Suppression de la redevance : au Sénat, les élus dénoncent l’absence de « solution de substitution »

Suppression de la redevance : au Sénat, les élus dénoncent l’absence de « solution de substitution »

En opposition à la suppression programmée de la redevance, les salariés de l’audiovisuel public ont lancé, ce mardi un mouvement de grève et une mobilisation. Au-delà de la question du financement, les grévistes s’alarment d’une potentielle fusion de France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l’INA. Une mesure choc issue d’un récent rapport sénatorial.
Simon Barbarit

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Evoquée dans moult rapports parlementaires, proposée à chaque campagne présidentielle l’arlésienne de ces dernières années, la contribution à l’audiovisuel public (CAP) devrait, sauf immense surprise, être supprimée cette année.

L’annonce avait été faite par Emmanuel Macron en pleine campagne électorale entraînant une levée de boucliers d’une partie de la gauche qui voit dans la réforme la fin de la garantie de l’indépendance de l’audiovisuel public. A l’appel de l’intersyndicale (CGT, CFDT, FO, SNJ, SUD et UNSA), un mouvement de grève a perturbé la programmation de France Télévisions et de Radio France. Cet après-midi, une mobilisation a rassemblé des centaines de manifestants, entre la place du 18 juin 1940 et l’Assemblée nationale.

« Financer un service public audiovisuel de qualité, c’est renforcer la démocratie »

« Soutien aux grévistes de Radio France et de France Télévisions qui, en s’opposant à la démagogique suppression de la redevance, défendent l’indépendance et le financement pérenne de l’audiovisuel public. Au Sénat, avec les sénateurs PS, je me battrai pour empêcher ce mauvais coup », a tweeté le sénateur socialiste, David Assouline, farouche opposant à la réforme, présent à la manifestation.

Dans un communiqué le groupe PS du Sénat, indique, par ailleurs, que la suppression de la redevance « porterait également un coup préjudiciable à la qualité et à la pluralité de l’information. La France enverrait un très mauvais signal en étant le premier État à la supprimer au sein de l’Union européenne. Financer un service public audiovisuel de qualité, c’est renforcer la démocratie ».

« Nous n’avons plus d’autres solutions que la budgétisation du financement de l’audiovisuel public »

La suppression de la redevance est au menu du projet de loi pouvoir d’achat qui arrive au Parlement dans quelques jours. Mais doté d’une majorité bien moins fournie que prévu à l’Assemblée, le gouvernement va devoir faire face à l’opposition de la Nupes. Danielle Simonnet, Sandrine Rousseau, Adrien Quatennens, François Ruffin, Raquel Garrido ou encore Aymeric Caron, les députés étaient venus en force à la manifestation. Signe que l'opposition de gauche veut peser dans ce débat. Si elle est soutenue par le RN, la mesure est aussi contestée, au moins sur la forme, jusque dans les rangs de la droite.

« La disparition de la redevance était programmée depuis la suppression de la taxe d’habitation sur laquelle elle était adossée. Mais depuis cinq ans, le gouvernement n’a proposé aucune solution de financement de substitution. Maintenant nous n’avons plus d’autres solutions que la budgétisation du financement de l’audiovisuel public », constate amèrement, le sénateur LR, Jean-Raymond Hugonet, auteur avec Roger Karoutchi (LR), d’un récent rapport sur le financement de l’audiovisuel public.

Las d’attendre les conclusions d’une mission conjointe de l’inspection générale des affaires culturelles et l’inspection générale des finances, lancée par Roselyne Bachelot sur ces solutions de substitution, le Sénat avait décidé de prendre les devants en mars dernier. Dans un rapport remis début juin, les élus constatent que la suppression de la redevance cette année, sans mécanisme fiscal alternatif, va se traduire par une perte nette de 3,14 milliards d’euros pour les finances publiques.

Lire notre article. Suppression de la redevance : un rapport sénatorial proposera des pistes de financement le 22 juin

« L’intérêt budgétaire de cette mesure n’est pas à la hauteur de son intérêt en termes de gain de pouvoir d’achat, car les Français les plus modestes sont déjà exonérés », rappelle Laurent Lafon, président centriste de la commission de la culture du Sénat.

« C’est à la fois une décision politique et une mesure technique »

« Le gouvernement a fait les choses à l’envers en décidant d’une réforme financière sans réfléchir au périmètre et à la mission de l’audiovisuel public. Je comprends que les salariés soient inquiets. Mais ce n’est pas leur indépendance qui est en jeu, mais les perspectives de la télévision et de la radio publiques », tance Jean-Raymond Hugonet.

Laurent Lafon veut croire que les dés ne sont pas encore jetés. « C’est à la fois une décision politique et une mesure technique car les services fiscaux ne savent plus comment prélever la redevance depuis la suppression de la taxe d’habitation. Cette mesure va affaiblir le service public, c’est une très mauvaise nouvelle mais tant que ce n’est pas voté. On peut encore en discuter ».

Le rapport du Sénat préconisait à ce sujet la mise en place d’une commission indépendante chargée d’évaluer les besoins du secteur et proposer au gouvernement et au Parlement une trajectoire budgétaire. Cette autorité indépendante, serait présidée par un magistrat de la Cour des comptes et composée de quatre experts nommés par les deux assemblées parlementaires.

Forcément plus impopulaire, l’idée d’un nouvel impôt avait également été évoquée à la Chambre Haute. En 2015, le rapport sénatorial Gattolin-Leleux recommandait de remplacer les 138 euros annuels prélevés chez les 28 millions de foyers par une « contribution forfaitaire universelle » estimée non pas sur les objets connectés, mais sur la capacité de captation.

Dans un rapport publié lundi par la Fondation Jean-Jaurès, l’économiste, engagée à gauche, Julia Cagé propose quant à elle d’instaurer un nouveau mécanisme de redevance, inspiré des pays nordiques. Il s’agirait d’un impôt spécifiquement dédié au financement de l’audiovisuel public, mais variable selon les revenus des foyers.

Vers une fusion ?

Derrière la suppression de la redevance, c’est une autre proposition cette fois-ci à l’initiative du Sénat, qui alarme les syndicats de l’audiovisuel public. C’est la mesure choc du rapport Hugonet-Karoutchi : la fusion de France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l’INA en une entreprise unique. Une recommandation qui va au-delà de la « holding » chapeautant les différentes entités du service public que prévoyait le projet de réforme de l’audiovisuel public, finalement abandonné en 2020. « Une société unique doit permettre une unité de pilotage, une réduction des niveaux stratégiques et donc une plus grande agilité pour répondre aux défis qui s’annoncent », argumentent les sénateurs. Dans leur idée, un texte de loi devrait être discuté dès 2023 pour aboutir à la création de « France Médias » en 2025.

Lire notre article. Financement de l’audiovisuel public : le rapport choc du Sénat

La ministre auditionnée au Sénat mercredi

« Mais bon, ça fait 15 ans que nous n’avons pas eu un vrai débat sur l’avenir de l’audiovisuel public. A l’heure du numérique, il faut totalement revoir la loi de 1986 qui régit le secteur. Il y a cinq ans, le Président avait eu des mots extrêmement durs à l’égard de l’audiovisuel public. Nous avions pensé que le temps était venu. Et puis finalement rien. Ça ne semble pas être une priorité pour l’exécutif », constate Roger Karoutchi avec son flegme habituel.

Légèrement plus optimiste, son collègue Jean-Raymond Hugonet rappelle que la nouvelle ministre de la Culture, Rima Abdul-Malak, n’a pas écarté l’idée d’une fusion. « Ce débat aura lieu », a-t-elle promis dans le Parisien. « C’est l’ancienne conseillère culture de l’Elysée donc elle discute directement avec Jupiter », veut croire le sénateur LR.

En attendant c’est avec les membres de la commission de la culture du Sénat que Rima Abdul-Malak va discuter. Mercredi, se tiendra la première audition de la ministre à la Haute assemblée. Et les sujets d’actualité ne manquent pas.

 

 

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