[Série] Petites et grandes histoires de la présidentielle : les péchés originels (4/5)

[Série] Petites et grandes histoires de la présidentielle : les péchés originels (4/5)

A l’approche de la présidentielle, Public Sénat se replonge dans l’histoire de la Vᵉ République. Dans cet épisode, retour sur « les péchés originels », « les sparadraps » qui ont collé aux présidents durant leur mandat.
Simon Barbarit

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Nous sommes en février 2012. Au crépuscule de son quinquennat, sur le plateau de France 2, Nicolas Sarkozy esquisse un mea culpa. « Si c’était à refaire, je ne reviendrais pas dans ce restaurant car ça a vraiment été le feuilleton ». Difficile, même avec dix ans de recul, d’oublier l’épisode du Fouquet’s.

Nicolas Sarkozy : « La présidence bling-bling »

Funeste symbole que cette soirée de victoire le 6 mai 2007 au Fouquet’s, hôtel-restaurant des Champs-Elysées, connu jusqu’alors pour accueillir chaque année les lauréats des Césars. Elle fut pour les adversaires du président le prélude « d’une présidence bling-bling ». La croisière familiale du futur président sur le yacht du milliardaire Vincent Bolloré, quelques jours plus tard, ne fera que confirmer cette impression.

Mais après tout, n’était-ce pas Nicolas Sarkozy qui lors de sa déclaration de candidature à la presse quotidienne régionale, promettait « de rompre avec une façon de faire de la politique », de proposer « une autre vision de la France » où « tout peut devenir possible » ?

A défaut d’incarner « la rupture », c’est l’image d’un « président des riches » qui lui collera tout le long de son quinquennat. Sur la forme, c’est l’image d’un homme décomplexé avec les signes extérieurs de richesse que le président n’hésite pas à montrer dans les moments non-officiels, la fameuse Rolex au poignet et des lunettes Ray-Ban sur le nez, dans une France bientôt en proie à la crise financière.

Sur le fond, ses premières réformes fiscales parlent d’elles-mêmes : l’inoubliable bouclier fiscal et la réforme de l’ISF, permettant aux patrimoines supérieurs à trois millions d’euros de ne plus être taxés qu’à 0,5 % contre 1,8 % auparavant, sonneront comme un symbole fort que le chef de l’Etat ne parviendra pas à gommer.

Avec les conséquences de la crise financière sur les finances publiques, et l’échéance électorale de 2012, Nicolas Sarkozy s’attelle à redresser la barre par une série de mesures fiscales à destination des plus riches, comme l’instauration d’une contribution exceptionnelle de 3 % sur les ménages déclarant plus de 250 000 euros par part (4 % au-delà de 500 000 euros)

En février 2012, un rapport de l’Institut des politiques publiques (IPP) révèle que les grands gagnants de la politique fiscale de Nicolas Sarkozy « sont les hauts patrimoines à faibles revenus », « les rentiers », comme Liliane Bettencourt. L’une des plus riches contribuables du pays sera d’ailleurs au cœur d’un scandale politique qui entachera durablement le chef de l’Etat.

En 2011, Nicolas Sarkozy veut croire ou faire croire qu’il a appris de ses erreurs. Mais surtout, il sent venir le vent de la « normalité » qui déferlera bientôt à l’Elysée.

« Je n’ai aucune fascination pour l’argent […] J’ai toujours trouvé étrange ceux qui en faisaient une motivation exclusive, voire obsessionnelle de leur vie », écrit-il dans un manuscrit resté lettre morte et dévoilé dans la presse quelques années plus tard.

» Lire notre article : « Sarkozy n’a pas vocation à incarner un candidat majestueux, les Français ne le croiraient pas »

François Hollande : « Mon adversaire, c’est le monde de la finance »

« Qu’est-ce qu’on retient d’une campagne ? On retient des formules. Et ces formules, après, vous poursuivent ». Dans le livre de Gérard Davet et Fabrice Lhomme, « Un Président ne devrait pas dire ça » (Ed. Points), François Hollande concède qu’il aura été prisonnier tout le long de son quinquennat de cette fameuse sentence :

« Mon adversaire […] Il n’a pas de nom, pas de visage, pas de parti, il ne présentera jamais sa candidature, il ne sera donc pas élu, et pourtant il gouverne. Cet adversaire, c’est le monde de la finance ».

S’il y a bien un discours emblématique de cette campagne présidentielle de 2012, c’est celui du Bourget. Pas vraiment connu pour ses qualités oratoires jusque-là, le candidat socialiste transcende la foule cet après-midi de janvier en reprenant à son compte des propositions de son aile gauche : instauration d’une taxe sur les transactions financières, interdiction des filiales dans les paradis fiscaux, suppression des stock-options, imposition des bonus…

Un mois plus tard, il enfonce le clou en annonçant sur le plateau de TF1 une taxation à 75 % des revenus supérieurs à un million d’euros par an.

« Le discours du Bourget comme la promesse des 75 % sont arrivés à des moments bien précis au cours de la campagne présidentielle […] Pourquoi l’avons-nous fait ? Parce que déjà Jean-Luc Mélenchon, armé de son éloquence et de sa démagogie, commençait à monter dans les sondages. François Hollande […] voulait éviter […] la montée d’une gauche nationaliste, aux accents populistes », explique l’ancien ministre de l’Economie, Pierre Moscovici dans son livre Dans ce clair-obscur surgissent les monstres (Ed. Plon).

Dès les premiers mois de son mandat, le chef de l’Etat revient partiellement sur sa promesse d’une taxation à 75 % des revenus les plus riches. Intégrée au projet de loi de finances 2013, la réforme ne devait durer que deux ans sans toucher les revenus du capital. Elle sera finalement censurée par le Conseil Constitutionnel.

Pour lutter contre un chômage endémique, le président opte pour un virage social-libéral à mi-mandat, début 2014. Ce qui lui vaut les foudres de l’aile gauche du parti socialiste et la défection de plusieurs ministres, dont Arnaud Montebourg et Benoît Hamon. A l’Assemblée nationale, les frondeurs, issus pourtant du groupe socialiste, accaparent les débats.

Le climax de cette division sera deux ans plus tard avec la loi travail. Les frondeurs, plus que jamais hostiles à la politique de l’offre de l’exécutif, tentent même de déposer une motion de censure pour faire tomber le gouvernement.

La « présidence normale » voulue par François Hollande en miroir de « l’hyperprésidence » de son prédécesseur sera également un pari manqué, car perçue comme un déficit d’incarnation et d’autorité. L’image désastreuse d’un président sur son scooter lors d’une escapade extraconjugale ou encore sa gestion de l’affaire Leonarda seront autant de stigmates de ce que ses adversaires qualifieront d’abaissement de la fonction présidentielle.

Au plus près de lui, le jeune ministre de l’Economie, Emmanuel Macron, saura en tirer profit.

» Lire notre article : François Hollande : le bilan c’est maintenant

Emmanuel Macron : « Président jupitérien »

Tout juste sorti du gouvernement, Emmanuel Macron ne fait plus mystère de son intention de briguer la présidence de la République. En octobre 2016, il accorde à Challenges un long entretien. L’histoire se répète : prendre le contrepied du président sortant.

« François Hollande ne croit pas au « président jupitérien ». Il considère que le président est devenu un émetteur comme un autre dans la sphère politico-médiatique. Pour ma part, je ne crois pas au président « normal ». Les Français n’attendent pas cela. Au contraire, un tel concept les déstabilise, les insécurise », veut-il croire.

Son arrivée « Mitterrandienne » sur l’esplanade du Louvre pendant plus de trois minutes, au son de « l’hymne à la joie » de Beethoven, l’hymne officiel de l’Union européenne, le soir de la victoire du second tour, augure pourtant « la solitude du pouvoir » tant invoquée par les anciens présidents de la Vᵉ République.

La qualification « jupitérienne » sera maintes et maintes fois reprise par les oppositions de tout bord, lui reprochant ses réformes à marche forcée, un amateurisme de sa majorité, le manque de consultations des corps intermédiaires, les relations parfois tendues avec la presse, et une certaine forme d’arrogance symbolisée par des phrases chocs.

« Je traverse la rue et je vous en trouve du boulot » assure-t-il à un jeune chômeur lors des journées du patrimoine de 2018. Quelques mois plus tard, le mouvement des Gilets Jaunes fera vaciller le pouvoir. L’affaire Benalla révélera au grand jour des dysfonctionnements au sein de l’Elysée et un président bravache lançant devant les députés de sa majorité : « Qu’ils viennent me chercher ! »

La gestion de la crise sanitaire par un recours accru aux ordonnances - qui permettent au gouvernement de prendre des mesures qui relèvent habituellement du domaine législatif - braquera un peu plus les parlementaires.

Dépasser le clivage droite-gauche était l’autre promesse d’Emmanuel Macron à l’orée de la campagne présidentielle de 2017.

« Si par libéralisme, on entend confiance en l’homme, je consens à être qualifié de libéral […] Mais si, d’un autre côté, c’est être de gauche que de penser que l’argent ne donne pas tous les droits, que l’accumulation du capital n’est pas l’horizon indépassable de la vie personnelle, que les libertés du citoyen ne doivent pas être sacrifiées à un impératif de sécurité absolue et inatteignable, que les plus pauvres et les plus faibles doivent être protégés sans être discriminés, alors je consens aussi volontiers à être qualifié d’homme de gauche », développe-t-il dans son livre « Révolution » en novembre 2016.

Un grand écart que l’ancien ministre de l’Economie a déjà expérimenté durant deux ans passés à Bercy, non sans quelques recadrages de ses collègues. Enarque et novice en politique, l’ancien secrétaire général adjoint de l’Elysée s’affranchit des codes et l’époque est propice pour ce faire.

Le renoncement de François Hollande et un PS empêtré dans ses divisions lui servent d’anti-modèle pour la création de son mouvement « En Marche », où l’on adhère en un clic et qui fait belle place aux membres de la société civile.

A droite, le candidat LR François Fillon, enlisé dans un scandale d’emploi fictif, oriente le programme d’Emmanuel Macron vers la rénovation de la vie politique.

Mais dès les premiers mois du quinquennat, le nouveau monde prend aussi des relents d’ancien, avec les démissions en cascade des ministres Modem, Sylvie Goulard, Marielle de Sarnez et surtout du garde des Sceaux, François Bayrou, alors en charge de la réforme de la moralisation de la vie publique, suite à l’ouverture d’une enquête préliminaire au sujet d’assistants parlementaires pour abus de confiance et recel d’abus de confiance.

A la fin de son quinquennat, dans un long entretien sur TF1 et LCI, Emmanuel Macron tire le bilan de son quinquennat et des limites de son style « jupitérien ».

« J’ai appris une chose : on ne fait rien bouger si on n’est pas pétri d’un respect infini pour chacun. Je pense que j’ai manqué de respect à l’époque et que dans certains de mes propos, j’ai blessé des gens et je ne le referai plus », confesse-t-il.

Avant lui, Nicolas Sarkozy en campagne pour un second mandat, avait lui aussi « appris » et « compris l’importance symbolique de la parole présidentielle, son poids, la nécessité qu’elle rassemble ». Quant à François Hollande, dans le livre Un président ne devrait pas dire ça (Ed. Stock, 2016). Il formule ce conseil, adressé à lui-même et à ses successeurs : « Le président doit tuer le candidat car, tant qu’il ne le fait pas, il n’est pas regardé comme président ».

[Série] Petites et grandes histoires des campagnes présidentielles : les trahisons de la droite (1/5)

 

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