Reporter l’âge légal de la retraite augmente-t-il le PIB, comme l’affirme Emmanuel Macron ?

Reporter l’âge légal de la retraite augmente-t-il le PIB, comme l’affirme Emmanuel Macron ?

Nouvel argument avancé par Emmanuel Macron pour justifier la réforme des retraites, le Président de la République estime que reporter l’âge de départ augmentera le volume de travail dans le pays, et donc la richesse nationale. Pourtant, l’évaluation précise de ces gains reste incertaine, parce que la réforme plongerait aussi de nombreux seniors dans la précarité.
Louis Mollier-Sabet

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Ce mardi à Rungis, Emmanuel Macron s’est drapé du « bon sens » des « Français qui travaillent tôt » pour défendre sa réforme des retraites. Une sortie sarkozienne qui n’a pas manqué de faire parler, mais une autre phrase du chef de l’Etat est passée un peu plus inaperçue : « Cette réforme permet de créer plus de richesses pour le pays, parce qu’on va avoir plus d’heures travaillées. » Une justification du report de l’âge légal de départ que l’on n’entend pas souvent dans la bouche du gouvernement, et qui fait de la réforme des retraites un outil macroéconomique permettant d’augmenter la croissance par une politique de l’offre. « Il y a des effets macroéconomiques, c’est pour ça qu’on la fait », lâchait par exemple Philippe Aghion sur BFM Business le 13 janvier dernier, économiste au Collège de France et soutien d’Emmanuel Macron lors de sa campagne de 2017.

Le principe repose sur une équation assez basique : repousser l’âge légal de départ à la retraite oblige les Français à reporter leur sortie du marché du travail, ce qui augmente le volume total d’heures travaillées sur un an, ce qui à son tour augmente le volume de richesse produite dans le pays, mesuré par le PIB. Elémentaire, mon cher Macron. Pourtant, ce syllogisme pose au moins deux questions. Augmenter l’âge légal augmente-t-il vraiment le nombre total d’heures travaillées, au vu des débats qui existent autour de l’effet d’un report de l’âge légal sur l’emploi des seniors ? Ensuite, quels sont les effets réels en termes de croissance et d’emplois de l’augmentation d’heures travaillées qui en résulterait ? En somme, qu’y a-t-il derrière ce « plus de richesses pour le pays » évoqué par Emmanuel Macron, censé financer des investissements aussi lourds que ceux nécessaires à nos systèmes éducatif, de santé, ou à la réindustrialisation, tous trois évoqués par Emmanuel Macron à Rungis ?

« Cela suppose que les seniors qui ne soient plus à la retraite soient en emploi »

En théorie, pour Bruno Coquet, docteur en économie et chercheur associé à l’OFCE, « ce calcul macroéconomique reprend des mécanismes bien connus. » Augmenter la durée de travail de « gens qui sont dans des emplois qualifiés, qui vont bien, et avec des gros salaires » crée en effet un « choc d’offre », et donc une augmentation de la production, mais aussi des rentrées fiscales pour l’Etat, puisqu’au lieu de verser les pensions, les mêmes personnes payent des cotisations, explique Nicolas Touzé, économiste à l’OFCE. « Mécaniquement, cela augmente la capacité productive de la Nation : quand on augmente la population active, la production potentielle augmente. En plus, comme, par définition, les salaires sont plus élevés que les pensions, il y a toute une manne pour l’Etat en plus des biens et services produits. Cela nourrit le système fiscal et le système de retraites, pour l’Etat, le calcul est assez avantageux. »

Dans la pratique, en revanche, « lier l’augmentation du nombre d’heures travaillées à la réforme des retraites, cela suppose que les seniors qui ne sont plus à la retraite soient en emploi », avertit Bruno Coquet. « Le défi, c’est l’employabilité des seniors », confirme Nicolas Touzé. La réforme de 2010 a « eu un effet massif sur la hausse du taux d’activité et du taux d’emploi », explique l’économiste, mais son collègue à l’OFCE Bruno Coquet précise : « C’est principalement parce que les seniors en emploi l’ont conservé, notamment en CDI. Mais il y a des gens qui ne peuvent pas continuer à travailler dans de bonnes conditions, vous ne faites jamais du 1 pour 1. » D’autant plus que repousser l’âge légal de départ peut aussi conduire à prolonger le chômage de seniors qui n’étaient déjà pas en emploi avant 62 ans. « Dans les données sur la probabilité de retour en emploi des différentes catégories de chômeurs, la plus basse de toutes, c’est les seniors. Quand on regarde les chômeurs qui sont formés, et qui marquent donc une volonté de retour à l’emploi, les seniors ont la plus faible probabilité de retour à l’emploi ex aequo avec les handicapés. »

« La réforme maintiendrait de l’ordre de 150 000 à 200 000 personnes dans le sas de précarité entre l’emploi et la retraite »

Une fois sortis du circuit de l’emploi, la probabilité de ne pas en retrouver est donc « extrêmement forte » pour les seniors, explique le chercheur. L’augmentation du taux d’activité avec le report de l’âge légal à la retraite concerne donc les catégories les plus stables et les mieux payées de la population. « Même si les seniors retrouvent un emploi à mi-temps au SMIC, ils ne vont pas cotiser beaucoup, vous allez distribuer de la prime d’activité, l’Etat y gagne moins. Si les gens perdent du capital humain, cela va à l’encontre de l’effet horizon attendu [sur l’augmentation du taux d’emploi] », développe Bruno Coquet.

À cet égard, une note de la Direction de l’Animation de la Recherche, des Études et des Statistiques (DARES, p.8), présentée au Conseil d’Orientation des Retraites (COR) en janvier 2022, évalue à 84 000 le nombre de nouveaux bénéficiaires des allocations-chômage dus à un décalage de l’âge légal de départ à la retraite de 63 à 64 ans. Une autre note, présentée par la DARES (p. 4) au COR lors de la même session de janvier 2022, évalue, sur le même mécanisme, à 60 000 le nombre des allocataires supplémentaires aux minima sociaux (RSA et ASS, qui bénéficient aux personnes ayant épuisé leurs droits aux allocations-chômage). Au total, pour l’économiste Michaël Zemmour, en ajoutant les personnes ne bénéficiant d’aucune prestation sociale, « la réforme maintiendrait de l’ordre de 150 000 à 200 000 personnes dans le sas de précarité entre l’emploi et la retraite. »

« Le gouvernement ne l’a pas mis en avant dans son étude d’impact, c’est une curiosité »

Un effet non-négligeable sur « le nombre d’heures travaillées » supplémentaires envisagées par le gouvernement, puisque le report de l’âge légal de départ de 62 à 64 ans est censé maintenir 300 000 personnes supplémentaires en emploi. « 300 000 personnes sur 7 ou 8 ans, ce n’est pas gigantesque, cela fait 40 000 – 45 000 par an. Une génération de retraités, c’est 800 000 personnes tous les ans, donc ça fait environ un vingtième. Ce n’est rien d’une certaine manière. » Un gain « pas gigantesque » en termes d’emploi, donc, qui serait en plus amputé par les 150 000 personnes supplémentaires bénéficiaires des allocations-chômage et des minima sociaux, un coût pour les finances publiques évalué par la DARES à un peu moins de 5 milliards : 1,3 milliard d’allocations-chômage supplémentaires, et 3,6 milliards de minima sociaux.

L’impact précis de ces seniors qui resteraient hors de l’emploi, malgré le décalage de l’âge de départ à la retraite n’a pas été évalué précisément, explique Bruno Coquet : « Le gouvernement ne l’a pas mis en avant dans son étude d’impact, c’est une curiosité, il aurait probablement pu le faire. Pour le moment, seul le chiffre de 300 000 est avancé, comme si ça ne créait aucun chômeur, or c’est ce chiffre qui permettrait d’évaluer précisément l’impact macroéconomique. C’est probablement que la mécanique décrite par le Président ne doit pas être si évidente que ça. »

« C’est aussi un moyen pour l’Etat de se redonner des coudées franches sur les finances publiques »

En revanche, un effet du report de l’âge légal doit aussi être pris en compte dans l’évaluation macroéconomique de la réforme : l’effet multiplicateur que pourrait avoir une amélioration de la crédibilité de la France sur les marchés financiers, explique Nicolas Touzé. « C’est aussi un moyen pour l’Etat de se redonner des coudées franches sur les finances publiques. Quand 14 % de votre dette est renouvelée tous les ans, une augmentation des taux d’intérêt peut coûter cher. Être crédible sur la dépense publique, et en particulier sur les retraites, c’est une possibilité d’investir dans l’éducation, la santé ou l’orientation de la politique industrielle. Le système des retraites a aussi besoin de la prospérité de demain, ce ne sont pas seulement des calculs paramétriques du solde comptable. »

Un paramètre qui pourrait expliquer la discrétion du gouvernement sur cette approche macroéconomique de la réforme des retraites. « Le gouvernement n’est peut-être pas là pour alerter les investisseurs internationaux, il doit dire qu’il faut continuer à acheter de la dette française », s’interroge l’économiste à l’OFCE. Pourtant, au-delà de l’approche budgétaire martelée par le gouvernement, cette vision économique et financière semble être un axe structurant de la réforme des retraites, sans être mise en avant dans la communication du gouvernement. Une contradiction qui explique peut-être certaines difficultés de l’exécutif en termes de communication lors de cette bataille des retraites.

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