Suppression de l’« exit tax » : la gauche dénonce un « cadeau de plus aux plus riches »

Suppression de l’« exit tax » : la gauche dénonce un « cadeau de plus aux plus riches »

Emmanuel Macron veut supprimer l’« exit tax », un dispositif décidé par Nicolas Sarkozy pour lutter contre l’évasion fiscale. Le Président y voit « un message négatif aux entrepreneurs ». Pour le sénateur PCF Eric Bocquet, cela confirme le « positionnement ultralibéral » du chef de l’Etat.
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Si Emmanuel Macron voulait alimenter la petite musique de « Président des riches », il ne s’y prendrait pas autrement. Lui assure qu’il est avant tout un Président pro-business. Mais son annonce de supprimer « l’exit tax » suscite déjà, à gauche, mais aussi à droite, de nombreuses réactions d’indignation.

Une mesure décidée par Nicolas Sarkozy pour lutter contre l’exil fiscal

« Nous allons la supprimer l’an prochain », affirme Emmanuel Macron dans un entretien à paraître dans le magazine américain Forbes. « Elle envoie un message négatif aux entrepreneurs en France, plus qu’aux investisseurs. Pourquoi ? Parce qu’elle implique qu’au-delà d’un certain seuil, vous allez être pénalisé si vous quittez le pays. Et c’est un gros problème pour nos propres start-ups, parce que la plupart d’entre elles, considérant la France moins attractive que l’étranger, ont décidé de se lancer de zéro depuis l’étranger rien que pour échapper à cette taxe » fait valoir le chef de l’Etat.

De quoi parle-t-on ? L’« exit tax » vise à dissuader le transfert de domicile fiscal à l'étranger en imposant des plus-values sur des participations détenues par un contribuable quittant la France. Une manière de lutter contre l’évasion fiscale. Elle a été décidée en 2011, sous… Nicolas Sarkozy, loin de mener une politique anti-entrepreneuriale. Il s’agissait de lutter contre l’exil fiscal, notamment vers la Belgique. Pour échapper à la fiscalité française, certains entrepreneurs décidaient de s’installer en Belgique afin de diminuer la fiscalité lors de la vente de l’entreprise. Le plat pays n’impose pas les plus-values réalisées lors de la vente. L’« exit tax » les empêche ainsi d’échapper au fisc français.

La taxe a rapporté 800 millions d’euros à l’Etat en 2016

Selon le dispositif d’origine, une personne qui quitte la France avec un patrimoine mobilier de plus de 1,3 million d'euros doit déclarer au fisc la valeur de ce patrimoine au jour du départ et la plus-value latente, soit sa valeur au jour du départ diminuée de la valeur d'acquisition. S’y ajoutent les prélèvements sociaux. En 2014, sous François Hollande, le dispositif a été durci et le seuil est passé à 800.000 euros. Les personnes détenant au moins 50% du capital d’une entreprise sont aussi concernées.

Pour justifier son choix, Emmanuel Macron ajoute que la taxe « n'est pas particulièrement bonne pour les finances publiques françaises non plus. C'est infime et cela représente un coût d'opportunité ». Selon les données obtenues en 2012 par la commission des finances de l’Assemblée, son rendement avait été de 53 millions en 2012 et à 62 millions en 2013, alors que Valérie Pécresse comptait sur 200 millions d’euros. Mais selon un rapport du Conseil des prélèvements obligatoires, en 2016, soit après l’abaissement du seuil à 800.000 euros, le rendement de l'« exit tax » a augmenté pour atteindre 803 millions d’euros, comme le relève Marianne.

399 redevables en 2014

Ce nouveau coup de pouce fiscal est aussi extrêmement concentré. En 2014, on a compté 399 redevables de l’« exit tax ». Ils ont déclaré un montant total de plus-values de 2,6 milliards d’euros, toujours selon le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires, soit 6,9 millions d’euros par foyer.

Et ce sont surtout les plus riches qui ont été les plus concernés. « Les plus-values des partants apparaissent très concentrées » souligne le rapport. « En effet, les 35 foyers du dernier décile de plus-values représentent 64 % du montant total des plus-values déclarées », soit 48,5 millions d’euros en moyenne pour les 35 foyers qui ont déclaré les plus grosses plus-values… qui seront les premiers bénéficiaires de la fin de l’« exit tax ».

« Un cadeau de plus aux plus riches, après la suppression de l’ISF et de la flat tax » dénonce le sénateur PCF Eric Bocquet

Cette décision d’Emmanuel Macron indigne la gauche. Sur la forme, comme sur le fond, pour le sénateur PCF Eric Bocquet, rapporteur de deux commissions d’enquête du Sénat sur la fraude et l’évasion fiscale. « Ce n’est pas anodin qu’il fasse cette annonce à Forbes où il fait la Une, avec ce titre : leader mondial du libre-échange. Il est intronisé comme leader mondial du libre marché » souligne à publicsenat.fr le sénateur du Nord. Sur le fond, « c’est quand même sidérant. Cette taxe a été mise en place par Nicolas Sarkozy, en 2011, et on se retrouve en deçà. Ça en dit long sur le positionnement ultralibéral du Président Macron. C’était déjà une évidence. Mais ça se confirme ».

Eric Bocquet y voit « un cadeau de plus aux plus riches, après la suppression de l’ISF et de la flat tax. On le justifie en disant qu’il faut attirer les investisseurs et les capitaux. Mais au même moment le budget souffre, on n’arrive pas à faire face aux besoins en santé, logement, etc ». Eric Bocquet souligne les signaux contradictoires du gouvernement. « On nous annonce un plan de lutte contre l’évasion et, en même temps, une décision qui va favoriser l’exil fiscal… »

Selon le sénateur communiste, l’ensemble de ces mesures sont la conséquence de « la proximité évidente entre le monde de la finance et un certain monde politique. Et l’affaiblissement du Parlement envisagé va aussi dans ce sens. L’idée, c’est de laisser la place au tout marché ». Il en veut pour preuve « le parcours personnel d’Emmanuel Macron, la banque Rothschild. Il incarne vraiment le pouvoir libéral. Il faut l’afficher clairement. Il y a une espèce de tromperie majeure ».

Le PS dénonce un « exil fiscal en toute impunité »

Au PS aussi on dénonce l’annonce présidentielle. « Avec Emmanuel Macron, c'est encore et toujours "Exit la taxe" pour les plus fortunés. Plusieurs centaines de milliers d'euros d'économie en moyenne pour quelques centaines de grandes fortunes qui pourront désormais s'exiler fiscalement en toute impunité » raille sur Twitter, le porte-parole du Parti socialiste, Boris Vallaud.

Le sénateur socialiste du Val-d’Oise, Rachid Temal, y voit aussi « le nouveau cadeau fiscal de Macron aux plus aisés », « cette décision est négative pour nos finances publiques et injuste économiquement et socialement ».

De son côté, l’association Attac, qui dénonce la mondialisation libérale depuis des années, parle carrément de « foutage de gueule ».

Gilles Carrez, député LR : « Ce sont des banquiers d’affaires qui sont allés voir l’ancien banquier d’affaires qu’est aujourd’hui notre Président »

On attend toujours la réaction de Nicolas Sarkozy pour défendre sa propre mesure. Mais la décision d’Emmanuel Macron a ému le député LR Gilles Carrez. « Je ne comprends pas cette décision qui concerne les hyper riches » a-t-il dénoncé sur France Culture. « Ce sont des banquiers d’affaires qui sont allés voir l’ancien banquier d’affaires qu’est aujourd’hui notre Président, et qui a eu une oreille beaucoup trop complaisante. (…) C’est lié au milieu dont il est issu. (…) Je pense que ce sont les visiteurs du soir qui sont derrière ça ».

Lors des débats sur le collectif budgétaire au Sénat, en 2011, l’ex-ministre du Budget, Valérie Pécresse, défendait à l’époque l’« exit tax » comme une mesure « équité » fiscale.

« Ce projet de loi étend le champ de la solidarité par l’impôt en luttant contre un certain nombre des pratiques qualifiées pudiquement « d’optimisation fiscale ». Je pense en particulier à l’exit tax, que nous venons de créer et qui permet de priver les exilés fiscaux du bénéfice de leur expatriation en les taxant comme s’ils n’avaient jamais quitté la France » (Valérie Pécresse, en 2011)

« Permettez-moi d’insister sur ce point, car, là aussi, il s’agit d’une avancée considérable en direction d’une plus grande équité de notre système d’imposition. Oui, la France se doit d’offrir un environnement fiscal compétitif. Mais être compétitif, c’est aussi se donner les mêmes armes que nos voisins européens pour lutter contre le zapping fiscal, qui conduit certains à profiter ici et là des dispositifs les plus attractifs et à mettre en concurrence les cadres nationaux » expliquait alors la ministre de Nicolas Sarkozy. Emmanuel Macron préfère aujourd’hui ne retenir que « l’environnement fiscal compétitif ». Pour les entrepreneurs.

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