Rôle, composition, indépendance, transparence : tout savoir sur le Conseil constitutionnel

Rôle, composition, indépendance, transparence : tout savoir sur le Conseil constitutionnel

Saisi sur la réforme des retraites, le Conseil constitutionnel se retrouve au centre des regards. Les Sages de la rue Montpensier rendront leur décision le 14 avril sur une éventuelle censure, partielle ou totale, du texte. Mais comment fonctionne l’institution présidée par Laurent Fabius ? Eléments de réponses en treize questions.
François Vignal

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Le Conseil constitutionnel se retrouve de plus en plus au cœur de l’actualité. Ses décisions sont attendues par les citoyens, parfois craintes par les politiques et les gouvernements. Mais comment fonctionne l’institution ? Le point en treize questions.

  • Quel est le rôle du Conseil constitutionnel ?

Le Conseil constitutionnel assure le contrôle de la constitutionnalité de la loi et des règlements. Il est le garant du respect de la Constitution de 1958. L’objectif « est de s’assurer que les différents organes restent dans leur rôle, que le Parlement ne trouve pas de biais détourné pour renverser le gouvernement et que le gouvernement ne trouve pas de biais pour légiférer sans l’aval du Parlement », précise Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l’Université Paris II Panthéon-Assas. Le Conseil constitutionnel veille aussi à la régularité des élections nationales.

En 1971, les Sages prennent une décision importante pour l’institution. Dans sa décision sur la liberté d’association, le Conseil inclut dans son corpus la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et le préambule de la Constitution de 1946, auxquels renvoie le préambule de la Constitution de 1958. « Cette avancée jurisprudentielle majeure consacre le rôle du Conseil comme garant des droits et des libertés », explique l’institution sur son site.

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Depuis la révision constitutionnelle de 2008, lors d’un procès, tout citoyen peut contester la loi appliquée, s’il estime qu’elle est contraire aux droits que garantit la Constitution. Il peut ainsi poser une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), avant que l’affaire ne soit jugée. Il s’agit ici d’un contrôle a posteriori de la loi. Il peut donner lieu à son abrogation.

  • Quand et par qui le Conseil constitutionnel a-t-il été créé ?

Il a été créé en 1958, avec la Constitution de la Ve République. « Sous la IVe République, il y avait un comité constitutionnel, qui ne faisait pas vraiment son travail. Il était composé du président du Conseil et des présidents des chambres. C’était plus un comité de conciliation », commence par rappeler Benjamin Morel. Puis « Michel Debré (père de la Constitution, ndlr) voulait encadrer le Parlement. A partir de là, il veut un organe extérieur qui a la capacité de contrôler les actions des parlementaires, notamment les règlements, qui seront soumis obligatoirement au Conseil. On est face à un instrument de rationalisation du Parlement », explique le professeur.

  • Qui sont les membres du Conseil Constitutionnel et comment sont-ils nommés ?

L’institution est composée de 9 personnes. Le président du Conseil constitutionnel est l’ancien premier ministre socialiste Laurent Fabius. Il a été nommé en 2016 par François Hollande, quand il était chef de l’Etat. Trois membres sont nommés par le président de la République, trois par le président du Sénat et trois par le président de l’Assemblée nationale. Le mandat dure 9 ans. L’institution est renouvelée par tiers tous les trois ans. « Il y a deux grands types de profils. Des profils juridiques, des universitaires ou des magistrats, et des profils politiques », explique Benjamin Morel.

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On trouve deux anciens ministres d’Emmanuel Macron, que ce dernier a nommé : Jacques Mézard, en 2019, ex-ministre de l’Agriculture et ancien sénateur du Cantal, et Jacqueline Gourault, en 2022, ex-ministre de la Cohésion des territoires et ancienne sénatrice du Loir-et-Cher. Membre du Modem, c’est une proche de François Bayrou. François Pillet, ex-sénateur LR du Cher, a été nommé par le président LR du Sénat, Gérard Larcher, ce qui fait trois anciens sénateurs. L’ancien premier ministre Alain Juppé a été nommé par Richard Ferrand, l’ancien président LREM de l’Assemblée, un très proche d’Emmanuel Macron. Les autres membres du Conseil sont Véronique Malbec, François Seners, Michel Pinault et Corinne Luquiens.

  • Les anciens Présidents siègent-ils au Conseil constitutionnel ?

A ces neuf membres nommés, s’ajoutent les anciens présidents de la République, qui eux sont membres de droit à vie. Vincent Auriol et René Coty, deux anciens présidents sous la IVe République, ont usé de ce droit, tout comme Valéry Giscard d’Estaing, de 2004 à 2020, Jacques Chirac, entre 2007 et 2011 et Nicolas Sarkozy, durant une courte période, entre 2012 et 2013. Ce dernier avait « démissionné » du Conseil, quand l’institution a confirmé la décision de la Commission nationale des comptes de campagnes qui avait invalidé ses comptes de campagne pour 2012. François Hollande a lui renoncé à siéger au Conseil.

Ce droit pour les anciens chefs de l’Etat a été régulièrement critiqué. Dans son projet de réforme constitutionnel, qui a été retiré, durant son premier quinquennat, Emmanuel Macron voulait supprimer cette disposition. Le sujet fait consensus.

  • Le Conseil constitutionnel est-il indépendant dans sa prise de décision ?

« Théoriquement », selon Benjamin Morel. Lors de leur prestation de serment, les membres s’engagent à remplir leur mission en toute impartialité et à garder le secret des délibérations et des votes. « Il y a peu de rapport entre le gouvernement et le Conseil constitutionnel. Et c’est très bien comme ça. Parce que notre rôle, c’est de décider si les lois […] sont conformes ou non à la Constitution. Et dans les vraies Cours suprêmes, comme c’est le cas du Conseil constitutionnel, il y a une indépendance. Cela veut dire qu’on ne reçoit pas d’instruction. Donc les rapports sont limités. Evidemment, c’est un avantage d’avoir connu soi-même ce qu’est la réalité du pouvoir, parce que ça permet de prendre des décisions éclairées », expliquait Laurent Fabius à France Inter, dans l’émission L’Embellie du 15 janvier 2023. D’après un ancien de Matignon, cité par le Canard enchaîné du 29 mars, « Fabius et Macron ne se parlent pas ».

« Il y a ce que Robert Badinter (ancien membre du Conseil, ndlr) appelait « un devoir d’ingratitude ». Théoriquement, quand vous êtes nommé, vous ne répondez pas au chef de l’Etat », explique Benjamin Morel.

  • S’il est indépendant, pourquoi la légitimité du Conseil constitutionnel fait-elle parfois débat ?

Car son mode de nomination jette de fait la suspicion. « C’est toujours le mode de nomination qui est le plus attaqué. Après, la fragilisation est relative. Il n’y a pas de gens qui manifestent devant. Mais il y a des interrogations chez les juristes, c’est évident », note Benjamin Morel, qui rappelle qu’« il y a une attaque contre le Conseil vu comme une forme de gouvernement des juges. Mais faut-il faire grief aux juges, en général ? Ils répondent à une question en vertu de normes qu’on leur a données. Ce sont les politiques qui mettent des normes qui rendez assez floue la jurisprudence. Et ce sont souvent les politiques qui les saisissent. C’est vrai que le juge est assez intrusif, mais c’est parce que le politique lui demande de l’être », avance le professeur de droit public.

  • Faut-il avoir fait du droit pour être membre du Conseil constitutionnel ?

Non. Concernant le niveau de connaissance, « il n’y a pas de prérequis », précise le professeur de droit public, « souvent, on a des personnalités qui se forment sur le tas ». La nomination de Jacqueline Gourault, qui n’a pas de formation en droit, mais une licence d’histoire-géographie, a pu ainsi faire polémique. « Dans la plupart des pays européens, il y a des exigences préalables à la nomination. Mais ce n’est pas une cour, c’est un conseil, qui apprécie aussi une situation politique, en plus de contrôler la constitutionnalité. En ce sens, la nomination politique n’est pas absurde », selon Benjamin Morel, qui note cependant que « depuis la QPC, il y a une judiciarisation du Conseil constitutionnel. Il y a une sorte d’entre deux ».

  • Qui peut saisir le Conseil constitutionnel ?

Le Président de la République, le premier ministre, le président de l’Assemblée nationale et le président du Sénat peuvent saisir le Conseil. Depuis 1974, la saisine est également ouverte à 60 députés ou 60 sénateurs. Les citoyens ne peuvent pas saisir l’institution d’une loi avant sa promulgation.

Il y a les saisines blanches, où on demande simplement au Conseil de se prononcer sur un texte de loi. « Après, on peut pointer des biais d’intentionnalité », c’est-à-dire argumenter sur tel ou tel point, comme sur la saisine sur les retraites, « mais le Conseil n’est pas tenu d’y répondre », explique Benjamin Morel.

Il existe aussi les contributions extérieures, ou « portes étroites ». « Ce sont des contributions que chacun peut faire, en général ce sont des universitaires, des lobbys, etc. Elles sont envoyées au Conseil et sont réputées participer à la délibération des juges, ce qui ne veut pas dire qu’ils en tiennent compte », précise le professeur de droit.

  • Y a-t-il un vote pour prendre une décision et les débats sont-ils rendus publics ?

« Il y a un vote. Une fois que le texte de la décision est voté, l’ensemble du Conseil l’assume », explique le professeur de droit public. Pour chaque décision, « il y a un débat. Le Président nomme un rapporteur sur le texte. On débat sur le rapport et la proposition de décision. On l’amende, on la transforme ». Le vote se fait à la majorité simple. Il peut y avoir des abstentions. La réunion est plus ou moins longue.

« Normalement, les votes ne sont pas rendus publics. Mais on peut avoir des indications plus tard, dans les archives, où sont publiés les verbatims des débats », explique Benjamin Morel. Précision utile : ces débats ne sont rendus publics que… « 25 ans plus tard ». On pourrait ainsi connaître la teneur de la décision que s’apprête à prendre le Conseil sur les retraites en 2048. Les historiens du futur auront de quoi s’alimenter. Les citoyens de 2023 attendront pour la transparence.

  • Les décisions sont-elles prises uniquement sur des considérations juridiques ou aussi politiques ?

« Quand vous devez juger entre des normes floues, il y a forcément un geste d’interprétation qui est fort. Il y a forcément une lecture politique », soutient Benjamin Morel. Il continue : « Si votre décision va mettre le feu au pays, vous évitez de la prendre. Il y a une lecture politique des décisions, mais pas politicienne, ce n’est pas un sujet droite/gauche ».

  • Comment et avec quels moyens se préparent les décisions du Conseil constitutionnel ?

« Il n’y a pas grand monde », lâche Benjamin Morel. « Les membres n’ont pas d’assistant » par exemple. « Il y a un service documentaire, administratif, il y a le secrétariat général, le service juridique, qui assistent le Président du Conseil et qui fait le travail de collecte jurisprudentiel ». Les membres peuvent bien sûr « travailler à côté », précise le professeur de Panthéon-Assas.

  • Quelles conséquences ont ses décisions ?

S’il valide entièrement un projet de loi, rien ne change. Le Conseil peut à l’inverse censurer intégralement un texte de loi, qui ne sera donc pas appliqué. Ce qui est rare. Le plus souvent, la censure est partielle, c’est-à-dire qu’elle porte sur certains articles de la loi. Ces dispositions sont donc retirées et ne seront pas appliquées. Il peut aussi assortir sa décision de réserves d’interprétations.

  • Quelle est la différence entre le Conseil constitutionnel et la Cour suprême des Etats-Unis ?

« Une Cour suprême va siéger au sommet de l’ordre juridique. C’est une cour qui vérifie la jurisprudence. Le Conseil constitutionnel n’a pas cette fonction-là », explique Benjamin Morel, qui ajoute que « le Conseil d’Etat ou la Cour de cassation sont des juges suprêmes dans leur ordre respectif. Ils ont à charge d’initié la jurisprudence en matière administrative ou judiciaire. Ce n’est pas le cas du Conseil constitutionnel. Une Cour suprême aurait ce rôle-là ». Mais le Conseil « se rapproche de plus en plus d’une Cour suprême car avec la QPC, il y a un enjeu d’unification de la jurisprudence », tempère le professeur de droit.

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