Remaniement : « Tout ça pour ça », les sénateurs raillent un « gouvernement de revenants »

Remaniement : « Tout ça pour ça », les sénateurs raillent un « gouvernement de revenants »

Interrogés par Public Sénat, les sénateurs de droite et de gauche dénoncent un remaniement cosmétique, qui ne prend pas en compte les nouveaux équilibres parlementaires. La nomination d’un nouveau ministre des Relations avec le Parlement est un point d’agacement. Soutien de la majorité, le sénateur Alain Richard se félicite de son côté de la nomination de profils compétents, « déjà plongés dans les dossiers ».
Public Sénat

Par Romain David et Louis Mollier-Sabet

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Un air de déjà-vu ? Le remaniement gouvernemental présenté lundi 4 juillet fait rentrer au sein de l’exécutif plusieurs personnalités du précédent quinquennat, dont Marlène Schiappa, Geneviève Darrieussecq ou encore Sarah El Haïry. La plupart des poids lourds de la macronie, comme Gérald Darmanin, Bruno Le Maire, ou encore Éric Dupond-Moretti conservent leur poste. Au Sénat, du côté des oppositions, on raille un réajustement à la marge, qui ne reflète pas les équilibres parlementaires et trahit implicitement l’échec d’Emmanuel Macron et d’Élisabeth Borne à rallier, lors des consultations organisées après les législatives, des personnalités issues des camps adverses. « Si j’étais Shakespeare, je dirais : tout ça pour ça ! », ironise auprès de Public Sénat Roger Karoutchi, le vice-président LR du Sénat, le groupe majoritaire au sein de la Chambre haute. « La politique de braconnage a montré ses limites », abonde le sénateur Patrick Kanner, président du groupe PS. « C’est chou blanc, deux semaines qui n’ont servi à rien. Il y a du MoDem qui vient un peu plus en force pour calmer François Bayrou, du Horizons qui se conforte aussi », relève-t-il. « Cela ne va pas être simple de dégager des majorités à l’Assemblée nationale, et cela montre que la Macronie est en perte de vitesse. Les gens n’ont pas envie de se mouiller dans un gouvernement qui pourrait sauter à la moindre dissolution. »

« Il y a un rééquilibrage au sein d’Ensemble. On voit très bien que le MoDem et Horizons sont mieux servis. Je dirais que c’est un gouvernement de revenants. Des gens partis, sans que l’on sache très bien pourquoi, reviennent. Sans non plus que l’on sache pourquoi », commente également le sénateur communiste Pierre Ouzoulias, sur notre antenne. « Je crois sincèrement que le message politique envoyé par les Français n’a pas été compris », ajoute-t-il. Sa collègue, Éliane Assassi, présidente du groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste au Palais du Luxembourg, dresse en quelques mots un constat similaire, citant Tomasi di Lampedusa et la célébrissime réplique du Guépard, immortalisée par Alain Delon dans le film de Visconti : « Il faut que tout change, pour que rien ne change ».

>> Retrouvez la liste des ministre du nouveau gouvernement d’Élisabeth Borne

Un gouvernement pléthorique, et pourtant « symptomatique d’une faible profondeur de banc »

Premier enseignement de ce remaniement : l’élargissement important de l’équipe gouvernementale, qui passe de 27 membres dans la précédente mouture à 41. Mais pour les sénateurs, cette configuration ne correspond pas nécessairement au contexte politique. « On nous avait parlé d’un gouvernement d’action, ce qui laissait penser à un gouvernement resserré. Résultat : avec 41 ministres, on appesantit la structure gouvernementale, et on se retrouve avec beaucoup de gens dont on peut se demander ce qu’ils vont faire. C’est un gouvernement pléthorique de dilution de la responsabilité », poursuit Roger Karoutchi. Et de noter le nombre important de personnalités, principalement ministres délégués et secrétaires d’Etat, inconnus du grand public : « Je prédis que la moitié d’entre eux le resteront jusqu’au terme du quinquennat », raille-t-il.

« Ce gouvernement est symptomatique de ce que l’on appelle, au rugby, la faible profondeur de banc », abonde Pierre Ouzoulias. « C’est-à-dire que pendant cinq ans, le président Macron n’a pas réussi à constituer autour de lui un écosystème politique qui lui permette de faire monter des ministres parmi ceux qui l’ont servi. » Un constat que tient à nuancer le sénateur LREM Alain Richard sur notre antenne : « C’est un gouvernement qui est fait pour travailler. Les personnes mises en place sont en général solides, expérimentées, il y a aussi une prise en compte de gens qui ont fait leurs preuves dans la société civile », explique-t-il en évoquant le cas de François Braun, médecin urgentiste nommé ministre de la Santé, et celui de Jean-Christophe Combe, ex-directeur général de la Croix Rouge, qui remplace Damien Abad comme ministre des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées. « On a l’impression de personnes qui sont déjà plongées dans les dossiers. C’est un gouvernement qui est fait pour travailler, pas pour faire des coups », souligne l’élu du Val-d’Oise.

Olivier Véran passe des Relations avec le Parlement au porte-parolat, un changement qui agace les sénateurs

Parmi les personnalités qui trouvent grâce aux yeux des sénateurs d’opposition, citons le maire de Clichy-sous-Bois, Olivier Klein, nommé à La Ville, un portefeuille qu’a occupé Patrick Kanner sous François Hollande : « Il sera une personne de compétence. C’est de Clichy-sous-Bois que sont venus les événements de 2005 et je connais son engagement sur le sujet, c’est un homme de progrès, mais il était macronisé depuis bien longtemps », pointe-t-il. Le retour de Marlène Schiappa ne surprend pas outre mesure Roger Karoutchi : « Je m’entendais bien avec elle, et je trouve qu’en tant que ministre déléguée à l’Intérieur, elle était mieux que l’image que certains essayaient de lui donner », glisse-t-il.

En revanche, le jeu de chaises musicales autour du portefeuille des Relations avec le Parlement agace les élus. Olivier Véran laisse la place à Franck Riester pour prendre en charge le porte-parolat du gouvernement. Pour Roger Karoutchi, le départ du ministre, à deux jours de la déclaration de politique générale d’Élisabeth Borne devant les parlementaires, est une nouvelle marque de mépris à l’égard des deux chambres : « Olivier Véran a passé un mois à recevoir les présidents de groupes et les présidents de commissions, à discuter avec les uns et les autres, à mettre en place une méthode de travail. Il a consacré du temps à faire ce qu’aucun de ses prédécesseurs n’avait jamais fait, ce qui nous laissait penser que la manière de faire et les rapports entre le Parlement et l’exécutif allaient peut-être changer », rapporte-t-il. « Le remplacer est une nouvelle marque de désinvolture à l’égard du Sénat et de l’Assemblée nationale. Ce n’est pas correct. Il ne s’agit pas d’une critique pour Franck Riester, mais que voulez-vous qu’il fasse d’ici mercredi ? Il sera directement plongé dans le bain », soupire l’élu des Hauts-de-Seine.

« J’espère que le nouveau ministre se rendra compte que l’on a besoin de travailler avec toutes les composantes politiques, mais avec les signaux donnés je ne me fais plus beaucoup d’illusions sur le cap qui est donné », soupire le sénateur Guillaume Gontard, président du groupe écologiste, solidarité et territoires. « On était plutôt en phase avec le positionnement de notre ami Véran. C’est dommage parce qu’il m’avait dit que c’était vraiment le ministère qu’il voulait », confie Patrick Kanner. « La situation fait que l’on a voulu chercher quelqu’un venant de la droite plutôt que de la gauche pour gérer la situation au Parlement. Cela penche de plus en plus à droite et la jambe gauche historique du gouvernement est de plus en plus nécrosée. » Le socialiste cible plus particulièrement deux membres d’Horizons, ex-LR : Christophe Béchu et Caroline Cayeux, « deux ministres anti-Mariage pour tous ».

>> Lire notre article : Qui est Christophe Béchu, le nouveau ministre de la Transition écologique ?

Damien Abad contraint au départ, Gérald Darmanin renforcé

Le maintien de Gérald Darmanin, qui hérite d’un ministère de l’Intérieur élargi aux collectivités territoriales et à l’Outre-mer, l’un des plus puissants sous la Ve République, interroge. L’ancien maire de Tourcoing, qui a fait face sous le précédent quinquennat à des accusations de viol et de harcèlement - le parquet a requis un non-lieu en janvier dernier -, est apparu fragilisé après les débordements en marge de la finale de la Ligue des Champions au Stade de France. « Il continue à élargir son portefeuille malgré ces différents fiascos, en intégrant l’Outre-mer ce que je regrette. Considérer les Outre-mer sous le prisme des collectivités territoriales, j’espère que ce ne sera pas une traduction d’une politique ultramarine sécuritaire. Ce sont peut-être les votes à la présidentielle pour Marine Le Pen et pour la gauche aux législatives, qui font que ce sont des territoires qu’il faut bâillonner. Il faut se poser la question », analyse Patrick Kanner. « Il y a un renforcement du ministère de l’Intérieur avec Gérald Darmanin, qui reste et est même conforté. La seule petite satisfaction c’est Damien Abad. C’était une erreur de le nommer », ajoute Guillaume Gontard.

Avec le départ de Damien Abad, « la présomption d’innocence ne résiste pas », constate d’un ton grave le sénateur Alain Richard. « Les accusations publiques, partiellement crédibles, même si nous sommes très loin d’une condamnation publique, se sont poursuivies et l’on saura, dans bien des années, si elles étaient fondées », ajoute-t-il. Lors de la passation de pouvoir, le ministre a encore tenu à dénoncer « les calomnies ignobles dont [il est] la cible ».

La parité à l’épreuve des responsabilités

Les sénateurs attirent également l’attention sur une parité en trompe-l’œil. Car si le gouvernement compte 20 femmes pour 21 hommes, quinze d’entre elles restent cantonnées à des postes de ministres déléguées ou de secrétaires d’Etat. « En matière de responsabilité, on n’est plus du tout dans la parité. Il y a 11 hommes et 5 femmes ministres de plein exercice, 9 hommes et 6 femmes ministres délégués pour un seul homme secrétaire d’Etat et 9 femmes », énumère Patrick Kanner. « Je crois que c’est la première fois depuis 2012 qu’il n’y a pas la parité dans les ministères de plein exercice »

« Cela révèle l’importance portée à la question par Emmanuel Macron, mais surtout son isolement. Il n’a pas pu élargir au-delà de son périmètre, qui se réduit petit à petit, il n’a plus d’autres alternatives. Il a une petite cour qui se réduit autour de lui », conclut Guillaume Gontard.

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