Saint-Denis, Paris, Malakoff : la présidentielle vue de la ligne 13 du métro

Saint-Denis, Paris, Malakoff : la présidentielle vue de la ligne 13 du métro

De la populaire Saint-Denis aux quartiers huppés du cœur de Paris, la ligne 13 joue le grand écart. Reportage dans ce concentré de France, à la rencontre de ces Français si différents qui se croisent, le temps de prendre le métro. A un mois de la présidentielle, beaucoup hésitent encore.
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Un jeudi matin, station Basilique de Saint-Denis, ligne 13 du métro parisien. La rame déverse son flot de passagers. « La 13 » n’a pas la meilleure des réputations. Elle est connue des usagers pour être bondée aux heures de pointes. C’est aussi une ligne qui traverse la capitale du nord au sud. Elle a la particularité de desservir des quartiers et des villes très différents : Saint-Denis et Saint-Ouen, en Seine-Saint-Denis, les quartiers chics du VIIe arrondissement ou la banlieue sud, du côté de Malakoff et Vanves. Un petit bout (d’île) de France.

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Rame de la ligne 13.
Photo : François Vignal

Station Basilique de Saint-Denis : « C’est une campagne un peu bizarre »

Devant la bouche de métro, à deux pas de la mairie de Saint-Denis et de la Basilique, où sont enterrés les rois de France, la présidentielle ne passionne pas les foules. « L’élection pour moi, c’est du pipeau. J’ai toujours voté au premier tour mais pas cette fois, j’attends la finale pour le faire ! » lance un vieille homme à la casquette, avant de continuer son chemin. La jeune Salima, piercing au dessus des lèvres, n’ira pas voter. « Ils sont tous pareil » dit-elle. La dernière fois qu’elle a glissé un bulletin, c’était pour Nicolas Sarkozy.

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Station Basilique de Saint-Denis, ligne 13.
Photo : François Vignal

Sandrine, 46 ans, attend en haut de l’escalator. Elle est venue de Joinville-le-Pont, dans le Val-de-Marne, pour passer un entretien pour un poste de secrétaire médicale. « C’est une campagne un peu bizarre » dit-elle. Les affaires ? « Je suis ça de loin ». « Plus de droite que de gauche », elle pourrait « éventuellement » voter Macron, mais « hésite », sans plus de conviction.

Miloud arrive avec son sourire. Ce retraité de 63 ans a travaillé « toute (sa) vie dans le bâtiment ». Il ne pourra pas voter le 23 avril prochain. Miloud est marocain. « Je suis né sous drapeau français sur terres algériennes, de parents marocains. A 18 ans, on m’a proposé de prendre la nationalité française, mais j’ai refusé. J’avais déjà fait le service militaire marocain, il aurait fallu que je fasse le service français en plus ! » sourit-il. « Ce serait bien qu’on puisse voter aux élections locales » souligne Miloud, qui vit en France depuis des dizaines d’années. S’il pouvait voter, ce serait donc plutôt Hamon, qui veut soumettre par référendum le droit de vote des étrangers aux élections locales. « Par contre, sur le temps de travail, il a tapé un peu fort. Il propose 32 heures, ce n’est pas assez. Il ne faut pas que les salaires baissent » pointe Miloud, avant de s’engouffrer dans la bouche de métro.

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Miloud, 63 ans.
Photo : François Vignal

« Vous croyez que nos politiques en ont quelque chose à foutre ? »

Pauline arrive d’un pas décidé. Cette jeune femme de 27 ans est remontée contre la classe politique. Difficile d’en trouver un qui a grâce à ses yeux. « Vous croyez que nos politiques en ont quelque chose à foutre ? Et bien nous, c’est la même chose. Les gens ne veulent plus de cette mascarade. Ici, le taux d’abstention sera encore une fois record. Quand on voit qu’ils détournent du fric, qu’ils ont des propos incohérents… » lance Pauline. Cette adepte des lieux alternatifs travaille dans le milieu de la culture. Elle compare « Fillon à un dictateur. La différence, c’est qu’il n’enverrait pas l’armée. Et encore… » Mélenchon peut-être ? « Il est complètement dangereux ». Elle continue : « Le NPA, un des seuls trucs à peu près réglo, ne tient pas la route ». Hamon alors ? « Il n’a absolument pas la carrure. Si c’est pour avoir un Hollande 2, ce n’est pas la peine ». Elle est en réalité déçue par le candidat socialiste. « Son idée de revenu universel était juste génial, mais il a reculé et a prouvé qu’il n’avait pas le courage de ses idées ». Malgré tout, elle va voter. Mais « probablement blanc ». Pauline accepte d’être prise en photo mais couvre son visage d’un livre : « La puissance des pauvres », de Madjid Rahnema et Jean Robert, ouvrage qui invite à reconsidérer notre vision de la pauvreté, non pas comme un manque, mais au contraire comme une possible richesse par l’éloge de la frugalité.

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Pauline, 27 ans.
Photo : François Vignal

Quelques dizaines de mètres plus loin, se trouve l’autre bouche de métro, en face de l’entrée du centre commercial. Les immeubles sont gris. Les perspectives rectilignes, anguleuses. Aminata se présente en haut des escaliers.  Colorée en blonde, parka imprimée militaire et capuche rose, elle arrive casque vissé sur les oreilles. « Je ne vais pas voter » prévient-elle d’emblée. En avril, elle va commencer un service civique. « Ce n’est pas que je ne me sens pas concernée, mais si je vote, je ne sais pas à quoi ça servirait. Et aucun candidat ne me donne envie » dit cette jeune femme de 20 ans. A la limite, « peut-être Mélenchon » dit-elle du bout des lèvres, pour sa « façon de parler » et car « il est plus sincère ». Elle connaît tout juste de nom Benoît Hamon. Une chose est sûre, ce ne sera pas la droite.

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Aminata, 20 ans.
Photo : François Vignal

Station Saint-Lazare : « Je vais hésiter jusqu’à la dernière minute »

Direction le sud. 7 km après Saint-Denis, les couloirs de la station Saint-Lazare semblent ne pas désemplir. Au dessus, les trains de banlieue se succèdent. Chacun se presse. Les visages se succèdent et se confondent. Le gaullisme devait être « le métro à 6 heures du soir » avait dit André Malraux, autrement dit rassembler tout le monde, toutes classes confondues. Il est 11 heures du matin, mais la station Saint-Lazare illustre bien ce brassage, 60 ans après.

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Station Saint-Lazare, sur la ligne 13.
Photo : François Vignal

Regina remonte le quai, direction Châtillon-Montrouge. Cette ancienne professeure d’anglais de lycée a 71 ans, en paraît 10 de moins, et vit à Ecouen, dans le Val-d’Oise. « J’ai suivi le débat à la télé lundi. Mais depuis ma cuisine, je fabriquais des gâteaux », qu’elle compte bien vendre. « J’ai entendu à peu près la même chose de tout le monde, à part Marine Le Pen. Je n’aime pas ce personnage. Elle est grossière et agressive » selon Régina. « C’est catastrophique qu’on en soit arrivé là. On ne sait pas pour qui voter » dit-elle. « Je suis très déçue de Fillon, c’est pour lui que je devais voter. Il s’est présenté comme quelqu’un d’intègre, qu’il n’est pas… ». « Ni de gauche, ni de droite », elle trouve cependant Macron « trop jeune ». Regina va « hésiter jusqu’à la dernière minute ».

Dominique, 55 ans, lunettes rouges, dispense notamment des formations « dans le domaine du livre ». Elle est dans la même situation : « Je ne sais toujours pas pour qui voter, comme beaucoup de gens… C’est très volatile. L’imprévisible gouverne la campagne ». Elle « hésite entre Macron et Hamon ». La question du vote utile la travaille. « Si on ne veut pas se retrouver avec Le Pen, il faut voter Macron. Mais si j’écoute ses idées, je vote Hamon ». Dominique regrette la division de la gauche. « Ils sont nuls de ne pas avoir trouvé un terrain d’entente avec Mélenchon » dit-elle, comme elle trouve « lamentable qu’une partie du PS lâche Hamon ». Ce qui lui plaît chez le socialiste, « c’est l’écologie » et « la lutte contre les gaz de schiste ».

« Marine Le Pen fait moins peur que Macron »

Une dame, aux épais cheveux bouclés, monte les marches avec son mari et ne préfère pas s’attarder. « Ils commencent à me gonfler tous. Ras-le-bol ! Je ne suis même pas inscrite » lâche-t-elle, avant de continuer son chemin.

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Station Saint-Lazare, ligne 13.
Photo : François Vignal

Françoise arrive de Bretigny-sur-Orge, dans l’Essonne. En 2012, elle a voté Hollande aux deux tours. Mais elle est déçue. « Il m’a augmenté mes impôts de façon incroyable ! Mais il a fait ce qu’il a pu ». Cette année, c’est moins évident. Encore une indécise, « comme 50% des gens ». Cette retraitée de 75 ans, ancienne commerçante, pense quand même voter Mélenchon au premier tour. C’est surtout pour le second tour qu’elle ne sait pas. « Si c’est Macron, ça ne me plaît pas ». Lors du débat, elle l’a trouvé « très hésitant ». « Il a été d’accord avec Fillon sept fois. Je n’aime pas ça ! ». Elle ajoute : « Entre les deux, je crois que je préfèrerais Marine Le Pen. Elle sait ce qu’elle veut. Et elle fait moins peur que Macron, même si je ne l’aime pas beaucoup. Je ne veux pas sortir de l’euro mais je crois qu’elle a un peu changé sur ce sujet. Je n’exclus pas totalement de voter pour elle ».

Station Varenne, un autre monde

Quatre stations plus loin, les quais sont beaucoup plus apaisés. Honoré de Balzac et le Penseur vous accueillent. Les reproductions des statues de Rodin sont un avant-goût du musée consacré au célèbre sculpteur, à deux pas. Nous sommes station Varenne, rive gauche. Saint-Denis est à seulement 10 km à vol d’oiseau. C’est pourtant un tout autre monde qui se présente, à des années lumières du « 9-3 ». Ministères, ambassades… Nous sommes au cœur du pouvoir. Matignon est à 300 mètres. Les costards-cravates avec chaussures bien cirées rivalisent avec les talons hauts. L’hôtel des Invalides dominent le quartier de son dôme doré.

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Station Varenne, dans le VIIe arrondissement de Paris.
Photo : François Vignal

Michelle, 60 ans, sort bien apprêtée de la rame, boucles d’oreilles et rouge à lèvre. Elle « travaille dans la politique » mais ne veut pas en dire plus. Pour Michelle, « ce n’est pas une campagne, on ne parle pas du fond ». « Les deux primaires ont tellement clivé, qu’on se retrouve avec des extrêmes dans tous les sens, surtout à droite ». Elle se méfie des sondages – «  je doute sur la sélection des personnes » – et sait pour qui voter « mais ce sera un vote par défaut, pas de conviction ». « De cœur, je suis plutôt à gauche », dit-elle dans un sourire, avant de partir.

Assise avec son sac rouge sur les genoux, petit foulard autour du coup, Françoise, 66 ans, attend son métro. « Mère de famille » et « femme d’entrepreneur », elle a étudié la sophrologie et vit entre la Normandie et son appartement du XIVe arrondissement, à Paris. Pour elle, ce sera François Fillon. « C’est celui qui tient la route, malgré tout ce à quoi il fait face. Ce n’est pas un ange. J’aimerais un sage pour nous gouverner. Mais c’est quand même Fillon pour moi ». Les affaires, « tout ça, ce n’est rien… Qui est prêt à s’embêter pour faire de la politique ? C’est un sacerdoce » dit Françoise.

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Françoise, 66 ans.
Photo : François Vignal

« Je suis un peu écœurée par les histoires de Fillon »

Nadine habite pour sa part le quartier « depuis 1983 ». Elle ne partage pas l’avis de Françoise. Nadine a voté Juppé à la primaire et se retrouve « bien embarrassée » aujourd’hui. « Je vote plutôt à droite habituellement, mais là je ne sais plus quoi faire. Je me demande si je vais voter. Je suis un peu écœurée par les histoires de Fillon. Il donne des leçons et ce n’est pas suivi… » Et Macron ? « Ce serait… » « Il est quand même un peu… » Elle cherche ses mots. « Enfin, il est quand même à gauche. Et il est très jeune et manque d’expérience ».

Marie arrive d’un pas rapide devant la bouche de métro. « On en a marre » attaque cette cadre de 55 ans. Elle vit dans le sud de Paris mais travaille à Varenne. Pour elle, « ce ne sera pas Le Pen ». De droite, elle ne veut plus de Fillon « qui traîne ses casseroles ». Macron ?  « Il n’est pas clair, balaie trop à droite et à gauche et il aura du mal à former un gouvernement ». Elle pense à « une alternative à Fillon : Nicolas Dupont-Aignan ». « Je l’ai vu au Salon de l’agriculture, il m’a semblé modéré et conscient des difficultés ». Mais dans cette présidentielle, « tout semble tellement anormal. On est perplexe et assez écœuré ».

Station Malakoff – Plateau de Vanves : « J’ai essayé de lire tous les programmes »

La ligne 13 continue et quitte à nouveau Paris. Autre station, nouveau décor à la station Malakoff – Plateau de Vanves, dans les Hauts-de-Seine. Loin des immeubles gris de Saint-Denis, les petits pavillons de banlieue sont serrés comme des perruches. Les voies ferrées de Montparnasse longent la station. Un TGV passe derrière le vieux mur antibruit couvert de tags.

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Station Malakoff - Plateau de Vanves, sur la ligne 13.
Photo : François Vignal

Grégoire sort du souterrain qui mène à Vanves, de l’autre coté des voies. Contrairement à beaucoup, il s’intéresse de très près au programme des candidats. Ce contractuel de la fonction publique de 32 ans veut voter en conscience. Mais pas si facile. « J’ai essayé de lire tous les programmes, mais ils ne sont pas tous disponibles. Pour Fillon et Hamon, je n’ai trouvé que pleins de petits bouts sur leurs sites, mais pas l’ensemble. Et Mélenchon, lui, essaie de le vendre ! C’est très difficile de comparer ». De gauche, il a « envie de voter Hamon », mais va encore « attendre de voir la suite ».

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Grégoire, 32 ans.
Photo : François Vignal

Il prend ses distances avec les sondages et la presse. « Les médias ne donnent pas sa chance à Hamon. Donc les gens se disent je vote Macron ou carrément Mélenchon » pointe Grégoire. « Le vote utile, c’est une fausse réponse. C’est un vote contre » continue-t-il, reprenant l’argumentaire du candidat PS. Grégoire ajoute : « Il faut déjà voter pour le premier tour, ce qui pourrait donner un autre paysage pour le second tour. Il peut y avoir des surprises ». Grégoire repart pendant que les passagers s’engouffrent dans le métro.

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