Le Parti socialiste demande que le discours d’Emmanuel Macron sur l’Europe, prononcé jeudi 25 avril à la Sorbonne, soit décompté des temps de parole et inscrit dans les comptes de campagne de la majorité présidentielle. Pour le patron du PS, invité de Public Sénat, le chef de l’Etat est devenu « candidat à cette élection européenne ».
[Série] Le dernier été avant la présidentielle : 2002, la guerre des nerfs avant le coup de tonnerre
Par Public Sénat
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« Nos concitoyens décideront s’ils entendent derechef confier à la gauche le soin de conduire et d’ordonner le changement, ou si c’est à l’opposition conduite par l’héritier, recru d’épreuves, de Georges Pompidou de prendre le relais de ce siècle nouveau. Car dans ce tournoi auquel se livrent la gauche et la droite, il y aura bien non un final, c’est-à-dire le dernier morceau d’un opéra, mais une finale. » Telle est la prévision d’Olivier Schrameck, le directeur de cabinet du Premier ministre Lionel Jospin, lorsqu’il écrit au mois d’août 2001 son essai Matignon rive gauche. Sa prophétie sera brutalement démentie par le coup de tonnerre du premier tour de l’élection présidentielle le 21 avril 2002. Le candidat du Front national Jean-Marie Le Pen se qualifie, et la gauche est évincée, face à Jacques Chirac. Voici le deuxième épisode de notre série estivale sur les étés qui ont précédé les élections présidentielles.
Dans cet été 2001 maussade, qui rappelle notre mois de juillet 2021, la campagne présidentielle vient conclure une longue période de cohabitation entre le président de droite Jacques Chirac et un gouvernement de gauche plurielle, installé après la dissolution hasardeuse de l’Assemblée nationale en 1997. Une période politique faite de tensions au plus haut sommet de l’Etat, qui prend une nouvelle tournure en cet été. En juin, puis en juillet, la cohabitation entre le président de la République et le Premier ministre, ainsi que leurs états-majors, vire à la guerre des nerfs voire au pugilat. Conséquence de la loi votée le 15 mai, qui inverse le calendrier électoral, Lionel Jospin veut que sa confrontation avec Jacques Chirac précède les législatives, où la droite apparaît en meilleure posture. Les municipales de mars ont sonné comme un avertissement à gauche, notamment dans les villes moyennes.
Dès la fin de l’an 2000, les instituts de sondage tablent sur un second tour Chirac-Jospin
La confrontation entre les deux moitiés du couple exécutif est pronostiquée dès la fin de l’an 2000 par les instituts de sondage. Comme une sorte de match retour de 1995. Les deux hommes sont à des niveaux relativement proches à l’été 2001. Le 21 juin, le président de la République Jacques Chirac est crédité de 28 % d’intentions de vote dans un sondage CSA, contre 27 % pour son Premier ministre. Un mois plus tard, le 17 juillet, le même institut voit l’écart se creuser, légèrement. Jacques Chirac est à 30 %, Lionel Jospin à 26 %, les deux sont à dix points au-dessus des scores qu’ils réaliseront en avril 2002. Pour les intentions de vote au second tour qui les opposerait, les deux candidats sont au coude à coude. Au cours de l’été 2001, personne n’imagine alors que Jean-Marie Le Pen peut constituer un danger susceptible de bousculer l’affiche installée de la présidentielle de 2002. Le candidat du Front national oscille entre 7 et 10 %. Il faut attendre le mois de mars 2002 pour observer un frémissement dans les enquêtes.
Jusqu’à présent, la majorité sortante de gauche plurielle n’avait pas eu à rougir de son bilan sur le front économique et social. Porté par une croissance vigoureuse, le gouvernement de Lionel Jospin pouvait aborder la campagne présidentielle avec un nombre de demandeurs d’emploi réduit d’un million. La baisse s’interrompt au début de l’année et se heurte à la barre, coriace, des deux millions. Le 31 juillet, les chiffres de juin tombent : le chômage est reparti à la hausse, pour le deuxième mois consécutif. Le phénomène ne s’était pas produit depuis quatre ans.
« Pschitt »
Qu’il s’agisse de l’Elysée ou de Matignon, l’été est loin d’être de tout repos. Déjà en mars, la convocation du président de la République comme témoin, par les juges dans l’affaire des HLM de la Ville de Paris et du financement occulte du RPR, fait désordre. Lors de la traditionnelle interview télévisée du 14 juillet, Jacques Chirac ne feint pas la surprise lorsque survient une question sur l’affaire des billets d’avion, réglés en espèces et parfois sous des noms d’emprunt, du temps où il était maire de Paris. Le chef de l’Etat ne se laisse pas désarçonner et se justifie sur les sommes mises en cause par les juges, avec une formule qui est passée à la postérité. « Ce n’est pas qu’elles se dégonflent. Elles font pschitt […] Ça n’a strictement, je peux vous le dire, aucun rapport avec la somme qui est aujourd’hui jetée en pâture à l’opinion publique sans que personne ne soit préoccupé de savoir si elle était ou non justifiée ». Pugnace, le président de la République justifie les porte-noms par des arguments de sécurité.
Matignon fait aussi face à un dossier embarrassant. Des révélations du journal Le Monde en juin viennent gripper l’été du Premier ministre. Le quotidien du soir a enquêté sur son passé militant. On y apprend qu’il s’était engagé pendant plusieurs années dans l’Organisation communiste internationale, le mouvement trotskiste le plus important de l’époque. Peu avant la présidentielle de 1995, Lionel Jospin démentait pourtant les rumeurs sur le sujet. Attaqué par l’opposition sur ce passé qu’il a toujours nié, Lionel Jospin rend coup pour coup et va jusqu’à s’en prendre ouvertement à l’Elysée. « J’ai tardé à répondre devant des journalistes. C’est tout de même moins grave que de tarder à répondre devant des juges », raille le Premier ministre lors des questions au gouvernement. La droite s’engouffre dans la brèche. Dans le JDD, le 17 juin, le président du Sénat Christian Poncelet dénonce le « manque de sang-froid » de Lionel Jospin. « Ses nerfs ont lâché, or un homme d’Etat doit savoir rester maître de lui. » « Il a perdu les pédales », ajoute Jean-Louis Debré, le patron des députés RPR. Le 4 septembre, Jacques Chirac peut respirer. La justice annule, pour vice de forme, sa convocation comme témoin.
Jacques Chirac met le doigt sur un « manque d’autorité de l’Etat »
Tout aussi remarquée, la première partie de l’entretien du 14 juillet s’attarde sur ce qui est présenté comme la première préoccupation des Français : l’insécurité. Le président de la République, qui va entrer dans sa quatrième campagne présidentielle, le sait. La meilleure défense, c’est l’attaque. Sans oser l’admettre, Jacques Chirac se lance dans un réquisitoire contre le gouvernement de Lionel Jospin, accusé entre les lignes de laxisme. « Vous savez, il n’y a pas de fatalité de l’insécurité. Il n’y a qu’un manque de l’autorité de l’Etat et un manque de volonté politique […] cette insécurité croissante, grandissante, une espèce de déferlante, est inacceptable », lâche le chef de l’Etat. Dès l’été, la thématique est installée, mais c’est dans les derniers mois de la campagne qu’elle prendra vraiment de l’ampleur. Jacques Chirac fait feu dans toutes les directions : chômage qui baisse en France « moins qu’ailleurs », dette en hausse ou encore absence de réformes structurelles. L’opinion, si elle juge favorablement le bilan de l’action gouvernementale au global, se montre sceptique sur deux volets. Selon le baromètre Ipsos, publié juste avant l’été, 58 % des Français ne font pas confiance au gouvernement dans la lutte contre la sécurité. Le chiffre atteint 69 % pour la diminution des impôts.
Loin de ce feu croisé droite-gauche, Jean-Marie Le Pen, lorsqu’il clôture l’université d’été des jeunes du Front national mi-juillet, se moque de Jacques Chirac, dont il fait son principal adversaire. Selon lui, le chef de l’Etat « découvre comme un vulgaire Le Pen […], après avoir été deux fois premier ministre et six ans président, que l’insécurité est devenue intolérable ». Lors de son discours de rentrée du 18 août à La Trinité-sur-Mer, le « Menhir » se montre encore plus virulent en qualifiant Jacques Chirac de « fossoyeur de la nation », mais aussi « d’homme de gauche le plus détestable au pouvoir ». « C’est lui qui, par la dissolution, est directement, et peut-être délibérément, responsable du gouvernement socialiste de Jospin depuis quatre ans. »
À La Rochelle, Lionel Jospin s’en prend à la droite « caricaturale et démagogique »
La séquence télévisée du 14 juillet marque pour de bon l’ouverture des hostilités entre l’Elysée et Lionel Jospin. Dès le lendemain, les poids lourds socialistes du gouvernement montent au créneau pour répliquer aux attaques de Jacques Chirac. Le premier secrétaire du PS, François Hollande, est l’un des plus incisifs. Il vilipende un président « affaibli » et met en cause son choix « de l’irresponsabilité, de l’exagération, de la falsification ». Il le juge premier responsable du déclin de l’autorité de l’Etat. Lionel Jospin revient à la charge en personne, le 2 septembre à l’université d’été du PS à La Rochelle. Il s’en prend à la droite « caricaturale et démagogique », mais aussi « défaitiste et anxiogène », qui ne « mérite pas de retrouver les responsabilités ».
Le même week-end, les chiraquiens font une démonstration de force à Quimper, l’une des villes qui a basculé à droite lors des municipales de mars 2001. Les troupes ne modèrent pas leur optimisme. « Nos pièces sur le plan de bataille sont plutôt mieux disposées que celles de l’adversaire », se frotte les mains Patrick Devedjian, le futur porte-parole du candidat Chirac. « Si l’élection avait lieu aujourd’hui, on gagnerait », ose la présidente du RPR. Michèle Alliot-Marie charge sans ménagement la campagne de Lionel Jospin. « Il présente son bilan aux Français. Il ferait mieux de leur présenter des excuses », lance-t-elle, devant des militants galvanisés. D’autres tempèrent. « La campagne sera plus rude, plus imprévisible et plus difficile parce que, depuis douze ans, la France est entrée dans la spirale des affaires », explique ainsi Nicolas Sarkozy, qui rêve d’être nommé à Matignon.
Jean-Pierre Raffarin constate une « marginalisation du premier tour », à gauche les candidatures s’empilent
Personne ne pense que François Bayrou (UDF), officiellement candidat depuis le 2 septembre, ou Alain Madelin (Démocratie libérale) sont en position de jouer le rôle du « troisième homme » menaçant. Une semaine après l’offensive du 14 juillet, Jean-Pierre Raffarin, le président de Poitou-Charentes (et futur Premier ministre de Jacques Chirac), estime que « l’intervention puissante » a « réduit l’oxygène pour les autres candidats ». « Le vote utile est en train de s’affirmer », ajoute-t-il auprès du Monde, évoquant une « marginalisation du premier tour ». En attendant, Alain Juppé s’affaire pour faire prospérer l’Union en mouvement, véritable écurie présidentielle qui doit fédérer à droite et préfigurer ce qui sera plus tard l’Union pour la majorité présidentielle (UMP).
A gauche, c’est l’inflation des candidatures, qui s’officialisent tout au long de l’été. Elle fait planer pour le PS le risque d’un travail de sape vis-à-vis de son bilan. Le communiste Robert Hue et l’écologiste Alain Lipietz, désigné par son parti en juin, restent à des intentions de vote limitées dans les enquêtes, aux alentours de 6 % pour le premier, 3 % pour le second. Jean-Pierre Chevènement est dans une dynamique à la veille de sa déclaration le 4 septembre au château de Vincennes. De 3 % au printemps, l’ancien ministre de l’Intérieur, qui a démissionné l’an dernier, passe à 6, voire 7 % à la fin du mois d’août.
Le 1er septembre, Jean-Michel Baylet annonce que le Parti radical de gauche enverra aussi son propre candidat (ce sera Christiane Taubira, plus tard à l’automne). Le Premier ministre dit « respecter » cette profusion de candidats. Il faut ajouter à la gauche de la gauche, Arlette Laguiller (Lutte ouvrière) et Olivier Besancenot (Ligue communiste révolutionnaire), qui sont sur la ligne de départ depuis juin.
Lionel Jospin brouille les cartes et semble déjà griller les étapes le 21 février 2002 avec un propos aux accents de campagne de second tour, trop au centre. « Je suis socialiste d’inspiration, mais le projet que je propose au pays, ce n’est pas un projet socialiste. Il est une synthèse de ce qui est nécessaire aujourd’hui, c’est-à-dire la modernité. Il faut épouser son temps. » Au lendemain de sa déclaration officielle - par simple fax adressé à l’Agence France Presse - ses mots ont de quoi dérouter ses propres troupes. Comme si le premier tour n’était qu’une formalité. Deux mois plus tard, Lionel Jospin rate la marche le menant vers le deuxième tour, et se fait battre de 200 000 voix par Jean-Marie Le Pen.