Régionales : la Bretagne se déchire autour de la succession de Jean-Yves Le Drian

Régionales : la Bretagne se déchire autour de la succession de Jean-Yves Le Drian

Terre propice à Emmanuel Macron, la Bretagne voit s’affronter deux fidèles de Jean-Yves Le Drian, dans une élection plus ouverte que jamais où les listes bourgeonnent. Dans une ambiance de Far Ouest.
Public Sénat

Par Pierre Maurer

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La Bretagne est orpheline de son « grand Menhir ». Depuis que Jean-Yves Le Drian a quitté la présidence du Conseil régional, laissant un « grand vide », ses « poulains » se battent pour sa succession. Le départ de la figure tutélaire de la région depuis 2004, à la tête d’une majorité hétéroclite allant des communistes aux « marcheurs », a peu à peu fissuré l’atypique exécutif, dont le socialiste Loïg Chesnais-Girard avait repris le flambeau. Depuis, pas moins de treize listes s’affrontent et les principaux candidats se suivent dans un mouchoir de poche. Selon le dernier sondage en date du 7 mai, la liste LREM, alliée du centre, débarque en tête avec 18 % des intentions de votes selon un sondage Odoxa pour le Télégramme. Suivi de près par Isabelle Le Callennec (LR), créditée de 17 %, puis la liste RN de Gilles Pennelle (14 %), celle du PS de Loïg Chesnais-Girard (14 %) et la cheffe de file EELV Claire Desmares-Poirrier (11 %). Une photographie à l’instant T qui enverrait l’ensemble des listes au second tour.

La difficile succession de Jean-Yves Le Drian, réélu en 2015 sans encombre laisse place à une élection plus ouverte que jamais avec un nombre « pléthorique » de listes dans une terre propice à Emmanuel Macron. Le chef de l’Etat avait recueilli 29,05 % des suffrages au premier tour en 2017, plaçant la Bretagne 5 points au-dessus de la moyenne nationale. Un avantage sur lequel compte capitaliser la majorité présidentielle. « Je pense qu’on peut gagner deux régions : la Bretagne et le Centre-Val de Loire », s’enthousiasme le grognard macroniste François Patriat, patron des sénateurs RDPI (LREM). D’autant que les marcheurs ont su trouver des alliés de circonstance : l’UDI. « Il y a une chance réelle avec les centristes », insiste François Patriat.

L’UDI en bande organisée avec LREM et le Modem

Vice-président à l’environnement de la région jusqu’à l’annonce de sa candidature qui en a surpris plus d’un, Thierry Burlot, auparavant socialiste, réuni les bannières de LREM, du Modem, et de l’UDI. « Burlot est un peu là à l’insu de son plein gré. Personne ne sait trop comment il est arrivé là », griffe le sénateur écologiste Daniel Salmon, en 28ème position sur la liste d’union des écolos en Ille-et-Vilaine. Certains y voient la patte du président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand, ancien président des Mutuelles de Bretagne et très proche d’Emmanuel Macron.

Soutien de la liste portée par Burlot, la sénatrice centriste Françoise Gatel, présidente de la délégation aux collectivités territoriales et alliée des Républicains au Sénat, rejette la faute sur la droite locale. « La liste rétrécie des Républicains a décidé de partir seule en rejetant les centristes. Ce n’est pas la culture de la Bretagne et des centristes. Je suis un peu surprise. Ils sont caricaturaux », regrette-t-elle. Chez Thierry Burlot, la sénatrice proche de Jacqueline Gourault, la ministre de la Cohésion des territoires, retrouve ce « qu’il y a de meilleur en Bretagne ». Elle préfigure quelques enjeux de la campagne bretonne : le « défi d’accueil de la population », « comment la Bretagne évite de se concentrer sur les métropoles ? » etc.

En face, dans le camp de la candidate Les Républicains Isabelle Le Callennec, le sénateur d’Ille-et-Vilaine Dominique de Legge cogne sur l’attelage formé par Thierry Burlot. « Il va falloir expliquer aux gens qu’une alliance de LREM, du centre et du Modem va avoir cours. Avec une tête de liste qui était au PS. Ça manque énormément de clarté ! Ce que je comprends dans cette histoire, c’est que Monsieur Macron cherche par tous les moyens à ne pas faire de trop mauvais scores en faisant des alliances bizarres… » La liste d’Isabelle Le Callennec aurait le mérite de la « clarté », selon le sénateur. « Elle réunit la droite et le centre qui ne va pas prendre ses ordres à l’Elysée, avec en sous-main le président de l’Assemblée nationale », tacle Dominique de Legge qui prévoit déjà les « marronniers de la campagne ». « Bretagne à cinq ou à quatre ? Le vrai enjeu c’est comment une région périphérique comme la nôtre peut tirer son épingle du jeu dans une Europe qui tend vers l’Est », fait valoir le sénateur de la commission des finances.

« Le vrai sujet, c’est comment on gagne et avec qui », assumait au Monde Thierry Burlot. Ses adversaires de gauche dénoncent tous une « liste de droite ». « Je trouve très étonnant connaissant Thierry que du jour au lendemain, il se trouve sur une liste LREM. Ce sont des choix politiques qui me dépassent et entretiennent beaucoup de confusion », déplore la sénatrice socialiste Sylvie Robert, soutien de Loïg Chesnais-Girard.

La gauche divisée

A gauche, les listes sont « éclatées ». Le sortant, Loïg Chesnais-Girard porte un projet de « social-écologie » dans une région agricole où les enjeux de transition écologique sont forts. Algues vertes, modèle agricole productiviste… Malgré les constats communs, l’ancien bras droit de Jean-Yves Le Drian fait route distincte avec la candidate écologiste Claire Desmares-Poirrier. « Regardez ce qu’il s’est passé pour les municipales et les sénatoriales. Les écologistes veulent se compter », griffe Sylvie Robert. « Le Drian a toujours tenu tête aux Verts. Loïg Chesnais-Girard n’est pas très vert-compatible », observe le LR Dominique de Legge.

L’écologiste, elle, revendique sa différence, et là aussi, sa « clarté » : « La réalité c’est qu’il y a encore six mois les conditions n’étaient pas réunies. Jean-Yves Le Drian siégeait jusqu’au mois d’avril avec les socialistes. Il y avait besoin de clarifications. On défend un programme résolument écologiste. » Convaincue par la demande d’écologie des Bretons, résumée par son triptyque « écologie, autonomie, solidarité » , la candidate pourra compter sur les soutiens des poids lourds écolos et de leurs alliés : Yannick Jadot, Éric Piolle, Noël Mamère ou encore Benoît Hamon ont prévu de faire le déplacement. Mais le terrain est miné. Claires Desmares-Poirrier doit affronter la candidature de Daniel Cueff, lui aussi tenant d’une ligne écologiste et premier maire à éditer un arrêté antipesticide à Langouët (Ille-et-Vilaine). « C’est décevant. On l’a appelé au rassemblement. Il me dit qu’il suit son destin. C’est une stratégie personnelle », cingle-t-elle.

Une alliance rose-vert pourrait-elle finir par éclore le soir du premier tour ? « Loïg Chesnais-Girard devrait faire une coalition avec les écolos. Ce serait mon souhait, je reconnais son bilan, sauf que le volet environnement a été trop peu pris en compte du fait du lobbying agroalimentaire », explique le sénateur écologiste « free-lance » Joël Labbé, qui a rendu sa carte EELV.

L’impossible choix de Jean-Yves Le Drian

L’ombre du « commandeur », comme l’appelle Françoise Gatel, plane irrémédiablement sur l’élection. Mais pour l’heure, c’est plutôt son silence qui pèse. Qui soutenir entre Loïg Chesnais-Girard et Thierry Burlot ? Le ministre des Affaires étrangères ne s’est toujours pas exprimé. « Le Drian est pris entre ses deux poulains. Il faut qu’il s’exprime vite », presse François Patriat. « Le Drian avait laissé une place très importante. Et il est dans une incapacité de faire un choix, il donne des gages aux deux », observe Daniel Salmon. Soutenir Loïg Chesnais-Girard ? Claire Desmares-Poirrier manque de s’étouffer : « Le Drian a tranché, il est ministre LREM. Ce serait une vaste blague ! » Dans les rangs socialistes, Sylvie Robert n’attend « rien » du ministre. « Je me demande ce qu’il pourrait faire, si ce n’est se taire. Il a un profond respect pour Loïg et c’est réciproque », confie-t-elle. La filiation est revendiquée par les deux concurrents. Mais Dominique de Legge décrypte, sans manquer d’égratigner le candidat macroniste : « Loïg Chesnais-Girard est le dauphin clairement désigné, Burlot arrive un peu comme dans un jeu de quilles. C’est un peu compliqué d’avoir été vice-président pendant 12 ans dans la majorité de Loïg Chesnais-Girard. Le Drian laisse planer le doute en espérant qu’il puisse choisir au second tour. »

Une situation qui pourrait profiter au RN ? Tous reconnaissent qu’il ne faut pas négliger le risque. Le candidat de Marine Le Pen, Gilles Pennelle est bien implanté et avait obtenu 18,87 % des suffrages au second tour en 2015. Mais les terres bretonnes ne sont pas les plus accueillantes pour le parti à la flamme. « Le risque RN est relativement relatif. L’absence de clarté peut donner envie à certains de se lâcher », prévient Dominique de Legge. Car c’est aussi dans le Morbihan, à la Trinité-sur-Mer, sur le « sol en terre battue d’une maison de pêcheur » qu’un autre « Menhir » a vu le jour : Jean-Marie Le Pen.

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