Retraites : que se passerait-il si le Sénat n’achevait pas l’examen du texte dans les temps ?

Retraites : que se passerait-il si le Sénat n’achevait pas l’examen du texte dans les temps ?

A quelques jours de l’examen de la réforme des retraites, la majorité sénatoriale de droite a déjà indiqué qu’elle voterait le texte, mais le temps d’examen est contraint et la gauche va jouer la montre jusqu’au 12 mars au soir afin que la réforme ne soit pas adoptée. Et le gouvernement a besoin d’un vote en première lecture du Sénat sous peine de rendre sa réforme inconstitutionnelle.
Simon Barbarit

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La réforme des retraites arrive en séance publique au Sénat le 2 mars et contrairement à l’Assemblée, les parlementaires de la chambre haute ont promis un débat de fond sur chaque article le texte. La droite et le centre majoritaires au Sénat veulent poser leur patte sur la réforme qu’ils comptent bien adopter. Depuis plusieurs années, la majorité sénatoriale vote d’ailleurs un amendement repoussant l’âge de départ à la retraite de 62 à 64 ans.

Les trois groupes de gauche (PS, CRCE à majorité communiste, et les écologistes) sont unis contre la réforme mais veulent, eux aussi, en débattre y compris de son article 7 qui prévoit le report de l’âge légal. Ils se sont coordonnés et prévoient d’utiliser toutes les motions de procédure (question préalable, renvoi en commission, motion référendaire. Lire notre article sur le sujet), de déposer quelque 2000 d’amendements afin de prendre le plus de temps possible. « Nous prendrons le temps nécessaire avec comme objectif que le 12 au soir, le texte ne soit pas fini d’être examiné », a précisé la présidente du groupe CRCE, Éliane Assassi.

Pourquoi la gauche du Sénat ne veut pas que texte soit adopté le 12 mars ?

La réforme figure dans un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale. Conformément à l’article 47-1 de la Constitution, le temps de l’examen au Parlement est limité à 50 jours. Dans le détail, en première lecture, l’Assemblée nationale disposait de 20 jours. Le 17 février dernier, les députés n’ont pas été au-delà de l’examen de l’article 2 et comme la Constitution l’autorise, le gouvernement a transmis le texte au Sénat malgré l’absence de vote sur l’ensemble de la réforme de la part des députés. La Haute assemblée débutera l’examen du texte le 28 février en commission et comme la Constitution lui accorde 15 jours pour adopter en première lecture un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, c’est le 12 mars au plus tard que les sénateurs devront se prononcer.

« La Constitution est claire, le Sénat doit se prononcer dans les 15 jours. Si le 12 mars à minuit, les sénateurs n’ont pas voté l’ensemble du texte, il est quand même transmis en commission mixte paritaire (qui rassemble 7 députés et 7 sénateurs) », indique Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Le risque de l’atteinte manifeste à la sincérité du débat parlementaire

Les parlementaires pourraient alors s’accorder sur un texte en commission mixte paritaire où la droite et Renaissance sont majoritaires. La réforme retournerait ensuite devant les deux assemblées. « Mais si la réforme n’a pas été adoptée dans sa totalité en première lecture ni par l’Assemblée nationale, ni par le Sénat, le Conseil Constitutionnel pourrait décider qu’il y a eu une atteinte manifeste à la sincérité du débat parlementaire et censurer le texte », explique Dominique Rousseau.

Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l’Université Paris II Panthéon-Assas estime pour sa part que le gouvernement n’est pas bloqué par la date du 12 mars pour faire adopter le texte au Sénat. « Le Conseil constitutionnel considère que dès lors que la procédure globale est respectée, le gouvernement peut laisser courir les débats au Sénat au-delà de 15 jours à condition de ne pas priver l’Assemblée nationale du vote en dernière lecture. L’ensemble des délais peut dépasser les 50 jours, tant que l’Assemblée nationale examine le texte en seconde lecture. Ce qui serait inconstitutionnel, c’est que le Sénat examine la réforme jusqu’au 26 mars. Et que le gouvernement passe par ordonnance une fois ce délai passé ».

Une réforme des retraites appliquée par ordonnances ?

Dès lors que le délai constitutionnel écoulé depuis le dépôt de l’intégralité du texte à l’Assemblée nationale dépasse 50 jours, le Gouvernement est libre de mettre en œuvre les dispositions du projet de loi par ordonnance. Même s’il n’y a aucun intérêt, il peut également décider de laisser se clore la navette au-delà de ce délai. « Ces ordonnances ont été prévues par la Constitution pour permettre à un gouvernement qui n’a pas fait adopter son budget de la sécurité sociale en fin d’année, de pouvoir le rendre quand même effectif au 1er janvier de l’année suivante. Cette notion d’urgence n’est pas valable pour la réforme des retraites qui n’aura pas d’effet budgétaire pour 2023. Ces ordonnances n’auraient d’ailleurs qu’un effet temporaire en attendant le vote d’un nouveau budget de la Sécu », expose Benjamin Morel.

En ce qui concerne la navette parlementaire, deux hypothèses se présentent. La plus probable, un accord est trouvé en commission mixte paritaire, le texte élaboré sera soumis à l’approbation des deux assemblées. Aucun amendement n’est recevable, sauf accord du gouvernement, en nouvelle lecture. Si la commission mixte paritaire ne parvient pas à un accord, alors le gouvernement peut, après une nouvelle lecture dans les deux chambres, demander à l’Assemblée nationale de statuer définitivement. Afin d’éviter les débats chaotiques de la première lecture à l’Assemblée, où 20 000 amendements avaient été déposés dont plus de la moitié par le groupe LFI, le gouvernement aurait probablement recours à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution.

La réforme suspendue à l’avis du Conseil constitutionnel

Comme nous l’avons déjà écrit, plusieurs motifs d’inconstitutionnalité planent sur la réforme des retraites. Le Conseil d’Etat a déjà alerté le gouvernement sur certaines mesures, comme l’index des seniors, qui n’auraient pas leurs places dans un projet de loi de projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale. C’est ce qu’on appelle des cavaliers sociaux et ils pourraient être retoqués par les Sages de Montpensier.

« Il y a trois motifs d’inconstitutionnalité qui pourront être invoqués. Les cavaliers sociaux, l’atteinte à la sincérité des débats parlementaire et le choix d’un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale. Pour les deux derniers motifs, le Conseil n’aura alors pas à se prononcer sur le fond de la réforme. Il jouera un rôle d’aiguilleur en indiquant au gouvernement si oui ou non la procédure suivie était la bonne », résume Dominique Rousseau.

 

 

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