Suppression de la taxe d’habitation : le jeu de bonneteau du gouvernement

Suppression de la taxe d’habitation : le jeu de bonneteau du gouvernement

Les communes pourraient récupérer la taxe foncière perçue par les départements, afin de remplacer la taxe d’habitation, qu’Emmanuel Macron a promis de supprimer. Une piste qui pourrait « convenir » à l’Association des maires, mais qui déplaît aux départements. Le rapport Richard/Bur, terminé et bientôt remis au premier ministre, évoque plusieurs solutions.
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Ce n’est pas la réforme la plus évidente du quinquennat. La suppression de la taxe d’habitation, qu’Emmanuel Macron a promis d’élargir à tous les contribuables en 2020, est pour le moins compliquée à mettre en œuvre et va coûter très cher.

Le sénateur LREM Alain Richard et le préfet honoraire Dominique Bur planchent sur le sujet depuis le mois d’octobre, à la demande de Matignon. Le rapport est terminé. L’ancien ministre de la Défense en est à la relecture finale des 200 pages. Il sera remis bientôt à Edouard Philippe.

Un total de 26 milliards d’euros par an pour l’Etat

L’enjeu est de taille pour l’Etat et ses finances. La suppression de la taxe d’habitation pour 80 % des ménages coûte déjà 10 milliards d’euros. Pour l’étendre à tous en 2020, on évoque la somme totale de 20 milliards d’euros par an. Mais, en réalité, c’est encore plus. « La suppression de 100 % de la taxe d’habitation coûte 26 milliards d’euros au total car il y avait déjà des dégrèvements » explique un spécialiste des finances locales qui suit de près le dossier.

Dès l’été dernier, Emmanuel Macron avait déjà donné une piste sérieuse pour assurer aux communes leur autonomie financière. Lors de la première conférence nationale des territoires, en juillet 2017 au Sénat, le Président avait évoqué l’idée d’« une part d’impôt national qui pourrait être attribuée aux communes, une part de CSG ou de CRDS ». Mais ce n’est peut-être pas la solution qui sortira du chapeau de l’exécutif. Avant même la remise du rapport Richard/Bur, le ministre des Comptes publics, Gérald Darmanin, explique ce vendredi dans Le Parisien/Aujourd’hui en France qu’« on peut imaginer attribuer un, deux ou trois points d’un autre impôt national, comme la TVA ou la CSG, aux départements. Et, enfin, attribuer aux communes la taxe foncière, jusqu’ici donnée aux départements ».

Transférer la taxe foncière des départements aux communes, la piste principale

« C’est en effet la piste principale » confirme-t-on de source parlementaire. Mais ce n’est pas la seule, qu’Alain Richard et Dominique Bur vont mettre en avant dans leur rapport. La première est donc de donner aux communes la part de la taxe foncière qui revient aux départements. Mais « cela représente à peu près 60% de la somme à remplacer et ce serait complété par une part d’impôt national » explique-t-on. Autre solution : on laisse la taxe foncière aux départements, afin qu’ils gardent une marge fiscale, et on comble entièrement les 26 milliards d’euros de la taxe d’habitation par une part d’impôt national, « qui serait sans doute la TVA » confie ce spécialiste du dossier. Ce type de transfert existe déjà. Les régions perçoivent maintenant un point de la TVA, depuis le dernier budget.

Ce n’est pas la seule solution sortie de l’imagination du sénateur et du préfet, qui ont multiplié les rencontres avec les associations d’élus. Une autre piste envisagée serait de prendre une part de l’impôt sur le revenu ou encore une part de la TICPE, la taxe sur les produits pétroliers. D’autres ont même imaginé un nouvel impôt local, mais l’exécutif ne veut pas de nouvelles taxes.

« Mais pour les collectivités, ce qui est le plus rassurant, c’est la TVA et la CSG, car le barème de l’impôt ne va pas changer du jour au lendemain. Et l’évolution, en rapport avec la croissance nationale, est très régulière » estime un sénateur. Reste que si la consommation baisse, les recettes de la TVA suivront… Ce qui ne fera pas les affaires des communes ou départements. « On ne voit pas, par quel miracle, les collectivités deviendraient riches quand le pays devient pauvre » s’étonne notre spécialiste.

« Ce qu’on prend aux départements et qu’on donne aux autres, les départements ne l’auront pas »

Alors que les rapports entre exécutif et associations d’élus ne sont pas au beau fixe, une fois n’est pas coutume, l’Association des maires de France (AMF) accueille plutôt favorablement l’idée d’un transfert aux communes de la part de la taxe foncière perçue par les départements. Et pour cause : les communes conserveraient la liberté de jouer sur le taux de l’impôt, une exigence pour elles, afin de conserver une fiscalité dynamique. L’AMF n’en reste pas moins vigilante et n’oublie pas les départements.

 « C’est une piste qui pourrait nous convenir. Mais il faut voir tous les détails, car en matière de finance locale, le diable est dans le détail. Et surtout, il faut permettre aux départements d’obtenir une contrepartie sous forme d’un impôt ou d’un impôt additionnel, et pas sous forme d’une dotation. Nous y tenons beaucoup et nous sommes solidaires avec les départements » réagit Philippe Laurent, maire UDI de Sceaux et secrétaire général de l’AMF, interrogé par Public Sénat (voir la vidéo, images de Héloïse Grégoire). Il ajoute : « Ce qu’on prend aux départements et qu’on donne aux autres, les départements ne l’auront pas ».

Le responsable de l’AMF s’interroge : « Est-ce que la part d’impôt national est fixée une fois pour toutes par la loi, et c’est terminé ? Ou est-ce qu’il s’agit pour les départements d’avoir une possibilité, même encadrée, de voter un taux automne, département par département, d’une CSG supplémentaire, pour financer les dépenses sociales ? Pour le moment, on n’a pas de réponse ». Philippe Laurent préfère évidemment la deuxième solution. Mais à écouter Gérald Darmanin ou Emmanuel Macron, qui répètent qu’il n’y aura pas de hausse d’impôt, on imagine mal le gouvernement donner ce pouvoir aux départements.

Le secrétaire général de l’AMF attend de voir la solution choisie pour totalement se réjouir. Il n’exclut pas que l’exécutif peine à trouver, au final, les 26 milliards d’euros nécessaires et demande encore aux collectivités de se serrer la ceinture. « Ce que nous craignons, en réalité, c’est que l’Etat n’y parvienne pas, qu’il creuse son déficit et qu’il nous demande à nouveau, à terme, un effort, comme nous l’avons fait ces dernières années. Et ça, nous n’en voulons pas. Nous serons extrêmement vigilants » prévient Philippe Laurent.

Stéphane Troussel : « Priver les départements de la taxe foncière, c’est leur enlever leur dernier pouvoir de taux et mettre fin à l’autonomie fiscale et financière »

Du côté des départements, on met déjà en garde. « Le problème du gouvernement, c’est de trouver non seulement la compensation de la taxe d’habitation mais de garantir le dynamisme de ces ressources. En ce qui concerne les départements, les priver de la taxe foncière, c’est leur enlever leur dernier pouvoir de taux et mettre fin à l’autonomie fiscale et financière » alerte Stéphane Troussel, président PS du département de la Seine-Saint-Denis, contacté par Public Sénat.

« Surtout, ça ne règle en rien l’immense problème de la non-compensation par l’Etat des dépenses de solidarité que nous assumons à sa place, ni aux immenses inégalités territoriales qui viennent d’être pointées par le rapport Borloo. La fiscalité locale est à bout de souffle, mais le « cadeau » fiscal aux Français risque de se transformer en tour de passe-passe », ajoute le président de département. Gérald Darmanin se veut pourtant formel : « Il n’y aura pas de tour de passe-passe où l’on supprime des milliards pour aller les chercher ailleurs ». Certains élus locaux sont sûrement prêts à lancer les paris.

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