Régionales : l’union de la gauche se heurte aux « combats de coqs »

Régionales : l’union de la gauche se heurte aux « combats de coqs »

L’union de la gauche dans les Hauts-de-France pour les régionales donne quelques lueurs d’espoir aux électeurs de gauche. Mais ce modèle est loin d’être partout reproductible. Les logiques partisanes et de personnes risquent de laisser la gauche divisée dans plusieurs régions pour le premier tour.
Public Sénat

Par Pierre Maurer et François Vignal

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La retentissante alliance entre les gauches dans les Hauts-de-France restera-t-elle une exception ? Ou va-t-elle inspirer la gauche dans les autres régions ? Salué de toutes parts, l’accord de circonstances du Nord a du mal à faire des petits. En Auvergne Rhône-Alpes et en Ile-de-France, les situations semblent bloquées sur fond de course au leadership dans la perspective de la présidentielle 2022.

« Il est temps que EELV comprenne et passe aux actes »

Patron des sénateurs socialistes et brève tête de liste du PS dans les Hauts de France, Patrick Kanner espère que l’exemple nordiste va infuser. « Je dis aux formations politiques, regardez ce que nous avons fait dans les Hauts-de-France. Là il y a un élément nouveau », souligne-t-il après s’être rangé derrière la candidate écologiste Karima Delli. « Mais dans toute la vie politique, il doit y avoir une réciprocité. Du moins une prise en compte de la réalité ».

En vieux routier de la politique, l’ancien ministre de François Hollande sait bien que le chemin n’est pas encore dégagé, en particulier en Auvergne Rhône-Alpes et en Ile-de-France, où les listes de gauche se font concurrence. « Il y a le même problème en Normandie ou Paca, voir en Grand Est. Il y a 4-5 régions où pour challenger le président ou la présidente sortant, il faudrait se mettre d’accord. Laurent Wauquiez ou Valérie Pécresse peuvent faire 30 %. Si vous êtes à 10/15 points derrière, c’est extrêmement dur à rattraper. Il faut coller au peloton ». La gauche unie dans sa diversité, pour lui, c’est autour de « 25 % ».

« J’espère que ça pourrait servir en Paca par exemple, comme en Hauts-de-France et Grand Est », appuie le porte-parole du PS, Pierre Jouvet. Des régions où le risque d’élimination est « grand » dès le premier tour si la gauche ne part pas rassemblée. En Paca, le stratège socialiste verrait bien Olivia Fortin, adjointe au maire de Marseille, une des initiatrices du Printemps marseillais, en « candidature de rassemblement de toute la gauche ». « On travaille avec le PCF, une partie d’EELV qui a quitté EELV, le Printemps marseillais et le PRG. Et EELV travaille de son côté », précise-t-il, ajoutant être « main dans la main » avec le PCF dans l’ensemble « des cinq régions où nous sommes sortants ». La première brique d’une grande union à gauche ? Rien n’est moins sûr. Car partout, les écologistes semblent bien décidés à se compter. « Il est temps que EELV comprenne et passe aux actes », lâche le porte-parole.

« Le signe donné dans les Hauts-de-France doit faire réfléchir chacun et bouger des lignes », presse lui aussi le sénateur socialiste de Paris, David Assouline, premier secrétaire de la fédération PS de Paris. Mais les espoirs nourris se heurtent aux velléités locales.

Échec de l’union en Auvergne-Rhône-Alpes

Dimanche, Najat Vallaud-Belkacem a officialisé sa candidature en tant que tête de liste socialiste en Auvergne Rhône-Alpes. Sans trouver d’accord avec les écologistes pour affronter le président LR sortant, Laurent Wauquiez. Résultat, les positions semblent bloquées, au moins jusqu’au second tour. « Je constate qu’en Auvergne Rhône-Alpes, l’offre d’unité a été refusée par les écologistes. S’ils considèrent que l’unité, c’est derrière eux partout, ce sera difficile. Mais en se rapprochant de l’échéance, ça poussera les uns et les autres à être peut-être plus responsables », veut croire David Assouline.

Mais un responsable socialiste ne se fait pas trop d’idées. « Les écologistes partent d’une analyse que ce sont eux qui ont le leadership à gauche aujourd’hui, donc partout, la base de l’unité, ce sont eux devant. C’est très présomptueux », cingle-t-il, considérant qu’aujourd’hui, « personne ne peut faire les matamores à gauche ». La surprenante union du Nord résulte par ailleurs d’âpres négociations. « On a quand même une histoire et une ancienneté dans cette région. Or la réponse derrière, c’est non à Najat et rangez-vous derrière nous en Ile-de-France. Cette façon relativement méprisante de voir les choses, ne va pas dans le bon sens », fustige le même.

Dimanche, dans le « Grand Jury RTL-Le Figaro », le maire EELV de Grenoble, Éric Piolle a considéré que soutenir Najat Vallaud-Belkacem serait « incongru ». « (Elle) était élue auprès de (Gérard) Collomb et après ministre de Manuel Valls… », a-t-il souligné, s’étonnant qu’elle « puisse dire « tiens, venez derrière moi » ». Selon lui, « la logique politique » et « l’aspiration des gens » vont plutôt dans le sens d’une union derrière les Verts. La dernière enquête d’opinion sur le scrutin, parue fin novembre, donnait Najat Vallaud-Belkacem et Fabienne Grébert, la candidate écologiste, au coude-à-coude, avec 12 % des intentions de vote chacune.

« Un parti providentiel, ça n’existe pas »

« Dans toutes les régions, personne ne peut accepter qu’une force politique dise "on veut bien l’unité mais derrière nous à chaque fois". Un parti providentiel, ça n’existe pas. Ça ne peut pas être quelque chose d’entendable », tance lui aussi le député Insoumis de Seine-Saint-Denis, Éric Coquerel. « On a voulu discuter nationalement avec EELV, le PCF. Il y a eu un refus d’essayer d’organiser ça au niveau national. A chaque fois, ça a été un renvoi région par région. Et avec une condition pour EELV : s’il y a accord, il faut se rallier derrière eux. Ils veulent imposer un leadership », martèle-t-il.

« On reparle de toutes ces années où un écologiste n’avait même pas le droit de postuler à une tête de liste ? », rétorque Sandra Regol, numéro deux des Verts. « On fonctionne selon nos statuts : les régions décident à l’échelle régionale de leur candidat. Le cadre général, c’est de faire gagner l’écologie. C’est une critique qui parle de leurs propres anciennes turpitudes. Nos statuts nous empêchent de dire "on veut toute la France" », insiste-t-elle. Qui plus est, en Auvergne-Rhône-Alpes, les discussions perdurent. « On est toujours ouverts à faire large. Mais les seuls qui apparaissent comme une alternative possible selon les sondages, ce sont les écolos. Dans beaucoup de régions, les sondages montrent que rassembler les gauches derrière les écologistes est le plus à même de l’emporter. » Porte-parole du PS, Pierre Jouvet résume le paradoxe général :

Si on se met ensemble, la dynamique politique est plus forte. Est-ce qu’on veut battre Laurent Wauquiez, Xavier Bertrand ou jouer à la course des petits chevaux entre nous pour savoir qui sera en premier, au soir du premier tour ?

« Bataille de leadership en Ile-de-France »

Après l’accord des Hauts-de-France, tous les regards se sont tournés vers l’Ile-de-France. Valérie Pécresse, présidente ex-LR sortante voit trois listes de gauche lui faire face : le numéro un des Verts, Julien Bayou, l’adjointe d’Anne Hidalgo, Audrey Pulvar, et la députée Insoumise, Clémentine Autain. Si tous les trois ont salué l’union nordiste, la perspective d’un accord francilien s’éloigne de jour en jour. « On a fait des propositions dès le début. Notre choix de nous ranger derrière Audrey Pulvar, qui n’est pas d’un parti politique mais de la société civile, c’était le choix de permettre ce dépassement pour l’ensemble des formations présentes, PS, EELV, PCF. Cette offre a été refusée et chacun veut, tout en disant qu’il est pour l’unité, se mesurer », estime David Assouline.

« Il y a eu pas mal de discussions en coulisses. Cela dure depuis un an, sauf qu’on a le PS et EELV qui se disputent le leadership sur la région. Mais le PS reste très fort sur Paris et les écologistes envoient leur numéro un, Julien Bayou. Ils attendent de voir qui sera premier au premier tour », confirme un compagnon de route des Verts en région parisienne. « Contrairement aux municipales à Paris, on est sur une bataille de leadership. Les écolos veulent le renverser et ne se retireront pas. Et derrière, il y a Clémentine Autain qui apparaît comme une candidate parfaite pour une union, mais qui part avec le fait que LFI est assez faible en Ile-de-France », poursuit-il.

« Il y a l’idée que tout le monde sera au second tour, car tout le monde est donné à plus de 5 %, donc il sera temps de fusionner après. Et ce sera la personne qui est devant qui fera le rassemblement. Mais s’il y a une telle dispersion au premier tour, on ne rattrape pas 30 points. Pour faire ensuite au-delà de 50 %, ça peut devenir compliqué », analyse un élu socialiste parisien. Dans le dernier sondage Ifop dévoilé au début du mois de mars, Audrey Pulvar recueillerait 13 % à la tête de la liste PS/parti radical de gauche, Julien Bayou 11 % à la tête d’une liste EELV/Générations et Clémentine Autain (LFI/PCF) est créditée de 10 % des voix. Valérie Pécresse fait la course en tête avec 33 % des intentions de vote.

La candidate insoumise presse, elle, pour des discussions approfondies. « Ma première main tendue date de l’entrée en campagne en novembre. Je dis que si j’arrive en tête à gauche, je mettrai toutes mes forces pour créer le rassemblement à gauche. Il faut savoir que ma candidature est entrée dans le paysage après qu’Audrey Pulvar a lancé son rassemblement à gauche en excluant les Insoumis. Ce qui est une conception partielle du rassemblement… », regrette-t-elle, considérant que ni Audrey Pulvar, ni Julien Bayou n’œuvrent réellement pour le rassemblement dès le premier tour. « Je tends la main pour qu’au moins au second tour, les choses soient claires. Il y a les bases pour se rassembler et il n’y a pas la menace de l’extrême droite comme dans les Hauts-de-France », insiste-t-elle. « A partir du moment où on juge le programme satisfaisant, on fait l’union. Dès qu’on peut mettre en place un bouclier social et écologique, on le fait. On le fait dans beaucoup de régions. Mais en Ile de France je vois mal comment… », avoue Éric Coquerel, appuyant la candidature de sa camarade. « Dans les sondages pour l’Ile-de-France, les trois listes de gauche sont au coude à coude. Il n’y a rien qui justifierait que Clémentine Autain se range derrière Julien Bayou ! »

Union au second tour ?

Chez les Insoumis, on considère par ailleurs que l’attitude du patron des écologistes n’est pas très « honnête » et « claire ». En cause : en privé, il affirmerait sa volonté d’union au second tour. Ce qu’il n’affirme jamais en public, lui reprochent-ils. « Il est mignon, il dit qu’il faut faire alliance dès le premier tour, mais ne fait rien pour », vitupère-t-on. À sa place, c’est l’ancien candidat socialiste à la présidentielle et allié des Verts, Benoît Hamon, qui s’est chargé de jouer le « garant » de l’union de la gauche. « Je veux bien me mettre à la disposition d’Audrey et Clémentine pour discuter dans quelles conditions on le fait », a-t-il affirmé lundi matin dans la matinale de Public Sénat, « Bonjour chez vous ». « Je crois que quand deux femmes discutent, elles n’ont pas besoin de passer par un homme », flingue Rachid Temal, cadre de l’équipe de campagne d’Audrey Pulvar. « Esther Benbassa (sénatrice EELV de Paris) n’a pas totalement fermé la porte au rassemblement. Oui, la poutre travaille », observe, et espère, un autre socialiste.

« Ça reste de l’affichage public. Chacune creuse son sillon. Mais aucune ne veut vraiment faire l’union. Elles parlent d’union au second tour. Mais pour le faire il faut discuter, et ça n’a pas l’air d’être au programme », lâche Sandra Regol. Elle sourit : « Le sous-texte, c’est nous, on veut bien discuter mais en face, les gens sont sur répondeur ». Les écologistes restent eux « ouverts » à la discussion pour faire une union gagnante « contre la droite ». Quitte à se ranger au second tour derrière Audrey Pulvar ? « Mais qu’a-t-on fait en 2015 ? L’enjeu est de faire en sorte que la région ne continue pas avec Valérie Pécresse », répond-elle.

Pour l’heure, un débat organisé par l’archipel de l’écologie et des solidarités est prévu le mercredi 24 mars à 18 heures. Clémentine Autain y participera, Julien Bayou est espéré. Reste à obtenir l’accord d’Audrey Pulvar. Les écologistes tiennent quant à eux leur meeting de lancement campagne mardi soir en présence de Benoît Hamon, Corinne Lepage, Delphine Batho et Julien Bayou. Dans les sphères militantes, on pousse pour le dialogue et les escarmouches à couteaux tirés usent. « Il y a des voix qui montent pour demander une union », rapporte un militant. Certains réfléchissent même à l’opportunité d’une tribune pour appeler les trois candidats de gauche au sursaut.

Le spectre de la présidentielle

Pour compliquer l’affaire, beaucoup pensent à 2022 dans ce jeu de billard à trois bandes. « En Ile-de-France, aucun n’a intérêt à l’union : ce qui se joue c’est le leadership d’Hidalgo ou d’un candidat écologiste pour 2022 », assure un soutien d’EELV. « Les Verts considèrent qu’il faudra nécessairement une candidature unique au premier tour de la présidentielle en 2022 et pour nous départager, les régionales serviront de base de départ. Leur pari c’est d’être devant nous au premier tour. Et donc la presse dira que les écolos sont la force propulsive à gauche. Mais je pense que c’est une erreur d’analyse. Et qu’à ce jeu, ils ne gagneront aucune région et vont s’affaiblir. Un non-accord aujourd’hui, c’est perdant perdant. Si Bayou est distancé par Pulvar, ça va le mettre en grande fragilité dans son parti », veut croire un cadre socialiste. Ce que réfute Sandra Regol : « On n’a pas le même prisme ».

« La gauche unie, ce serait beaucoup plus porteur pour la présidentielle que ce qu’on nous propose ici : une bataille de coqs », déplore militant associatif. Fataliste, il souffle : « On arrive à la fin de la mode d’une potentielle union de la gauche. Je vois mal comment Pulvar et Bayou peuvent tenir sur la même photo. Ils vont y aller divisés, ils vont faire des scores moyens, et on aura la gueule de bois… »

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