Régionales : en Bourgogne Franche-Comté, la « double campagne » de Gérald Darmanin

Régionales : en Bourgogne Franche-Comté, la « double campagne » de Gérald Darmanin

Venu partager de sa « notoriété » avec Denis Thuriot, la tête de liste LREM aux régionales à la peine dans les sondages, le ministre de l’Intérieur a livré un discours préparant la présidentielle de 2022. Et peut-être même une troisième campagne, plus personnelle. Reportage.
Public Sénat

Par Pierre Maurer

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Sous un ciel radieux, Denis Thuriot scrute le quai de la gare de Dijon. Vide. « Mais où va arriver le ministre ? Voie D ou voie I ? » Après quelques instants de confusion, des descentes et des montées d’escaliers au pas de course, le petit cortège s’arrête sur la voie D. La tête de liste LREM en Bourgogne Franche-Comté attend Gérald Darmanin de pied ferme tant sa campagne aux élections régionales patine. Sa place dans les derniers sondages stagne (quatrième avec 16 % des intentions de vote), et le débat de la veille avec les six autres candidats ne lui a pas permis de faire la différence. « Ça n’a pas fait bouger les lignes », constate son directeur de campagne, le député LREM Didier Paris. En face, le poulain du RN, Julien Odoul, fait la course en tête (28 %) en dépit de ses frasques qui ne le handicaperaient pas sur le terrain, selon les macronistes. La présidente socialiste sortante, Marie-Guite Dufay et le maire LR de Chalon-sur-Saône, Gilles Platret, complètent le podium, à quasi-égalité (21 % pour les deux listes). En cas de quadrangulaire, les alliances - ou les retraits - seront déterminants. Malgré les déboires de son candidat (lire ici), Marine Le Pen a placé ses plus hauts espoirs dans la conquête de la région.

« C’est un défilé de ministres et une opération de sauvetage ! »

Pour tenter de « sauver le soldat Thuriot », comme le moquent ses adversaires, l’exécutif a envoyé quelques poids lourds censés lui apporter notoriété et éléments de campagne. Emmanuel Macron a fait lui-même le déplacement fin mai, fêtant la réouverture des terrasses verre à la main avec le maire de Nevers, adepte du dépassement politique avant même que le macronisme n’ait vu le jour. Samedi dernier, c’était au tour d’Olivier Véran de montrer le bout de son nez dans la région. Ce jeudi, c’est donc Gérald Darmanin qui a été dépêché pour parler sécurité dans une campagne des régionales aux thèmes plus nationaux que jamais. Le RN impose son agenda et la macronie, en mal d’ancrage territorial, s’en accommode en vue du duel préparé en 2022. « Même si la sécurité n’est pas une compétence régionale, Odoul en parle… Darmanin c’est quand même le plus identifié sur la sécurité », convient un membre de l’équipe Thuriot. Jean Castex est attendu le 18 juin dans la dernière ligne droite des élections. Pendant ce temps, Emmanuel Macron « prend le pouls du pays » dans un « pèlerinage laïque » à travers la France.

Du pain béni pour les ennemis de l’ancien avocat nivernais. « J’ai eu peur quand j’ai vu le ministre de la Santé, je me suis dit que la situation était grave », pouffe Jérôme Durain, sénateur socialiste de la Saône-et-Loire et fervent soutien de Dufay. « Ils écopent pour éviter que le navire ne sombre. Avec Gérald Darmanin, ils font feu de tout bois ». Pour une fois, Julien Odoul partage les saillies de l’un de ses meilleurs adversaires et jubile. « Ils ont une peur bleue ! C’est un défilé et une opération de sauvetage organisée par le gouvernement », dénonce l’iconoclaste Odoul, devenu célèbre en octobre 2019 pour avoir pris à partie une accompagnatrice voilée en plein Conseil régional. Et il s’indigne : « Ça contrevient aux directives et au devoir de réserve. Le ministre de l’Intérieur a mieux à faire en ce moment ! Qu’il arrête de faire du tourisme électoral ! Pareil pour Monsieur Véran ! » Peu importe, les soutiens de Denis Thuriot espèrent toujours être « devant Dufay » au premier tour, le 20 juin prochain.

La victoire du RN, une « marque satanique »

La montre affiche 9h32 et des poussières. Voilà Gérald Darmanin descendu du TGV. « Ça va mon Fanfan ? » L’indéboulonnable sénateur Côte d’Orien François Patriat vient de surgir de nulle part, retardé par des bouchons. Tout l’état-major local de la majorité présidentielle est là, du Modem à Territoires de progrès. Cueilli par les selfies et un chasseur d’autographes, le ministre démarre tambour battant et attrape les regards. « Ça nous arrange, il n’est pas là pour passer inaperçu », souffle satisfait Didier Paris. Aux journalistes, Gérald Darmanin cible « les provocations du RN » et se dit « choqué » par les propos de Julien Odoul, riant des suicides d’agriculteurs. Son lien avec Denis Thuriot ? « Je connais bien Monsieur le maire, je suis allé plusieurs fois dans sa commune. Je sais à quel point il est en lien direct avec la population et qu’il arrive à convaincre des gens qui ne sont pas d’accord avec lui. C’est ce qu’on demande à des élus locaux. J’ai visité les lieux où il a fait venir une économie numérique nouvelle, dans un territoire qui avait des difficultés. C’est un défenseur, un avocat », déroule Darmanin. La victoire du RN serait, selon lui, une « marque satanique » indélébile rebutant les investisseurs étrangers. Quant aux sondages, « 16 % c’est déjà magnifiquement remarquable ». « Celui qui est capable de battre le Front national, c’est le candidat de la majorité », veut-il croire.

Toujours au pas de charge, le ministre et sa troupe descendent la rue de la gare au centre-ville de la capitale bourguignonne, sans marquer l’arrêt. « Pourquoi vous allez si vite, vous allez à la chasse ? », lance François Patriat, septuagénaire et amateur de gibier. En marge du petit groupe, le patron des sénateurs (RDPI) LREM confirme l’objet du déplacement. « La notoriété joue à fond pour les sortants et le Rassemblement national. Donc Gérald fait ça pour Denis. C’est un ministre de poids, brillant, qui imprime. Il compense toutes les difficultés que nous avons eues durant cette campagne. C’est un événement comme le sera la visite du Premier ministre », explique celui qui est aussi président du comité de soutien de Denis Thuriot.

Denis Thuriot : « Aucune intention de me retirer »

Devant la statue de la place du Bareuzai, un vigneron nu foulant les raisins aux pieds, un macroniste se marre : « C’est la statue d’Odoul ! » Eclats de rire dans la petite équipe, en référence à la vidéo du strip-tease assumé du jeune conseiller RN (révélé par Le Canard Enchaîné), déterrée par ses ennemis au sein de son propre camp. Tout le monde prend place autour d’une table de café. On devise géographie électorale. François Patriat joue les maîtres d’hôtel, place, se lève, tape sur les épaules du ministre, se rassied, avant d’offrir sa chaise et de papillonner entre les tables. L’ancien président socialiste du Conseil régional de Bourgogne est ici chez lui, partage les victoires du passé et détaille à un Gérald Darmanin attentif les subtilités de la politique locale.

En cas de quadrangulaire au second tour, Denis Thuriot assure qu’il ne se couchera pas. « Je n’ai aucune intention de me retirer », jure-t-il ses grands dieux à Public Sénat. La veille pourtant, il déclarait sur France 3 qu’il « saura se montrer intelligent », laissant entendre à demi-mot qu’il pourrait rejoindre Marie-Guite Dufay, électrice d’Emmanuel Macron en 2017. Les socialistes éconduisent toute alliance avec la majorité présidentielle et tablent plutôt sur un ralliement des écologistes évalués à 8 % au premier tour. L’addition des voix leur offrirait la victoire d’une courte tête devant le RN le soir du 27 juin. Pour Julien Odoul, le stratagème coule de source. « Ils veulent aussi sauver la soldate Dufay ! C’est la candidate officieuse macroniste ! » Peu de badauds s’arrêtent pour observer l’invité du jour et le candidat LREM. Un homme confond même Didier Paris avec Denis Thuriot. La faute aux masques frappés du slogan : « La région partout et pour tous », se confond-il en excuses.

Le bilan présidentiel, les Renault Kangoo et ceux qui « mangent » les frites

Direction le cellier de Clairvaux, vestige cistercien du XIIIe siècle, où un meeting avec les colistiers attend le ministre. « Nathan, va mettre l’ambiance ! », presse un membre de l’équipe. Dans la fraîcheur et la pénombre, ils sont près de 110 à trépigner. Les vedettes de la journée prennent siège sur l’estrade en bois. Didier Paris joue le Monsieur Loyal et tape sur ses adversaires plus droitiers : « C’est une élection difficile, il y a un risque d’instrumentalisation de la sécurité. C’est le cas du RN et des LR entre lesquels il n’y a pas une feuille de papier à cigarette. » Denis Thuriot renchérit : « Les Républicains ne sont plus des gens de droite progressiste. » Leur candidat, Gilles Platret s’est allié avec les souverainistes de Debout La France, le parti de Nicolas Dupont-Aignan, autrefois soutien du RN. « C’est une droite souverainiste, mais républicaine à mes yeux. […] Nous sommes tous les deux gaullistes », défendait Gilles Platret à Public Sénat, quelques jours plus tôt. Puis revoilà la rengaine de la sécurité : Denis Thuriot s’engage à la soutenir dans les transports, dans les établissements scolaires, seuls lieux où la région peut véritablement agir.

À plus de 500 kilomètres de Tourcoing, Gérald Darmanin est à sa place comme un grain dans la moutarde. Il alterne les costumes de ministre, d’ancien maire, de petit-fils d’immigré. Rend les politesses à François Patriat. « François est particulièrement écouté par le président de la République », ne manque-t-il pas de souligner. S’engage un véritable discours de campagne présidentielle. L’ancien ministre des Comptes publics passe plus d’une heure à défendre le bilan d’Emmanuel Macron dans les moindres détails. Suppression de la taxe d’habitation, réforme de la SNCF, baisses d’impôts, Gilets Jaunes, covid-19, justice… Il dédouane aussi son chef : « Emmanuel Macron a eu à gérer un héritage, il l’a fait du mieux possible. » Celui qui ne manque jamais de citer sa grand-mère et de flatter le « bon sens du boucher charcutier », invoque tour à tour Coluche, le général de Gaulle, un proverbe africain et convoque le jeu vidéo « Simcity » pour représenter le rôle d’un maire. Retour sur la sécurité : « C’est comme les frites, il y en a qui en parlent et il y en a qui en mangent. » La salle est hilare à l’évocation des anciennes Renault Kangoo de la police. « C’est sympathique, mais ça ne donne pas une image super forte, virile, protectrice… », sourit le premier flic de France. Et d’embrayer : « Vous avez vu leurs nouveaux Peugeot 5008 ? » Pour parfaire la séduction, Gérald Darmanin termine sur une anecdote présidentielle : « Emmanuel Macron m’a dit hier soir : ‘Attention de ne pas trop picoler avec François et dis à Denis que c’est difficile mais qu’on a besoin de lui’ ».

« Darmanin veut être Premier ministre et je pense qu’il le sera »

Lors des questions-réponses, trois participants s’inquiètent de la « surenchère sécuritaire ». « Je suis né dans un territoire pourri, ma mère était femme de ménage et la police me contrôlait beaucoup quand j’étais étudiant », rétorque Darmanin, prompt à rappeler que « Moussa » est son deuxième prénom. Dans cette région encore à gauche, le ministre de l’Intérieur prend soin de corréler insécurité avec pauvreté, mais pas immigration. François Patriat s’empare du micro. « Tu viens de faire une double campagne : celle des régionales et celle de la présidentielle. Ne perdez pas de temps à aller voir les Front National ! Allez voir ceux qui nous sont favorables ! », exhorte-t-il aux militants. L’objectif est clair : mobiliser l’électorat du chef de l’Etat pour 2022. « On a besoin de relais ! »

Au final, Gérald Darmanin a assuré le show. Dans les rangs, on le trouve « convaincant », « sincère ». Facile dans une salle exclusivement composée de partisans d’Emmanuel Macron. Un discours plus orienté vers la présidentielle que sur les régionales ? Denis Thuriot s’offusque de la question. « Vous êtes en train de minimiser mon rôle. » Entre deux coups de fil, grisé par la performance de l’ancien sarkozyste, François Patriat se laisse aller à la confidence : « Darmanin veut être Premier ministre et je pense qu’il le sera. » Après Jean Castex ? Pas de réponse. Le fidèle du chef de l’Etat s’éloigne, puis revient et lâche : « Je pense qu’il a les ambitions légitimes pour être président de la République ». Après Emmanuel Macron ? François Patriat est déjà parti.

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