Suppression de 14 000 places d’hébergement d’urgence : « Une décision incompréhensible »
Le projet de loi de finances présenté le 26 septembre signe officiellement la fermeture de 7 000 places en hébergement d’urgence ouvertes pendant la crise sanitaire, qui s’ajoute aux 7000 autres déjà fermées en cours d’année. En 2023, le nombre total de places dans ce type d’hébergement devrait ainsi retomber à 183 000. Alors que pour le seul département du Rhône, 9 400 personnes attendent déjà une place en hébergement, cette disposition n’a, pour le moment, pas été suivie par l’annonce d’une compensation.

Suppression de 14 000 places d’hébergement d’urgence : « Une décision incompréhensible »

Le projet de loi de finances présenté le 26 septembre signe officiellement la fermeture de 7 000 places en hébergement d’urgence ouvertes pendant la crise sanitaire, qui s’ajoute aux 7000 autres déjà fermées en cours d’année. En 2023, le nombre total de places dans ce type d’hébergement devrait ainsi retomber à 183 000. Alors que pour le seul département du Rhône, 9 400 personnes attendent déjà une place en hébergement, cette disposition n’a, pour le moment, pas été suivie par l’annonce d’une compensation.
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Par Juliette Bezat

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« Incompréhensible ». C’est la réaction des associations et de plusieurs responsables politiques face à la suppression par le gouvernement de 7000 places supplémentaires en hébergement d’urgence en 2023. Elles s’ajoutent ainsi aux 7000 places déjà supprimées depuis le mois de janvier. Ces places, initialement créées pendant la crise du covid, puis maintenues à l’issue de la trêve hivernale, ont progressivement été supprimées au cours de l’année 2022 et ne seront pas compensées. Une décision insensée pour les associations qui, depuis la crise du covid, observent une aggravation de la pauvreté et une augmentation des demandes d’hébergement d’urgence.

Création de places d’hébergement supplémentaires, rénovation des hôtels insalubres, construction de logements sociaux, revalorisation des travailleurs sociaux… A gauche comme à droite, la problématique du logement semble pourtant faire consensus.

 

Pour la seule nuit du 22 au 23 août, 1 658 enfants étaient sans solution d’hébergement

 

La décision de supprimer 14 000 de ces places intervient dans un contexte sensible puisque depuis la crise covid, la pauvreté et le nombre de personnes à la rue ont sensiblement augmenté. Avant la rentrée scolaire, les acteurs de la solidarité tiraient déjà la sonnette d’alarme. Pour la seule nuit du 22 au 23 août, la Fédération des acteurs de la solidarité a recensé 1 658 enfants « sans solution d’hébergement ». Au total, 3 133 personnes en famille ont sollicité le 115 et n’ont pas pu être hébergées, faute de places dans les structures d’accueil.

Pour Pascal Brice, président de la Fédération des acteurs des Solidarités, cela fait plusieurs mois que les demandes non pourvues augmentent. Concernant les chiffres de la nuit du 22 au 23 août, il souligne que « seules les personnes qui appellent le 115 et qui n’ont pas obtenu de place en hébergement d’urgence sont comptées ». Par conséquent, les données avancées ne seraient que la partie cachée de l’Iceberg : « Beaucoup de personnes à la rue n’appellent pas le 115 : soit parce qu’elles ne savent pas que ça existe, soit parce qu’elles apprennent par le bouche-à-oreille que ça ne marche pas, ou alors, ils essaient eux-mêmes une fois et ne re tentent pas. »

Le président de la fédération, qui travaille étroitement avec le gouvernement sur la question, rapporte : « On nous explique que ça aurait pu être pire. Ce qui est incompréhensible, c’est qu’il y avait un acquis du premier quinquennat Macron, c’était la fin de la gestion au thermomètre, et là, il revient là-dessus. » Il conclut : « Je compte sur le gouvernement et le débat parlementaire pour changer ça. »

 

« Il faut mettre en place un véritable service public de la rue au logement »

 

Dominique Estrosi Sassone se désole, elle aussi, de cette décision : « La fermeture de places, c’est toujours un échec de la politique du logement. » Elle souligne toutefois que l’hébergement précaire dans des hôtels n’est pas une solution et qu’il ne faut donc pas se focaliser sur les hébergements d’urgence : « On voit bien que quel que soit le nombre de places qu’on peut ouvrir dans la limite du budget, même quand il a été ouvert 200 000 places, ça ne suffit pas à répondre à la demande. On a besoin de ces places d’urgence, mais il faut continuer à travailler sur la réinsertion sociale, mettre en place un véritable service public de la rue au logement. »

Autre problème dans l’équation : si une grande partie des personnes en hébergement d’urgence sont éligibles aux logements sociaux, ces derniers ne sont pas suffisants. La sénatrice pointe ainsi un échec de la politique du logement et du logement social.

 

Une « panne historique » dans la construction de logements sociaux

 

Après la publication du rapport de la fondation Abbé Pierre sur le mal-logement en France, Emmanuelle Wargon avait annoncé en février 2021 l’objectif de 250 000 nouveaux logements sociaux pour les deux années à venir. Une nécessité, puisque, comme le rappelle la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann (groupe communiste), la France compte près de deux millions de demandeurs de HLM.

Pour Dominique Estrosi Sassone, le résultat est bien en dessous de la barre fixée par le gouvernement : « Les objectifs n’ont pas été remplis, on a eu 80 000 logements l’an dernier, et 90 000 probablement cette année. Il faut se méfier des objectifs quantitatifs. » Elle regrette par ailleurs que la capacité d’investissements des bailleurs sociaux ait été diminuée avec la réduction du loyer de solidarité (RSL) : « Ils doivent faire le choix entre construire et rénover. Avec la RSL, c’est compliqué pour eux d’atteindre ces chiffres. Le gouvernement doit leur donner plus de moyens. »

Pascal Brice parle quant à lui d’une « panne historique » dans la construction de ce type de logement : « C’est dans ces conditions-là, que le gouvernement nous dit « il y a des places avec le plan « logement d’abord, donc on réduit les places d’hébergement d’urgence ». Mais il n’y a pas de places, c’est mettre la charrue avant les bœufs. « Ainsi, pour la seule ville de Bordeaux, 40 000 personnes sont en attente d’un logement social. A qui la faute ? Pour le président de la FAS tout le monde se renvoie la balle : les maires disent que c’est la faute du gouvernement, et le gouvernement dit que c’est celle des maires, « mais il est temps que les élus, le gouvernement et les bailleurs sociaux trouvent une solution ».

 

« Les gens qui sont chargés des écoutes au 115, ils vont tous pleurer au fond du couloir »

 

Les sénatrices Lienemann et Estrosi Sassone soulignent la difficulté à recruter des travailleurs sociaux et insistent sur la nécessité d’une revalorisation des salaires, mais aussi d’une plus grande reconnaissance du métier et de plus de moyens. Marie-Noëlle Lienemann observe ainsi : « Les gens se découragent. On leur demande de trouver des solutions, mais il n’y en a pas. C’est décourageant. »

Le président de la FAS évoque lui aussi la difficulté à recruter : « Nos associations ont de plus en plus de mal à recruter. Quand une préfecture nous appelle pour nous dire qu’ils ouvrent un gymnase et qu’il va y avoir besoin d’effectifs, c’est compliqué. » Et d’ajouter : « Les gens qui sont chargés des écoutes au 115, ils vont tous pleurer au fond du couloir. Nous annoncer qu’on va encore supprimer des places en hébergement d’urgence, c’est incompréhensible. »

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