pourrait être son adversaire à la présidentielle, ce n’est pas de très haut vol » avait ainsi fustigé Marc-Philippe Daubresse, sénateur LR du Nord.

Mais « EDM » n’est pas le seul ministre à s’être engagé dans la bataille électorale des Hauts-de-France. Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur et ancien maire de Tourcoing, déjà candidat aux élections départementales dans le canton de Tourcoing-2, a annoncé sa présence sur la liste de Laurent Pietraszewski, aux côtés d’Alain Griset, ministre en charge des Petites et moyennes entreprises et d’Agnès Pannier-Runacher, ministre en charge de l’Industrie. Brigitte Bourguignon, ministre déléguée chargée de l’Autonomie, est, elle, uniquement candidate aux départementales.

Et face aux accusations affirmant que le parti présidentiel ouvrirait une brèche à une possible victoire du Rassemblement National, en affaiblissant la candidature de Xavier Bertrand, président de région sortant et candidat à sa réélection pour Les Républicains, actuellement en tête dans les sondages, François Patriat répond « Qu’elle serait l’attitude d’un bon républicain ? Que l’on n’y aille pas tout en sachant que Xavier Bertrand ne veut pas nous parler ? Je trouve que pour la force politique qui est la nôtre, ne pas y aller aurait été assez étrange ».

L’Île-de-France, « réservoir de voix » pour Emmanuel Macron

Un peu plus au sud, la région la plus peuplée de l’hexagone s’attire également les faveurs gouvernementales, avec cinq ministres ou secrétaires d’État réunis derrière Laurent Saint-Martin, tête de liste pour La République en Marche dans la région francilienne, où l’enjeu principal réside dans la réélection ou non de Valérie Pécresse, l’actuelle présidente LR d’Île-de-France.

Laurent Saint-Martin, en déficit de notoriété, a ainsi pu, au fil des annonces, voir ses rangs s’étoffer de têtes d’affiche gouvernementales, à l’image de Marlène Schiappa, ministre déléguée chargée de la Citoyenneté, Amélie de Montchalin, ministre de la Fonction publique qui porte actuellement la réforme de suppression de l’ENA, mais aussi Emmanuelle Wargon, ministre du Logement, Nathalie Elimas, secrétaire d’État à l’éducation prioritaire, ou encore Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement.

« L’Île-de-France est la région qui fournit le plus de voix à Emmanuel Macron. C’est donc un réservoir de voix que l’on ne peut pas laisser à Valérie Pécresse ou Audrey Pulvar, analyse François Patriat. Pour l’instant, Valérie Pécresse, la présidente LR sortante, fait toujours la course en tête dans les sondages et fait figure de favorite, à 32 % des intentions de vote selon un sondage commandé par France Télévision et Radio France.

Marc Fresneau en bonne position en Centre-Val-de-Loire

Ailleurs en France, Sébastien Lecornu, ministre des Outre-mer, se présente aux élections départementales en Normandie, et trois autres membres du gouvernement se sont déclaré tête de liste pour les régionales. Marc Fresneau, ministre chargé des Relations avec le Parlement en Centre-Val-de-Loire, Geneviève Darrieussecq, ministre chargée des Anciens combattants en Nouvelle-Aquitaine et Brigitte Klinkert, ministre déléguée à l’Insertion, dans le Grand Est.

Cette dernière se présente face à Jean Rottner, l’actuel président LR de la région Grand Est, pourtant présenté comme Macron-compatible, qui affirme aujourd’hui ne plus nourrir d’ambitions nationales. « Jean Rottner a été très dur avec le gouvernement durant la crise sanitaire. Il ne faut pas croire que l’on va tous les jours se laisser critiquer, diffamer, sans réagir », estime sous forme d’avertissement François Patriat.

Pour l’heure, seul Marc Fresneau, durablement implanté dans la région où il se présente – il a été député, maire et conseiller régional dans le Loir-et-Cher – fait miroiter une possible victoire au parti présidentiel le soir du 27 juin. Victoire jugée d’autant plus nécessaire pour LREM que les régionales sont vues comme une échéance majeure à la veille de l’élection présidentielle. « Les régionales détermineront les forces politiques pour 2022 » prévoit un poids lourd socialiste.

Immobiliser les futurs rivaux

Mais derrière ces candidatures dispersées aux quatre coins de l’hexagone, un simple calcul mathématique laisse voir la stratégie à l’œuvre accompagnant les candidatures de plusieurs membres du gouvernement pour les élections régionales. Sur les 15 ministres et secrétaires d’État déclarés candidats, 11 le sont dans les Hauts-de-France et en Île-de-France, là où les deux présidents de région sortants, Xavier Bertrand et Valérie Pécresse, ne cachent pas leur volonté de se présenter à l’élection présidentielle de 2022. Xavier Bertrand a même exclu toute candidature en cas de défaite le soir du 27 juin.

Les candidatures d’Éric Dupond-Moretti et Gérald Darmanin, deux ministres « régaliens », viennent ainsi parasiter le duel annoncé de longue date entre Xavier Bertrand et Sébastien Chenu, candidat pour le Rassemblement National dans les Hauts-de-France, qui sillonne la région à bord d’un énorme bus floqué de son visage et de celui de Marine Le Pen.

D’autant qu’en cas de second tour l’opposant à Sébastien Chenu, Xavier Bertrand pourra difficilement se passer du soutien de la liste menée par Laurent Pietraszewski. En 2015, l’actuel président de région avait pu l’emporter face à Marine Le Pen grâce au retrait de la liste PS menée par Pierre de Saintignon. Or, dans le cas d’un second tour l’opposant à Sébastien Chenu, il sera difficile pour Xavier Bertrand de demander à la liste LREM de se rallier à sa candidature, lui qui veut être le candidat de la droite à la présidentielle de 2022. Et le récent imbroglio autour d’un accord annoncé, puis rejeté, entre les listes de Renaud Muselier (LR) et Sophie Cluzel (LREM) en Paca continue de déchirer le parti de droite.

« Xavier Bertrand, je ne vois pas comment il peut gagner seul au second tour » observe François Patriat, qui insiste pour rappeler que Xavier Bertrand est un « concurrent » quand Marine Le Pen est une « adversaire ». Pour lui, le risque pour le parti présidentiel vient de plus bas sur la carte, d’Île-de-France. « Quand on parle de challengers à la présidentielle, je regarde plutôt du côté de Valérie Pécresse. Le risque, c’est qu’elle puisse dire en cas de victoire, ‘regardez, j’ai battu tout le monde, je suis capable de l’emporter pour la présidentielle’ ».

Des craintes qui expliqueraient la déclaration in extremis de candidature en Île-de-France de Gabriel Attal hier soir, alors que la date de dépôt limite des candidatures est fixée à ce lundi 17 mai ? Quoi qu’il en soit, la dynamique ne semble pour l’instant pas être du côté de Laurent Saint-Martin, le candidat de la majorité présidentielle. Derrière Valérie Pécresse, les sondages annoncent Jordan Bardella en deuxième position, à 19 %, et Julien Bayou, candidat d’EELV à 13 %. Le rapporteur du budget stagne, lui, à 11 %.

Un scrutin régional qui a donc toutes les allures d’une grande répétition générale pour l’élection présidentielle de 2022. Dès juin, Emmanuel Macron devrait d’ailleurs entamer un « tour de France » pour « reprendre le pouls du pays ». La campagne est bel et bien lancée.

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