SNCF : les conséquences de l’ouverture à la concurrence, le vrai sujet de la réforme

SNCF : les conséquences de l’ouverture à la concurrence, le vrai sujet de la réforme

Le Sénat a pris un peu d’avance et a adopté en commission un texte sur l’ouverture à la concurrence du rail. Mais les sénateurs veulent l’encadrer pour assurer la bonne déserte des territoires. Au syndicat Sud Rail, on alerte sur les conséquences sur la sécurité, « un vrai souci », et « une forte hausse des prix » à venir.
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La réforme de la SNCF se concentre sur la fin du statut de cheminot. Mais l’ouverture à la concurrence aux entreprises privées, que prévoit de mettre en place le gouvernement, est tout aussi voire plus importante. « Le statut, ce n’est qu’un effet d’optique pour agiter tout le monde. Le problème, c’est l’ouverture à la concurrence, qui va à l’encontre du service public. Le statut, c’est un épiphénomène ». C’est Bruno Poncet, secrétaire fédéral de Sud-Rail, troisième syndicat de la SNCF, et pas le moins opposé à la réforme, qui le dit. « Le cœur de la réforme, c’est celle du système ferroviaire, c'est-à-dire l’ouverture à la concurrence et la réforme de la SNCF » confirme le président de la commission de l’aménagement du territoire du Sénat, le sénateur UDI Hervé Maurey. Sur ce constat de l’importance du sujet, les deux hommes se retrouvent. Mais pas sur le fond.

Débat au Sénat la semaine prochaine vs ordonnances du gouvernement

Le sénateur de centre-droit défend ardemment la nécessité d’ouvrir à la concurrence le rail. En septembre dernier, il dépose une proposition de loi sur l'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs. Elle vient d’être adoptée ce matin en commission. La majorité sénatoriale LR et UDI a voté pour, tout comme les sénateurs PS… dont une bonne partie appelle pourtant à manifester avec les fonctionnaires et les cheminots demain. Les sénateurs PCF et LREM ont voté contre.

La proposition de loi, qui a été envoyée pour avis au Conseil d’Etat, fait rare pour une PPL, sera examinée dans l’hémicycle mercredi et jeudi prochain. C’est la petite revanche des sénateurs. « Elisabeth Borne, la ministre des Transports, nous avait dit que la PPL serait le véhicule législatif pour l’ouverture à la concurrence. Le gouvernement n’a pas respecté sa parole » peste encore Hervé Maurey. Car depuis, l’exécutif a annoncé le recours aux ordonnances, « c'est-à-dire priver le Parlement d’un débat de fond sur ce sujet. Donc le président du Sénat a voulu que cette proposition de loi soit inscrite à l’ordre du jour ». Histoire d’organiser le débat qui n’aura pas lieu, ou de façon tronquée, via les ordonnances.

Mise en conformité avec le droit européen

L’ouverture à la concurrence, on en parle depuis 1991. C’est une décision européenne, donc des différents Etat membres. Cette ouverture s’est faite par tranche, ou plutôt par « paquet ferroviaire » : d’abord ouverture du fret international en 2003, du fret national en 2007 puis du transport international de voyageur en 2010. On arrive maintenant à l’ensemble du transport voyageur. Cette dernière ouverture a été adoptée en 2016, sous le gouvernement socialiste de François Hollande. On comprend mieux le vote favorable des sénateurs PS en commission.

C’est pour être en conformité avec le droit européen que le gouvernement veut imposer cette ouverture à la concurrence. Elle doit se faire dès 2019 pour les TER et trains d’équilibre du territoire (Intercités) et à partir de 2021 pour les TGV. Le principe diffère entre les TER et TGV. Pour les premiers, les régions pourront lancer des appels d’offres et choisiront l’offre qu’elles estiment la meilleure. La SNCF pourra être mise en concurrence avec des entreprises privées au moment du choix, mais une seule compagnie aura le marché.

Pour les TGV, c’est le principe de l’« open access », soit l’accès libre, qui prévaut. Plusieurs compagnies pourront venir faire face à la SNCF, sans appel d’offres. Une concurrence frontale, encadrée par l'Arafer, l’autorité de régulation.

« On risque d’avoir pléthore d’opérateurs sur un Paris-Lyon et plus aucun sur Dijon-Besançon »

Si la majorité sénatoriale défend l’ouverture, elle veut cependant davantage l’encadrer. « Au Sénat, on a une approche beaucoup plus respectueuse des territoires et de leur aménagement. On ne veut pas que cette ouverture à la concurrence se traduise par une moindre qualité de déssertes de certaines villes et régions. On souhaite que l’ouverture permette d’améliorer la qualité du service rendu à l’usager, et ça passe par des territoires qui ne sont pas victimes de cette ouverture » explique Hervé Maurey (voir la vidéo, images de Fabien Recker).

Le sénateur UDI Hervé Maurey explique sa proposition de loi sur l'ouverture à la concurrence
03:56

Précision du sénateur de l’Eure : « L’ouverture peut faire peser un risque sur certaines lignes TGV, car les textes européens prévoient l’open access. (…) Si ce n’est pas encadré, il y a un risque que tous les opérateurs se battent pour aller sur les lignes rentables et qu’ils délaissent les lignes non-rentables. (…) On risque d’avoir pléthore d’opérateurs sur un Paris-Lyon et plus aucun sur Dijon-Besançon ». Autre exemple : sur un Paris-Nice, « on sait qu’il est rentable jusqu’à Marseille. Mais on ne veut pas que l’usager doive prendre ensuite un TER », alors que les TGV continuent aujourd’hui leurs trajets sur les voies normales, afin de desservir les villes moyennes. La solution des sénateurs : « Mettre un certain nombre de garde-fous pour que des contrats de service public soient conclus » avec les entreprises.

Ouverture au privé synonyme de menace sur la sécurité ?

Du côté syndical, l’ouverture à la concurrence est vue comme une menace à faces multiples. « Le danger, c’est la sécurité. Il y a un vrai souci » affirme à publicsenat.fr Bruno Poncet, de Sud-Rail. « Le coût d’une locomotive restera le même. Les entreprises privées vont tirer sur la sécurité. On l’a vu en Grande-Bretagne, ça s’est traduit par des accidents et 70 morts en 10 ou 20 ans. Puis il y aura du dumping social. Ce ne sera pas les mêmes horaires. Si vous faites conduire un conducteur 8 ou 9 heures, vous mettez en danger la sécurité ». En Grande-Bretagne, c’est aussi le choix de privatiser la gestion du réseau qui avait causé de graves désorganisations et des accidents. Depuis, l’Etat a repris en main les rails… Pour Hervé Maurey, la question de la sécurité « est un argument qui ne tient pas car l’ouverture se fera sous contrôle de l’Arafer et de l’Etat. Ils veilleront à ce que les règles de sécurité soient respectées ».

Hausse ou baisse des prix ?

Autre conséquence négative, soulignée par le responsable de Sud Rail : celle sur les prix. Là encore, « on a eu en Grande-Bretagne le contraire, avec une forte hausse des prix ». Dans une tribune publiée dans Le Monde, deux économistes vont dans le sens du syndicaliste, affirmant que « l’ouverture à la concurrence ne garantit en rien une baisse des prix favorable au voyageur ».

Toujours selon Le Monde, les prix ont presque doublé depuis 2005 en Angleterre, qui avait été le premier pays à ouvrir à la concurrence. En Allemagne, si la qualité du service s’est améliorée, le prix est aussi plus élevé qu’en France aujourd’hui. En Italie en revanche, l’ouverture à la concurrence s’est traduite par une vraie baisse des prix sur les lignes grande vitesse. Mais le réseau régional s’est retrouvé délaissé.

Pour le président de la commission de l’aménagement du territoire du Sénat, cet argument ne tient pas non plus : « La concurrence a plutôt un effet qui permet d’améliorer les prix. On n’a jamais vu que la situation de monopole améliorait les prix ».

Ouverture totale ou par étapes ?

Bruno Poncet met aussi en cause la méthode du gouvernement qui veut ouvrir toutes les lignes régionales puis TGV sans étapes. « Ils veulent tout ouvrir d’un seul coup. Ça, c’est la catastrophe, on l’a vu avec le Fret, qui aujourd’hui a reculé de 16 à 10%. Lors des rencontres avec Elisabeth Borne, on a dit à la ministre « si vous ouvrez à la concurrence, faites le plutôt ligne par ligne et doucement, comme en Allemagne » explique le syndicaliste de Sud Rail.

Fermeture des petites lignes : le gouvernement renvoie la responsabilité sur les régions

L’ouverture à la concurrence ne sera pas sans conséquences non plus pour les petites lignes, que le rapport Spinetta préconisait de fermer. Leur fermeture n’est pas oubliée, contrairement à ce qu’a affirmé Edouard Philippe en présentant sa réforme. L’exécutif renvoie en réalité la responsabilité sur les régions. Manière de s’éviter une grosse difficulté politique.

« Cette question n’est pas supportée par le gouvernement, car ils sont lâches. La SNCF dira aux régions qu’il faut payer plus si vous voulez votre ligne. Or les régions ne pourront pas les garder, car elles ont beaucoup de dépenses » explique le secrétaire fédéral de Sud-Rail. Il ajoute : « Les entreprises iront sur quelques niches, mais je n’imagine pas une compagnie privée aller sur une ligne avec 80 personnes par jour. Or c’est ça, le service public ». Hervé Maurey ne nie pas cette conséquence de l’ouverture. Mais selon le sénateur UDI, il faut au contraire l’assumer : « Si une région, demain, considère que certaines lignes doivent être supprimées car elles sont insuffisamment empruntées, c’est sa responsabilité ». Le débat continue la semaine prochaine, en séance, à la Haute assemblée. Et demain dans la rue.

 

Voir aussi notre débat sur le plateau de Public Sénat, avec Fanny Arav, économiste et administratrice Unsa ferroviaire au CA de SNCF réseau, Marc Fressoz, journaliste transport à Contexte, Jean-François Longeot, sénateur UC et rapporteur de la PPL du Sénat sur l’ouverture à la concurrence et Martial Bourquin, sénateur PS :

Débat sur l'ouverture à la concurrence du rail
16:50

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