« Si l’Etat ne fait que financer, je ne joue pas mon rôle » : le soutien sous conditions de Macron à Marseille

« Si l’Etat ne fait que financer, je ne joue pas mon rôle » : le soutien sous conditions de Macron à Marseille

En visite de 3 jours dans la cité phocéenne, Emmanuel Macron a détaillé le « contrat » qu’il a proposé aux collectivités locales pour construire « Marseille en grand ». Si le Président n’a donné aucun chiffre global, les subsides de l’Etat devraient abonder des projets dans la sécurité, l’éducation, le logement, les transports ou encore les hôpitaux marseillais. Toutefois ce ne sera pas sans conditions pour les collectivités locales.
Louis Mollier-Sabet

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C’est contre les intempéries et les problèmes techniques que le Président de la République a décliné son plan – qui, d’après lui, ne doit pas en être un – de soutien aux collectivités locales marseillaises. Après deux journées de visite dans des cités, des commissariats ou encore des écoles de Marseille, Emmanuel Macron a fini par détailler ce qu’il a insisté pour définir comme une sorte de « contrat » ou « d’engagement » de soutien de l’Etat à Marseille, et non comme un « plan venu de Paris ».

« Je pense qu’aider Marseille à réussir ça n’est pas lui faire l’aumône », a ainsi déclaré le Président de la République. « Une vraie réussite de Benoît Payan », pour Marie-Arlette Carlotti, sénatrice socialiste des Bouches-du-Rhône, qui estime que le maire de Marseille « a fait quelque chose de bien, en ramenant le Président de la République à Marseille et en allant chercher ce projet. »

L’urgence « sécuritaire, sociale et sanitaire »

« Ce projet » est d’abord un soutien d’urgence à la ville et à la Métropole de Marseille, que le Président de la République a décliné en trois volets. D’abord, face à « l’urgence sécuritaire » face au « fléau de la drogue parasite la ville et la vie », Emmanuel Macron a promis « une véritable traque, une politique de harcèlement des trafics. » Ainsi 200 policiers supplémentaires arriveront à Marseille en 2022, ainsi qu’un nouvel hôtel de police.

« Les postes de policiers, je m’en réjouis », concède Valérie Boyer, sénatrice LR des Bouches-du-Rhône, « mais tant que la chaîne pénale n’est pas rétablie, les délinquants ne sont pas mis en prison et ce sont les habitants qui s’y retrouvent. » Du côté de la gauche sénatoriale et marseillaise, Marie-Arlette Carlotti est un peu plus clémente concernant les annonces d’Emmanuel Macron sur la sécurité, et notamment sur le déploiement de 500 caméras de vidéosurveillance dans les quartiers les plus difficiles de la ville : « Sur les vidéo-surveillances ce n’est pas trop mal. On est plutôt bien lotis en caméras à Marseille mais elles sont positionnées selon le clientélisme d’avant [sous la municipalité précédente] : dans les quartiers les plus chauds il n’y a que 300 caméras sur les 1500 alors que les autres sont placées dans des quartiers un peu bourgeois. Là l’Etat va quand même financer 500 caméras mais exiger que ce soit dans des lieux précis, notamment à proximité des écoles. Ça, c’est bien. »

Ensuite, le chef de l’Etat est revenu sur « l’urgence sociale », « sœur de l’urgence sécuritaire parce qu’elle en est toujours le symptôme. » Ainsi Emmanuel Macron ne souhaite pas tomber dans « le tout répressif » et entend au contraire encourager les « tisseurs de solidarité » en recrutant 30 éducateurs et 30 médiateurs qui « viendront prêter main-forte aux 60 recrutés ces derniers mois ». Enfin, face à « l’urgence sanitaire » alors qu’« en plein cœur de la deuxième ville de France, il y a des déserts médicaux », le Président de la République a annoncé des reprises de dette et des investissements dans les hôpitaux marseillais : 169 millions pour la Timone et l’hôpital Nord et 50 millions d’euros supplémentaires pour le pôle mère-enfant ainsi que la création d’une maison des femmes.

Marseille : un « laboratoire » d’innovation pédagogique

Après l’urgence est venu le temps « d’inventer le Marseille de 2030 ». Pour ce faire, le premier pilier de la stratégie d’Emmanuel Macron est éducatif. Sur 472 écoles marseillaises, 174 seraient, d’après le Président de la République, « dans un tel état de délabrement que l’apprentissage y est impossible ». L’Etat participerait donc au financement de la rénovation de ces écoles par le biais d’une société ad hoc, qui sera présidée par le maire de Marseille, Benoît Payan.

Mais Emmanuel Macron n’a pas souhaité en rester là et veut faire de Marseille un « laboratoire » d’innovation pédagogique pour pallier « l’absentéisme » d’enseignants qui ne viennent plus « parce qu’ils sont fatigués de travailler dans des endroits difficiles » : « Il faut que les directeurs de ces écoles puissent choisir l’équipe pédagogique. On doit permettre aux enseignants de choisir ces quartiers et les postes qui vont avec. » De même, 10 microcollèges et 10 microlycées devraient s’installer à Marseille d’ici la rentrée 2022 dans les quartiers les plus difficiles. Ces micro-établissements « réunissent les décrocheurs autour d’un objectif qui est de réussir le baccalauréat pour se raccrocher au système. Ça marche parce que ce sont de toutes petites classes et qu’on y met les moyens. »

Là aussi, Marie-Arlette Carlotti semble plutôt satisfaite du compromis trouvé entre l’exécutif et la majorité municipale marseillaise : « Ce sont des choses intéressantes. » À droite, Valérie Boyer se montre moins enthousiaste : « Les innovations pédagogiques, c’est formidable mais dans des écoles où l’on ne parle pas français il faut se concentrer sur les fondamentaux parce que c’est l’intégration qui compte. »

En tout cas, Emmanuel Macron ne s’est pas arrêté au scolaire, puisqu’il a aussi détaillé un ensemble de mesures consacrées à « l’émancipation économique » des jeunes, orientées comme souvent vers une insertion par le travail et l’entrepreneuriat. « Tous les jeunes que j’ai vus hier ils ne m’ont pas demandé des aides, ils m’ont demandé d’être embauchés », explique ainsi le chef de l’Etat. « On doit aussi encourager l’entreprenariat. Pour les jeunes des quartiers, c’est plus facile de trouver un client que de trouver un emploi. L’entreprenariat est un vecteur d’émancipation dans les quartiers parce qu’il y a l’esprit de débrouille », poursuit le chef de l’Etat. Emmanuel Macron a ainsi promis la création de trois « carrefours de l’entrepreneuriat » à Marseille, « où des jeunes qui ont des projets seront gratuitement formés et accompagnés ». De même un « capital jeune créateur » devrait être introduit. « Toutes ces mesures ne sont pas chiffrées », rappelle Marie-Arlette Carlotti.

« Marseille c’est un endroit où les élus locaux ne peuvent même pas se mettre autour d’une table »

En revanche, sur les transports, le Président de la République a bien détaillé la participation de l’Etat, probablement parce que tous ces projets « étaient dans les tuyaux » pour la sénatrice socialiste. L’Etat prendra ainsi en charge 1 milliard d’euros dont 250 millions en subventions pour l’automatisation du métro, la construction de 4 lignes de tramway et de 5 lignes de bus supplémentaires, notamment dans le but de désenclaver les quartiers Nord. De même, l’Etat devrait soutenir le projet de réaménagement de la gare Saint Charles et de la traversée souterraine de Marseille par une ligne ferroviaire longeant la Côte d’Azur à hauteur d’1,4 milliard d’euros.

« Cet effort majeur ne doit pas se disperser en paiements de fonctionnement indus. La Métropole doit faire évoluer sa gouvernance, c’est une condition indispensable », a averti le chef de l’Etat en visant directement la Métropole d’Aix-Marseille-Provence. Le Président de la République veut en fait éviter de créer un précédent : « Vous comprenez bien, si l’Etat se substitue aux collectivités, c’est une prime à ceux qui font mal. Si l’Etat ne fait que financer je ne joue pas mon rôle : il faut régler les problèmes d’organisation et de gouvernance, sinon je mets plus d’essence dans un système qui continue à garder les mêmes freins. »

Emmanuel Macron touche ici du doigt un nœud du problème marseillais que nous a explicité Marie-Arlette Carlotti : « La Métropole était une excellente idée, mais on est mal rentrés dedans et ça ne fonctionne pas. On a laissé entendre aux maires des petites communes qu’on les humiliait et il s’est créé une animosité contre la ville-centre de Marseille. On n’arrive pas à s’entendre et je ne parle même pas de partis politiques, mais Marseille c’est un endroit où les élus locaux ne peuvent même pas se mettre autour d’une table. Du coup on redistribue environ 60 % du budget de la Métropole aux communes et elle perd sa capacité d’investissements. » Les contreparties demandées par le chef de l’Etat – et notamment une nouvelle loi de gouvernance de la Métropole qui devrait être discutée au Parlement fin décembre – paraissent ainsi raisonnables à la sénatrice socialiste des Bouches-du-Rhône : « De ce point de vue, il a raison, je trouve ça plutôt intéressant. »

« Marseille n’est pas un laboratoire pour tester une candidature »

En revanche, à droite, les critiques d’Emmanuel Macron envers la Métropole ne passent pas : « J’ai trouvé le Président de la République agressif et cruel d’avoir fustigé la présidente de la Métropole qui lui a tendu la main », nous explique ainsi Valérie Boyer. La sénatrice LR n’y va pas par quatre chemins : « Il n’a jamais été élu local, il a méprisé tous les corps intermédiaires et maintenant il fustige les élus locaux pour se défausser alors que ça fait 10 ans qu’il est au pouvoir. Qu’il fasse déjà en sorte que le régalien fonctionne et nous [les élus locaux] on s’occupera de faire fonctionner le local. »

Valérie Boyer a d’ailleurs décliné l’invitation à ce discours et critique une instrumentalisation politique de l’Elysée : « J’ai refusé de participer à la campagne d’autopromotion d’Emmanuel Macron candidat parce que Marseille n’est pas un laboratoire pour tester sa candidature. » De fait, personne n’est dupe, même les élus locaux plus proches de la majorité municipale actuelle. « La mise en scène m’a un peu énervé », confie par exemple Marie-Arlette Carlotti avant d’ajouter : « Mais peu importe si c’est l’intérêt des Marseillais. »

L’examen au Sénat de loi sur la gouvernance de la Métropole, fameuse « contrepartie » à ce soutien de l’Etat, promet en tout cas d’être mouvementé.

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