[Série] Petites et grandes histoires des campagnes présidentielles : les coups bas de la gauche (2/5)

[Série] Petites et grandes histoires des campagnes présidentielles : les coups bas de la gauche (2/5)

Entre anecdotes, coups tordus, propositions loufoques ou répliques culte, à l’approche de la présidentielle, Public Sénat vous propose une plongée dans les coulisses de la course à l’Elysée sous la Vᵉ République. Dans cet épisode, focus sur les socialistes, chez qui l’unité en temps de campagne présidentielle semble bien souvent tenir de la gageure.
Romain David

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« Force est de constater que les hommes politiques autour de Valérie Pécresse ont été très corrects, présents. » Le commentaire ne vient pas des rangs de la droite, mais d’une femme de gauche. Auprès du Parisien, Ségolène Royale réagissait début décembre à la désignation de Valérie Pécresse comme candidate des Républicains.

La photo de famille d’une droite visiblement unie autour de la présidente de l’Île-de-France a rappelé à celle qui a porté les couleurs du PS en 2007 des souvenirs doux-amers, ceux d’une campagne durant laquelle les coups les plus durs n’ont pas toujours été portés par ses adversaires à l’investiture suprême.

Depuis la disparition de François Mitterrand, en 1996, le leadership socialiste a été remis en question quasiment à chaque élection présidentielle. Une situation qui a nourri rivalités et frustrations au sein d‘un parti qui ne s’est hissé que trois fois au pouvoir sous la V République (1981-1995 ; 1999-2002 ; 2012-2017).

Dans le cadre de notre série sur les petites et grandes histoires derrière la course à l’Élysée, retour sur ces campagnes qui ont vu le PS se fracturer, depuis la « Ségo-mania » en 2007, jusqu’à la dernière élection, lorsque la désertion de François Hollande et la comète Macron ont littéralement fait imploser le parti à la rose.

2002 : la gauche façon puzzle

En août 2000, Jean-Pierre Chevènement quitte le gouvernement de Lionel Jospin, après un désaccord sur la politique de Matignon vis-à-vis de la Corse. Il n’en n’est pas à son premier coup d’éclat gouvernemental, il a d’ailleurs lui-même théorisé la pratique avec une maxime restée fameuse : « Un ministre ça démissionne ou ça ferme sa g… ».

Soucieux de faire à nouveau entendre sa voix, le Belfortain annonce un an plus tard sa candidature à l’investiture suprême, alors que celle du Premier ministre, déjà candidat en 1995, ne fait guère de mystère. L’aventure personnelle de Jean-Pierre Chevènement est un prélude au morcellement d’une large partie de la gauche. Christiane Taubira, cheffe de file des radicaux de gauche, se lance aussi dans l’aventure.

Face à eux, Lionel Jospin se pose davantage en chef d’État qu’en concurrent. Il joue la carte du rassemblement transpartisan et refuse de s’adresser à sa seule famille politique :

« Le projet que je propose au pays n’est pas un projet socialiste », lance-t-il au 20 heures de France 2, le 21 février 2002.

Une petite phrase qui a certainement fait grincer quelques dents à Solférino et dans les fédérations.

À l’approche du scrutin, on dénombre un total de huit candidatures à gauche de l’échiquier politique. L’annonce des résultats du premier tour, le 21 avril 2002, est un séisme sans précédent dans l’histoire de la V République. Pour la première fois, l’extrême droite, incarnée par Jean-Marie Le Pen, accède au second tour (16,86 %), derrière le président sortant, Jacques Chirac (19,88 %).

Lionel Jospin s’arrête sur la troisième marche du podium, avec 16,8 % des voix, Jean-Pierre Chevènement finit sixième (5,33 %), Christiane Taubira treizième. Quelques minutes plus tard, second coup de massue pour les électeurs socialistes : Lionel Jospin annonce son retrait définitif de la vie politique, soulevant de nombreux cris d’effroi dans l’assistance.

Dans ses mémoires, publiées en 2010, l’ancien premier secrétaire du PS explique l’échec de 2002 par une dispersion de la gauche, qu’il admet avoir sous-estimée. Manière aussi de faire implicitement peser la faute sur ses concurrents… qui n’ont pas manqué de lui renvoyer la balle.

Dans un entretien accordé à Mediapart, Christiane Taubira a regretté qu’il n’ait pas essayé de tendre la main aux autres candidats. « Si on m’avait dit qu’il y avait un risque, si on avait discuté et si on m’avait convaincue, j’aurais pu me retirer. »

2007 : petite(s) trahison(s) familiale(s)

En novembre 2006, Ségolène Royale impose sa candidature face aux poids lourds de sa famille politique. Sa désignation lors d’une primaire interne (60,6 %) éclipse les ambitions présidentielles de Dominique Strauss-Kahn (20,7%) et de Laurent Fabius (18,7%). Mais dans les couloirs du PS, l’élection de la Dame du Poitou passe mal. Jalousies ? Machisme ? À n’en pas douter.

Il suffit de dresser la longue liste des commentaires sur le look ou la coupe de cheveu de la candidate, semés ici ou là par différents responsables socialistes. Mais c’est aussi l’engouement que suscite la candidature de Ségolène Royal qui agace, avant même sa désignation.

Lancé en avril 2006, à l’initiative de plusieurs figures féminines du PS, telles qu’Annick Lepetit, Anne Hidalgo et Michèle Sabban, le mouvement des « 143 rebelles » entendait dénoncer la peopolisation des prétendants à l’investiture au détriment du débat d’idées, mais en sous-main, c’est bien la « Ségo-mania » qui était visée.

Sur le terrain de la campagne, le manque d’enthousiasme, pour ne pas dire l’absence des ténors du parti n’échappe guère aux militants. Dans un sondage réalisé par LH2 pour Libération après la défaite de Ségolène Royal, 66 % des sympathisants de gauche imputent son échec à la présidentielle au manque de soutien du PS. Du côté des accusés, on dénonce le sectarisme de la candidate :

« Elle est la seule qui n'a pas voulu associer à la campagne électorale tous les talents du Parti socialiste », avait botté en touche Claude Bartolone sur Canal+.

« Les ténors socialistes à l'époque ont tous boudé, sauf quelques-uns. On était avant MeToo et un ancien Premier ministre pouvait me traiter d'impasse », se remémore Ségolène Royal, toujours dans les colonnes du Parisien. Une référence au titre du livre à charge que Lionel Jospin avait rédigé sur elle. Retiré ou non de la vie politique, au PS, on préfère laver son linge sale en public.

Mais pour l’ex-candidate, la trahison la plus douloureuse est venue du cercle familial, comme elle l’explique dans son livre  Ce que je peux enfin vous dire (Ed. Fayard), publié en 2018.

« Comme tout le monde le sait maintenant, j’avais été cruellement trahie avant et pendant la campagne présidentielle de 2007 pour une femme de dix ans plus jeune », écrit-elle.

Elle évoque ainsi la relation que François Hollande, son compagnon depuis près de trente ans - à l’époque Premier secrétaire du PS -, entretenait avec la journaliste Valérie Trierweiler. La séparation du couple avait été rendue officielle plus d’un mois après le second tour de la présidentielle.

« Valérie Pécresse, elle, a un mari qui la soutient, c’est un atout considérable », a encore déclaré début décembre Ségolène Royale au quotidien francilien.

2017 : le parricide de Macron

Dernière trahison en date, et peut-être aussi la plus marquante, celle d’Emmanuel Macron vis-à-vis de François Hollande, puisqu’elle a renversé plusieurs figures imposées de l’élection présidentielle, avec l’impossibilité pour le président sortant de se représenter au terme de son premier mandat, et l’ascension fulgurante d’un conseiller quasiment inconnu du grand public avant sa nomination comme ministre.

La dernière année du quinquennat de François Hollande est marquée par de nombreuses tensions entre le Premier ministre Manuel Valls et Emmanuel Macron, alors ministre de l’Economie. Le premier reproche au second de ne soutenir que du bout des lèvres l’action du gouvernement auquel il appartient. C’est pourtant Manuel Valls qui a insisté pour faire entrer « le petit Mozart de la finance » à Bercy.

Macron, lui, s’assume « libéral », formule qui chagrine dans les rangs de la majorité. « En économie, le libéralisme n'est ni de droite ni de gauche », lance-t-il en février 2016, en marge d’une rencontre avec le Medef. L’agacement entre les deux hommes monte d’un cran après le lancement du mouvement politique d’Emmanuel Macron, En marche !, en avril 2016. Le président, lui, reste dubitatif :

« Je ne vois pas comment il pense convaincre de cette manière. C’est vide ! », aurait-il déclaré, selon des propos rapportés par son ancien conseiller com’, Gaspard Gantzer.

Mi-mai, une discussion mouvementée entre Valls et Macron, lors d’une séance de questions au gouvernement à l’Assemblée nationale, n’échappe pas aux caméras. En cause : une interview accordée à Ouest France et dans laquelle le chef du gouvernement se sent implicitement attaqué. Macron s’en prend à ceux qui l’accusent de verser dans le mélange des genres, « des gens qui ont été maires de grandes villes de province et ministres régaliens, quand ils n’ont pas été maire et Premier ministre ».

Lors de la traditionnelle interview du 14 juillet, François Hollande siffle la fin de la récréation et tente de recadrer son ancien secrétaire de cabinet, en rappelant qu’il est tenu à la « solidarité gouvernementale ». Mais il est déjà bien tard - trop tard - pour se préoccuper de la menace qu’il a laissé grandir sous ses yeux.

Le 30 août, l’intéressé démissionne. « Tu n’as aucune chance ! », lui aurait lancé le président. Mais lorsqu’Emmanuel Macron se déclare candidat en novembre, François Hollande apparait politiquement asphyxié. Le 1er décembre, il lève l’hypothèque sur son avenir en renonçant officiellement à se présenter, empêché par les divisions qui minent la gauche, une cote de popularité en berne et la menace que représente le FN au second tour.

Une trahison en entrainant une autre, la primaire socialiste qui s’ouvre pour trouver un successeur à François Hollande vire au règlement de compte. Distancé par Benoît Hamon, représentant de l’aile gauche au sein du PS, Manuel Valls refuse de soutenir le candidat désigné comme il s’y était pourtant engagé. Et appelle finalement à voter… Emmanuel Macron.

Il ajoute ainsi son nom à la longue liste des responsables socialistes qui soutiennent déjà le marcheur : Gérard Colomb, François Patriat, Richard Ferrand…

Depuis ? François Hollande multiplie régulièrement les pics à l’égard de son successeur. Dans son dernier livre, Affronter (Ed. Stock) publié en octobre, il résume ainsi le quinquennat écoulé :

« Son mandat ressemble à s’y méprendre à un deuxième quinquennat de Nicolas Sarkozy. »

[Série] Petites et grandes histoires des campagnes présidentielles : les trahisons de la droite (1/5)

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