Russie : qu’attendre des commémorations du 9 mai ?

Russie : qu’attendre des commémorations du 9 mai ?

Commémoration ou fête patriotique ? En Russie, la date du 9 mai, revêt un caractère symbolique bien particulier. Cette année, neuf semaines après le début de « l’opération spéciale », le peuple russe s’apprête à célébrer la Victoire de la Grande Guerre Patriotique (1941-1945) dans un contexte d’enlisement militaire en Ukraine. En Occident, l’évènement cristallise les crispations et relance les spéculations sur une possible annonce militaire du chef du Kremlin.
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Par Louis Dubar

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Instauré jour férié par Leonid Brejnev à l’occasion des 20 ans de la capitulation nazie en 1965, les célébrations du « Jour de la Victoire » du 9 mai ont connu une mutation durable depuis la fin de la Guerre froide. 

L'ère Eltsine : service minimum

Les années 90 constituent une « rupture » dans le déroulement des commémorations et dans l’importance accordée au 9 mai. Cette période post-soviétique est tout d’abord marquée par l’éclatement de l’URSS, les chocs des réformes économiques et par la transition d’une économie planifiée étatique à un système capitaliste d’économie de marché. « Ces célébrations ne sont pas forcément laissées de côté et le 9 mai et continuent d’être célébrées », explique Anne Le Huérou maîtresse de conférences à l'université Paris-Nanterre. Toutefois, « elles ne constituent plus une priorité et un rituel patriotique incontournable dans un pays où la population est davantage préoccupée par sa survie et son pouvoir d’achat. »

Le 9 mai 1995 demeure une exception durant ces « années troubles. » A l’occasion des 50 ans de la capitulation de l’Allemagne nazie, Boris Eltsine convie à Moscou en pleine guerre de Tchétchénie, son homologue américain Bill Clinton, signe d’un dégel et d’une normalisation des relations diplomatiques entre les deux puissances. Le premier ministre Britannique, John Major avait également fait le déplacement pour rendre hommage à l’héroïsme des vétérans de l’Armée Rouge.

Le 9 mai ‘poutinien’ : The show must go on

L’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine le 31 décembre 1999, marque un nouveau tournant mémoriel et un renouveau dans la conduite des célébrations du « Jour de la Victoire. » Les années 2010 figent définitivement le 9 mai comme une fête patriotique sur fond de récupération politique.

« On assiste désormais à des commémorations dans toutes les républiques et les Oblasts (unité administrative, ndlr) de la Fédération de Russie, avec des initiatives nouvelles comme des concours de dessin et de rédaction », explique la maîtresse de conférences à l'Université Paris-Ouest-Nanterre. Abandonnée à la sortie de la guerre froide, l’éducation « patriotico-militaire » émerge de nouveau au sein de la société russe, notamment grâce à la « renaissance des écoles de cadets » qui préparent et forment les plus jeunes à des carrières militaires, « du jamais vu depuis la période de la Russie impériale », explique Anne Le Huérou. Le passé soviétique fait également son retour avec une image idéalisée et une vision de l’Histoire à géométrie variable, « pas question de remettre en cause le massacre de Katyn ou le pacte germano-soviétique » dans le discours officiel.

Vladimir Poutine accorde au 9 mai, une importance particulière, une commémoration unique élevée en « cause sacrée. » Le chef du Kremlin s’active à préserver cette mémoire collective, marqueur d'une nouvelle identité patriotique russe. Après le défilé militaire, la marche du « régime immortel » est organisée à chaque édition depuis 2015. Cette initiative à l'origine apolitique, émanant de la société civile en 2012 à Tomsk, « a été petit à petit récupérée par les mouvances nationalistes et le pouvoir qui en a fait un défilé quasiment obligatoire » célébrant l’héroïsme et le patriotisme. Chaque famille défile avec un portrait d’un parent ou d’un ancêtre qui a combattu pendant la « Grande Guerre Patriotique. » En 2015, à l’occasion des 70 ans de la fin de la seconde guerre mondiale, le chef du Kremlin avait ouvert la marche moscovite en arborant un portrait de son père.

Celebration of the 74th anniversary of the Victory over Nazi Germany in the World War II. Participants of the memorial rally
Marche du "régiment immortel" à l'occasion du 74e anniversaire de la Victoire le 9 mai 2019 à Moscou.
Emin Dzhafarov/Kommersant/Sipa

Une déclaration de guerre officielle contre Kiev, le 9 mai ?

En raison de l’annexion de la Crimée et du soutien actif de Moscou aux républiques séparatistes du Donbass, les dirigeants occidentaux avaient décliné l’invitation de Vladimir Poutine d'assister aux commémorations du 70e anniversaire de la Victoire. Le défilé sur la Place Rouge rassembla près de 16 000 soldats. La présentation de moyens techniques militaires dernier cri eut été interprétée à l’Ouest comme une « démonstration de force inquiétante. »

A quelques jours du 9 mai 2022, les spéculations vont bon train en Occident sur une possible escalade du conflit. Du côté du Kremlin, Serguei Lavrov récuse tout objectif militaire caché ou dissimulé à atteindre pour l'armée russe à l'occasion du 9 mai.  « Nos militaires n’ajusteront pas artificiellement leurs actions à une date quelconque y compris le Jour de la Victoire », a déclaré le ministre russe.

Interrogé sur la radio LBC, le secrétaire d’Etat à la défense Britannique Ben Wallace estimait que le chef du Kremlin pourrait profiter de cette occasion pour lancer un nouvel appel à la mobilisation. « Je pense qu’il va essayer de sortir de la logique « d’opération spéciale. » Il [Vladimir Poutine, ndlr] a préparé le terrain pour pouvoir dire ‘regardez, c’est maintenant une guerre contre les nazis et ce dont j’ai besoin, c’est de plus de chair à canon. »

A Washington, le porte-parole du département d’Etat, Ned Price a également commenté les rumeurs sur l’utilisation des célébrations du « Jour de la Victoire » par Vladimir Poutine pour « officialiser » une déclaration de guerre contre Kiev. « Ce serait une grande ironie si Moscou profitait du Jour de la Victoire pour déclarer la guerre. » Ned Price rejoint l’avis britannique, une officialisation offrirait à Moscou la possibilité d’augmenter « les effectifs sur le terrain. »

La dénazification est « le chiffon rouge secoué par les autorités russes depuis 2014. » « Il n’est pas étonnant qu’à l’occasion du 9 mai, Moscou reprenne avec un culot monstre cette idée de dénazification en utilisant des références historiques comme Stepan Bandera, nationaliste ukrainien », souligne Anne Le Huérou. Cet argument anachronique, de « dénazification » est devenu « le leitmotiv des autorités russes », un argument efficace « visant à créer un parallèle avec la Seconde guerre mondiale » auprès de la société. Dans ces dernières déclarations, Sergueï Lavrov n’a pas hésité à comparer le président Zelensky à Hitler. »

 

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