[Série] Le dernier été avant la présidentielle : 2011, du crash de DSK au plan B « normal »

[Série] Le dernier été avant la présidentielle : 2011, du crash de DSK au plan B « normal »

Public Sénat vous raconte l’été 2011, le dernier été qui a précédé l’élection présidentielle de 2012. C’est à cette époque que va progressivement se dessiner le remplaçant à gauche de Dominique Strauss-Kahn, éjecté théâtralement à New York. Affaibli par la crise, Nicolas Sarkozy fait preuve d’attentisme.
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2011, une année à l’actualité folle dans le monde. La politique française ne fait pas exception. Le dimanche 15 mai, les Français se réveillent médusés. Dominique Strauss-Kahn, directeur général du Fonds monétaire international, apparaît menotté sur les télévisions du monde entier. Il est accusé de viol par une femme de chambre dans son hôtel à New York. Candidat encore hypothétique à la présidentielle de 2012, il surpassait tous ses rivaux ou adversaires politiques dans les enquêtes d’opinion. Ainsi éjecté de la course à la présidentielle, il crée le vide au Parti socialiste, rapidement comblé par une course entre François Hollande et Martine Aubry, les deux ennemis au sein du PS. Voici le quatrième épisode de notre série estivale sur les étés qui ont précédé les élections présidentielles.

Après l’affaire du Sofitel, le Parti socialiste ne dit pas pour autant adieu à ses chances de victoire en 2012, mais le choc est difficile à encaisser. Nicolas Sarkozy, lui, souffle, avec l’effacement de son challenger le plus coriace. DSK était donné dans les sondages vainqueur à 64 %. Le paysage évolue dans le bon sens pour le chef de l’Etat, qui voyait jusque-là les nuages sombres s’accumuler. Impopularité, chômage en hausse et croissance en berne, le contexte n’était pas très porteur.

L’Elysée garde aussi en mémoire cette une du Parisien du 5 mars. La nouvelle présidente du Front national, adoubée le 16 janvier, Marine Le Pen, est créditée de 23 % d’intentions de vote selon un sondage Harris Interactive. Elle devance Nicolas Sarkozy et Martine Aubry, tous les deux crédités de 21 %. « Il existe une courbe qui me laisse penser que de toute façon Nicolas Sarkozy perdra cette élection présidentielle », commente alors la fille de Jean-Marie Le Pen. Mais, au cours de l’été 2011, la courbe du FN baisse à nouveau au profit de celle de l’UMP.

Le casting de la primaire socialiste arrêté au milieu de l’été

Avec ou sans DSK, le Parti socialiste avait de toute façon prévu de choisir son ou sa candidat(e) pour 2012 par le biais d’une primaire ouverte. C’est-à-dire accessible aux adhérents et plus largement aux Français qui partagent les valeurs de gauche, moyennant une participation symbolique de 1 euro. Plus de 2,6 millions de personnes y participeront en octobre pour départager six candidats. Ce dispositif de sélection, inédit en France, un peu à l’américaine, n’est pas exempt de critiques.

Chaque participant à la primaire singe une liste d’émargement. Ce qui conduit les ministres du gouvernement Sarkozy à lancer une polémique en accusant Solférino d’en profiter pour se constituer une base de données sur ses sympathisants. Le ministre de l’Intérieur Claude Guéant pointe le risque d’une « sorte de liste des opinions politiques de Français ». Craignant une pression sociale dans les petites communes, le secrétaire général de l’UMP, à l’époque Jean-François Copé, redoute que l’opération s’apparente à un « gigantesque fichage politique ». En face, les socialistes constatent depuis une semaine que toutes les préfectures ne leur transmettent pas aussi facilement les listes électorales, nécessaires à l’organisation de leur primaire.

Dans une logique institutionnelle, Nicolas Sarkozy table sur Martine Aubry

Mi-juin, Nicolas Sarkozy est persuadé que Martine Aubry sera son adversaire en 2012. « Pour lui, ce sera elle. Parce que le leader du parti, sous la Ve République, a toujours un avantage. Et parce que François Hollande, à trop communiquer, a scié la branche sur laquelle il était assis », confie aux Échos un conseiller présidentiel. Un autre estime que sa figure de « candidat normal » chère à François Hollande ne suscitera pas d’adhésion. « Il est rattrapé par Martine Aubry dans les sondages alors qu’elle n’est même pas entrée dans l’arène. »

Un sondage Harris Interactive du 10 juin donne Nicolas Sarkozy battu au second tour dans les deux cas de figure : 60 % dans l’hypothèse François Hollande, 58 % dans le cas de Martine Aubry. L’entourage du chef de l’Etat veut néanmoins croire que le second tour de la présidentielle sera serré. « Quel que soit le candidat socialiste issu des primaires, il sera dangereux », confie-t-il un jour en Conseil des ministres. Au fur et à mesure de l’été, pourtant, l’opinion anticipe un second tour moins ouvert. Six Français sur dix tablent sur une défaite de l’actuel président de la République, dans un sondage Ipsos du 20 juillet.

Alors que les pièces se mettent en place du côté socialiste, l’Elysée refuse de se faire dicter son agenda par Solférino. Après deux années difficiles où l’économie mondiale tangue (nous sommes après la crise financière des subprimes), Nicolas Sarkozy martèle qu’il veut faire de 2011 une « année utile ». Aux prises avec une nouvelle tempête financière - la crise des dettes souveraines européennes - le président espère que son volontarisme au niveau international paiera et lui redonnera du crédit aux yeux d’une majorité de Français. Sommets européens, conciles sur la dette grecque, préparation de la présidence française du G20 : l’homme fort de la droite veut afficher à l’envi sa stature présidentielle.

Martine Aubry, qui n’envisageait pas de se mettre en travers de la route de DSK, tergiverse et se lance tardivement. Elle se jette à l’eau le 28 juin. Son retard contraste avec la détermination affichée par François Hollande. L’ancien premier secrétaire est officiellement candidat à la primaire socialiste depuis le 31 mars, dans la foulée de sa réélection au conseil général de Corrèze. En réalité, il se prépare et se tient prêt officieusement depuis bien plus longtemps, ses nombreuses prises de parole et sa transformation physique en témoignent. N’avait-il pas plaidé un an plus tôt pour que les primaires soient organisées avant l’été 2011 ? Celui qui veut incarner une « présidence normale » prône notamment un « engagement majeur » en faveur de la jeunesse et une grande réforme fiscale.

« Je voterai pour Hollande », déclare Jacques Chirac

Dans le baromètre Paris Match-Ifop, François Hollande et Martine Aubry font quasiment jeu égal, que ce soit auprès des sympathisants de gauche que de l’ensemble des Français. Un signe de plus que le combat s’annonce très disputé. François Hollande, longtemps surnommé « Monsieur 3 % », revient de loin. L’outsider devient progressivement favori. Le vent tourne et les caciques le sentent. Les anciens lieutenants de DSK, comme Pierre Moscovici et Vincent Peillon, le rejoignent au cours de l’été. Un soutien inattendu se rajoute même le 11 juin : l’ancien président Jacques Chirac, aux côtés du président général de la Corrèze lors d’une inauguration, confie qu’il votera lui-même Hollande. Son entourage met cette sortie sur le compte de « l’humour corrézien ». Trop tard, le symbole est là.

Faire de la haute voltige et éviter le crash : l’enjeu pour les cadres du PS est désormais de ne pas répéter les erreurs du passé et d’éviter la violence de la primaire interne de 2006. Si la compétition ne vire pas à la foire d’empoigne, le rendez-vous peut placer le vainqueur sur une rampe de lancement efficace. Les grands axes du projet sont déjà arrêtés le 28 mai : c’est donc moins sur le débat idéologique que sur les comportements, voire les ego, que se jouera la partie.

Le 29 août à La Rochelle, les six candidats se séparent sur une image d’unité. Mais les jours précédents ont été tendus. L’entrée en campagne de Martine Aubry, bien décidée à faire mentir les sondages, est musclée. « Le match ne fait que commencer », prévient-elle. Quatre jours plus tôt, elle a taillé en pièces l’action de son prédécesseur François Hollande à la tête du parti, qu’elle a repris après le désastreux congrès de Reims en 2008. « Quand je suis arrivée à la tête du parti, on nous expliquait que le PS était un cadavre à la renverse et qu’il faisait pitié. Ce n’était pas faux. »

De son côté, François Hollande a boudé la cérémonie d’ouverture de l’université d’été mais esquive les attaques pour tenter de se placer au-dessus de la mêlée. Sollicité par les journalistes, il finit par faire usage de son droit de réponse. « Je ne suis pas rancunier, sinon je passerais mon temps à exhumer le passé et à repousser l’un l’autre pour des comportements qui ne m’ont pas toujours paru à la hauteur ni des événements, ni de ce que devrait être un mouvement collectif. » La maire de Lille renchérit tout l’automne avec des piques restées célèbres, « quand c’est flou, il y a un loup », ou « la gauche molle ».

DSK : « J’ai manqué mon rendez-vous avec les Français »

Fin août, François Hollande paraît loin devant : à 42 %, il devance largement Martine Aubry à 31 %, Ségolène Royal à 18 %, Arnaud Montebourg à 5 %, puis Manuel Valls (3 %) et Jean-Michel Baylet du Parti radical de gauche (1 %).

Le 23 août, après trois mois de procédure, la justice américaine abandonne les charges contre DSK. Ce dernier rebondissement en date se produit à la veille de l’université d’été du PS de La Rochelle. Mais si le volet pénal se referme, la bataille judiciaire se poursuit sur le volet civil. Libre, le favori déchu reste disqualifié. Le 18 septembre, Dominique Strauss-Kahn apparaît au 20 heures de TF1 et clôt définitivement l’été politique 2011. Il parle d’une « faute morale » et avoue « j’ai manqué mon rendez-vous avec les Français ». Plus tard, François Hollande reconnaîtra que le 15 mai 2011 lui a personnellement « coûté politiquement », lui privant de la légitimité d’une primaire face à DSK. A droite, alors que Nicolas Sarkozy est encore loin de s’être déclaré candidat à sa succession, l’été se termine aussi sur un choc inattendu dans la Ve République : le Sénat bascule à gauche le 25 septembre.

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