Suède, Italie… le rapprochement droite – extrême droite, un mouvement de fond à l’échelle de l’Europe ?

Suède, Italie… le rapprochement droite – extrême droite, un mouvement de fond à l’échelle de l’Europe ?

Après la Suède, l’Italie devient en moins de deux semaines le second pays européen à porter au pouvoir une coalition de droite au sein de laquelle les extrêmes droites sont arrivés en tête. Les expériences politiques de ce type sont loin d’être inédites en Europe, et interrogent sur la stabilité de l’Union européenne.
Romain David

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Giorgia Meloni revendique la direction du prochain gouvernement italien. « Les Italiens ont envoyé un message clair en faveur d’un gouvernement de droite dirigé par Fratelli d’Italia », a soutenu la députée dimanche soir, alors que la coalition emmenée par le parti d’extrême droite qu’elle dirige depuis huit ans - et qui rassemble la Ligue de Matteo Salvini et Forza Italia de Silvio Berlusconi - est arrivée en tête des législatives. Pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, un parti post-fasciste est en passe de piloter l’exécutif italien. Une situation qui marque l’aboutissement d’une série de rapprochements entre la droite et l’extrême droite dans la péninsule, habituée des coalitions baroques depuis les années 1990. Pour mémoire, le gouvernement de Mario Draghi était soutenu par la Ligue, et différents responsables politiques issus des rangs de l’extrême droite ont déjà exercé des fonctions ministérielles ces dernières années - dont Giorgia Meloni, ministre de la Jeunesse de 2008 à 2011.

Il faut remonter à 1994, lorsque Silvio Berlusconi obtient le soutien de La Ligue du Nord d’Umberto Bossi, pour assister à la première association entre la droite et l’extrême droite. Un séisme politique dans la péninsule, et une situation quasi inédite en Europe. Mais depuis vingt ans, les exemples se sont multipliés.

La droite de gouvernement à bout de souffle ?

En 2000, la coalition autrichienne noire-bleu a permis au parti populiste FPO de gouverner avec les Chrétiens-démocrates. À l’époque, plusieurs partenaires européens suspendent leurs relations avec Vienne. En 2013, c’est le Parti du progrès qui fait son entrée au sein du gouvernement norvégien à la faveur d’une coalition qui va des conservateurs aux socio-libéraux. Début septembre, le parti populiste des Démocrates de Suède a pris la tête du bloc de droite et mis fin à huit ans de gouvernance sociale-démocrate. Une avance fragile toutefois, puisque seulement trois sièges au Riksdag séparent la coalition de droite de celle de gauche. « Ce qu’on remarque, c’est que les vieilles extrêmes droites d’hier qu’on pouvait rattacher au nazisme, ou au fascisme, se recentrent pour devenir des droites radicales. Et c’est exactement ce qu’on fait les Suédois. C’est-à-dire des formations plus à droite que les conservateurs mais qui sont inscrites, comme d’ailleurs le parti de Giorgia Meloni ou de Marine Le Pen, dans le cadre d’une démocratie qu’ils ne souhaitent pas abattre », analyse le politologue Jean-Yves Camus, spécialiste de l’extrême droite dans un entretien pour La Dépêche.

« Il y a un problème de médiocrité et de renouvellement des offres politiques traditionnelles, ce qui permet à d’autres formations de prendre des parts sur le marché politique. À cela s’ajoute, un peu partout en Europe, une pression sur la question de l’ethnicité et de la confrontation à l’Islam », observe auprès de Public Sénat Nicolas Lebourg, chercheur au Centre d’études politiques de l’Europe latine à l’université de Montpellier et au CNRS, spécialiste de l’extrême droite.

La droite française, qui a perdu le pouvoir en 2012, est régulièrement questionnée par certains de ses membres sur la nécessité de maintenir un cordon sanitaire avec l’extrême droite. Ce débat a été vivement réactivé l’année dernière par l’aventure présidentielle d’Éric Zemmour, qui au cours de sa campagne a obtenu le ralliement de plusieurs élus LR. Favori pour la présidence du parti, le député Éric Ciotti n’a d’ailleurs jamais caché sa proximité idéologique avec le polémiste, sans aller toutefois jusqu’à prôner un rapprochement. Autre élément de perturbation pour la droite française : la position dominante du Rassemblement national à l’Assemblée, fort de ses 89 députés, ce qui interroge nécessairement les premiers sur la position à adopter face aux textes et amendements défendus par les seconds.

Mais par-delà les questions de ligne, l’opportunité d’un rapprochement entre partis est aussi influencée par le mode de scrutin. À la différence de la France, les systèmes italiens et suédois prennent en compte la proportionnelle. « Il est vrai que notre système à deux tours a toujours été une machine extraordinaire pour tenir à distance le FN. Mais qu’en sera-t-il dans 5 ans ? », relève Nicolas Lebourg. Par ailleurs, la culture politique française n’est guère familière des coalitions de gouvernement. « Affaiblie par les précédents revirements, l’union avec les partis d’extrême droite n’est plus un choix mais désormais une nécessité pour la droite berlusconienne. En échange de quelques postes et d’une caution morale, le Cavaliere est ainsi devenu simple valet d’un attelage qui a clairement pris un virage populiste sous l’égide de la Ligue et des Frères d’Italie », fustige Jean-François Copé, le maire LR de Meaux, dans une tribune intitulée « L’union des droites ? Non merci ! », publiée ce lundi par L’Express.

Un défi pour la gouvernance de l’UE ?

Dimanche soir, l’Italie est entrée dans le petit groupe des pays membre de l’UE désormais dirigés par l’extrême droite et qui, outre la Suède, compte déjà la Pologne et la Hongrie. Le rapprochement a été fait par Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, avant même le scrutin de dimanche. « Si les choses vont dans une direction difficile, j’ai parlé de la Hongrie et de la Pologne, nous avons des instruments », a-t-elle déclaré la semaine dernière, en marge d’une visite à l’université américaine de Princeton. La cheffe de l’exécutif européen a été accusée d’ingérence par différents responsables politiques après ces déclarations, qui rappellent les relations plutôt houleuses entretenues par Bruxelles avec Prague et Varsovie.

En février dernier, la Commission européenne a sanctionné la Pologne pour ne pas avoir fait fermer la mine de Turow comme le lui intimait la Cour de Justice de l’Union européenne. Deux procédures d’infraction ont également été lancées contre la Hongrie, accusée d’enfreindre les règles du marché intérieur et les droits fondamentaux des personnes LGBT +. Le durcissement mi-septembre de la législation sur l’avortement a suscité de vives réactions chez les eurodéputés. Au regard des récents bouleversements politique en Italie et en Suède, un front eurosceptique peut-il s’ouvrir au sein de l’Union ? Avec à la clef des positions ultra-conservatrices sur les questions sociales, et des politiques axés sur les questions sécuritaires et la lutte contre l’immigration. « Plus que jamais nous avons besoin d’amis partageant une vision et une approche communes de l’Europe », a twitté dimanche Balázs Orbán, conseiller politique du Premier ministre Viktor Orban.

« Dans certains Etats membres, l’Europe est soumise à des pressions sur l’état de droit. Nous verrons ce qu’il en sera avec la Pologne et la Hongrie, qui sont dans une phase particulièrement tendue avec la Commission européenne. La crainte que l’on peut avoir est celle d’une solidarité entre ces trois pays pour défendre une autre conception des choses, qui serait en contradiction avec le droit européen », a voulu alerter ce lundi, au micro de Public Sénat, Jean-Yves Leconte, sénateur (PS) représentant les Français établis hors de France et secrétaire de la commission des affaires européennes. « Ce rêve d’un front commun contre Bruxelles par les pays que dirige par l’extrême droite a été beaucoup agité par Marine Le Pen. Mais il y a toujours eu une mauvaise coordination des extrêmes droites au sein du Parlement européen. On en revient au fait que ce sont des nationalistes, et qu’ils sont mus par un égoïsme national qu’ils n’arrivent pas à dépasser. Viktor Orban est lancé dans un bras de fer personnel avec la Commission, il ne cherche pas à organiser une croisade nationaliste », souligne Nicolas Lebourg.

Par ailleurs, une même coloration politique ne signifie pas nécessairement que ces Etats défendent les mêmes intérêts. L’Italie est la première bénéficiaire des 750 milliards d’euros de subventions et de prêts du plan de relance européen, à hauteur de 200 milliards. L’enjeu est de taille pour Rome, qui affiche un taux d’endettement de 150,8 %, le plus élevé de l’UE derrière la Grèce (189,6 %). « Giorgia Meloni a voulu envoyer des messages rassurants pendant la campagne, que ce soit sur la solidarité atlantique ou sur les questions financières européennes. Elle a plutôt tendance à s’inscrire dans la lignée de Mario Draghi pour ce qui est des relations avec la Commission européenne, ce qui lui permettrait de continuer à bénéficier du plan de relance européen. Il y a quand même encore 138 milliards d’euros prévus pour l’Italie », pointe Jean-Yves Leconte. En clair : la dépendance économique de l’Italie vis-à-vis de Bruxelles pourrait limiter le pouvoir de nuisance du futur gouvernement italien.

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