Retraites : les sénateurs LR veulent durcir la réforme sur les régimes spéciaux, mais vont devoir convaincre les centristes

Retraites : les sénateurs LR veulent durcir la réforme sur les régimes spéciaux, mais vont devoir convaincre les centristes

Le Sénat démarrera la semaine prochaine l’examen du texte sur la réforme des retraites, et commencera par l’extinction de certains régimes spéciaux. La droite veut aller plus loin en touchant les salariés actuels malgré la clause du grand-père, mais devra convaincre ses alliés centristes, pour le moment opposés à la mesure, avant même de rentrer dans les tractations avec la majorité présidentielle.
Louis Mollier-Sabet

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Premier article, premières embûches pour la majorité sénatoriale. Alors que le Sénat devrait examiner l’article 1er du projet de loi le vendredi 3 mars, l’extinction des régimes spéciaux constituera le premier gros morceau du texte sur les retraites et, comme on pouvait s’y attendre, la droite compte peser au Sénat pour aller plus loin sur ce point. Seul article qui puisse se targuer d’avoir été voté par l’Assemblée nationale, la version de l’article 1er adoptée par les députés prévoit la mise en extinction de cinq régimes spéciaux : celui de la RATP, des Industries Electriques et Gazières (IEG), du Conseil social économique et environnemental (Cese), de la Banque de France et des clercs et employés de notaires (CRPCEN).

« Les régimes visés sont ceux qui sont structurellement déficitaires »

« Beaucoup se demandent pourquoi ceux-là, alors qu’il existe 42 régimes spéciaux », explique Sylvie Vermeillet, la rapporteure spéciale centriste des « régimes sociaux de retraite » lors de l’examen du budget de l’Etat chaque automne. « Les régimes visés sont ceux qui sont structurellement déficitaires, soit à cause d’un déséquilibre démographique, soit à cause d’avantages spécifiques. Ce sont les régimes pour lesquels l’Etat, soit verse une subvention directe [RATP], ou compense grâce à une taxe affectée [IEG ou CRPCEN]. » La Banque de France est un cas particulier, explique Sylvie Vermeillet, puisque malgré un déficit de presque 500 millions d’euros l’année dernière, l’Etat ne compense pas.

« Mais la Banque de France prend dans ses réserves de 15 milliards d’euros, et est structurellement déficitaire, avec 36 millions de recettes, pour 508 millions de dépenses », détaille-t-elle. Certains députés avaient notamment mis en cause la caisse autonome des sénateurs, qui n’est pas déficitaire et ne rentrerait donc pas dans ce cadre. Pour les nombreux régimes spéciaux restants, « certains vont plutôt bien », explique la sénatrice centriste, tandis que certains concernent « tellement peu de personnes que c’est insignifiant », comme le port autonome de Strasbourg, qui compte quelque 200 cotisants. Par ailleurs, seule la caisse retraite de ces régimes spéciaux serait éteinte, les couvertures maladies ou les branches maternités ne seront pas touchées par la réforme.

« Ça nous emmène jusqu’aux années 2100 ! »

Seulement pour la droite sénatoriale, la version votée à l’Assemblée ne va pas suffisamment loin. Comme lors de la suppression du régime spécial de la SNCF, la majorité présidentielle a misé sur une « clause du grand-père » qui prévoit que les salariés embauchés dans un statut bénéficiant d’un régime de retraite spécial continuent d’en bénéficier. Ainsi les employés actuels de la RATP, des IEG, de la Banque de France, du Cese ou les notaires en activité aujourd’hui ne seront pas touchés par l’extinction de ces régimes spéciaux. Une injustice, pour la droite sénatoriale. C’est son chef de file, Bruno Retailleau, qui a tiré le premier coup de semonce dans le JDD le 11 février dernier, en dénonçant une « entourloupe » et en affirmant vouloir « décaler de deux ans l’âge d’annulation de la décote pour les régimes spéciaux. »

René-Paul Savary, rapporteur LR du projet de loi, rappelle que cette disposition figure dans l’amendement sur le report de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans, voté dans le budget de la Sécu depuis quatre ans par la majorité sénatoriale.  « Notre position est constante, il faut trouver une convergence avec le régime général pour les régimes spéciaux », explique le spécialiste ès-retraites de la droite au Sénat. En fait, dans l’état actuel de la réforme, détaille-t-il, ces régimes spéciaux seront bien « mis en extinction », mais ils continueront de financer la retraite des salariés actuels le temps que ceux-ci arrivent à l’âge de la retraite, liquident leur pension, en bénéficient pendant le reste de leur vie et que leurs ayants droit – un éventuel conjoint plus jeune par exemple – en bénéficient aussi. « Ça nous emmène jusqu’aux années 2100 ! » s’exclame René-Paul Savary. « Le gouvernement présente la suppression des régimes spéciaux comme une mesure d’égalité, je ne suis pas sûr que les gens verraient les choses du même œil s’ils savaient ça », détaille-t-il.

« C’est déjà suffisamment controversé, il faut être un peu habile politiquement »

La droite sénatoriale voudrait donc « faire converger » les régimes spéciaux s’appliquant aux salariés actuels vers le régime général en plus de la mise en extinction pour les nouveaux embauchés. « La réforme des retraites est un effort collectif, pourquoi ceux qui en bénéficient actuellement ne seraient pas touchés ? Il faut qu’ils soient concernés », martèle René-Paul Savary. Dans Les Echos, ce mercredi, le président du groupe centriste, Hervé Marseille, estime que cette proposition « mérite considération », mais que la majorité sénatoriale, dont le groupe centriste est l’autre composante, doit faire attention à « examiner cela avec précaution », puisque cela pourrait « relancer la contestation. »

Au groupe centriste, loin des micros, certains grincent tout de même un peu des dents et estiment que Bruno Retailleau « aura l’occasion de s’en expliquer » avec Hervé Marseille. « M. Retailleau cherche de l’argent pour faire passer des mesures concernant les familles, mais les régimes spéciaux, ce n’est pas le sujet. C’est déjà suffisamment controversé, il faut être un peu habile politiquement », tance un sénateur.

René-Paul Savary assure pourtant que ses alliés centristes sont parfaitement en phase avec la proposition de LR. « On a toujours voté cet amendement dans le budget de la Sécurité sociale, ça ne pose aucun problème », rappelle-t-il. « Un amendement dans le budget de la Sécu, ce n’est pas un projet de loi », lui répond Élisabeth Doineau, rapporteure générale centriste du budget de la Sécurité sociale, qui épaulera René-Paul Savary pour mener les débats au Sénat du côté de la majorité sénatoriale. « On va beaucoup plus loin dans la précision, ça nécessite de travailler sur une écriture commune, alors que l’on a tous nos sujets de prédilection » ajoute-t-elle.

« C’est un des points de négociation avec les LR »

Élisabeth Doineau confirme ainsi que la mise en extinction des régimes spéciaux constitue « l’un des points que l’on doit négocier avec les LR. » Justement, Bruno Retailleau, qui ne veut pas s’épancher sur le sujet, lâche, lui aussi, par sms : « C’est en cours d’arbitrage. » Les négociations vont donc bon train, mais sur le fond, la rapporteure générale du budget de la Sécu admet « ne pas être sûre que ce soit conforme à notre idée au groupe Union centriste. » Elle poursuit : « On trouve que ce qui est proposé est acceptable. Il est important de reconsidérer ces régimes spéciaux, qui ont été mis en place il y a fort longtemps pour certains, et qui ne sont parfois plus adaptés. D’autant plus qu’ils sont déficitaires. Il ne nous semble pas utile d’en rajouter. »

Sylvie Vermeillet, sénatrice centriste qui s’exprime au titre de sa charge de rapporteure spéciale des crédits du budget de l’Etat consacrés à ces régimes spéciaux, ne semble pas emballée non plus. « Personnellement je ne suis pas favorable à aller plus loin et à être plus dur, à partir du moment où l’on définit une clause du grand-père on les laisse s’éteindre progressivement », explique-t-elle. Cette spécialiste du sujet rappelle aussi – comme René-Paul Savary – que compte tenu de la nécessité de continuer à financer la retraite des salariés actuels, des négociations auront de toute façon lieu entre le régime général et ces régimes spéciaux pour gérer la transition : « C’est ce qui existe au niveau de la SNCF. Mais pour ça, il faut des négociations, il y a beaucoup de mesures à mettre en œuvre, pas seulement harmoniser l’âge de départ, c’est pour ça que le texte renvoie à un décret : des négociations vont perdurer après le projet de loi pour régler ça, mais dans le projet de loi, il faut être prudents. »

Régimes spéciaux : « C’est compliqué d’aller plus loin »

Difficulté supplémentaire, même si la majorité sénatoriale finit par accorder ses violons, il faudra ensuite faire accepter la mesure au gouvernement et arriver à la négocier lors de la commission mixte paritaire ou la droite du Parlement et la majorité présidentielle devront se mettre d’accord. Le groupe RDPI de la majorité présidentielle au Sénat arrêtera une position ce vendredi après-midi, mais « à titre personnel », le sénateur Martin Lévrier « n’a plus très envie de bouger » : « Il y a eu énormément de négociations, des efforts ont été faits du côté du gouvernement, du côté de LR aussi. On peut faire une belle loi, mais la somme des concessions pourrait la gâcher. »

Le sénateur des Yvelines n’est pourtant « pas inquiet », parce que « chacun sait ce qu’il a à faire » : « Qu’il y ait des discussions, bien sûr, mais des demandes couperets, je n’y crois pas. Le Sénat est face à de très grandes responsabilités pour protéger la démocratie parlementaire. » Son collègue du groupe RDPI, Xavier Iacovelli, appelle, lui aussi, à « respecter l’équilibre qui avait été trouvé dans les discussions avec les partenaires sociaux » et estime qu’il est « compliqué d’aller plus loin », tout en n’excluant pas que « cela évolue dans le débat parlementaire. » Du côté de la macronie, on essaie surtout de ne pas « crisper les débats » pour maintenir le lien avec LR, alors que Bruno Retailleau, président du groupe LR, et Hervé Marseille, président du groupe centriste, rencontrent Élisabeth Borne pour préparer l’examen du texte au Sénat ce vendredi.

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