Tensions entre la France et l’Allemagne : « Ce n’était pas le moment d’afficher des divisions entre Européens », pointe une experte

Tensions entre la France et l’Allemagne : « Ce n’était pas le moment d’afficher des divisions entre Européens », pointe une experte

Alors que les frictions se multiplient entre la France et l’Allemagne sur l’énergie et la défense, notamment, un sommet du Conseil européen débute ce jeudi. Les tensions vont-elles se cristalliser comme elles avaient pu le faire pendant la crise des dettes souveraines, ou bien la guerre en Ukraine est-elle vouée à provoquer des crispations qui feront avancer le couple franco-allemand ?
Louis Mollier-Sabet

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Le conseil des ministres franco-allemand, prévu le 26 octobre prochain, a été reporté pour une troisième fois depuis juillet, alors qu’il s’est tenu tous les ans depuis 2003. Si des problématiques d’agenda sont évoquées de l’autre côté du Rhin, la diplomatie française, comme la diplomatie allemande reconnaissent que certains « sujets » peuvent venir freiner la coopération franco-allemande et complexifier la tenue de ce conseil des ministres. « Nous travaillons en ce moment sur des sujets importants qui portent sur des questions de souveraineté », explique ainsi l’Elysée, tandis que Steffen Hebestreit, le porte-parole du gouvernement allemand, a reconnu ce mercredi « qu’il y avait toute une série de sujets […] sur lesquels [la France et l’Allemagne n’étaient] pas arrivés à une position commune. »

Pour Marie-Sixte Imbert, senior fellow de l’Institut Open Diplomacy la rupture n’est pas tant dans les problèmes que peut rencontrer une coopération aussi poussée entre deux pays qui ont parfois des intérêts divergents que dans la publicisation de ces désaccords. « La coopération franco-allemande n’a pas toujours été un long fleuve tranquille, les crispations existent. La différence c’est que là, elles sont affichées. On assume de dire qu’il y a des divergences et que c’est aussi pour ça qu’il y a un report. » Le fameux « couple » franco-allemand ne se trouve donc pas actuellement dans les meilleures dispositions, mais assiste-t-on à une dispute passagère, ou doit-on craindre le lancement d’une procédure de divorce ?

« La crise ukrainienne met tous les sujets sur le tapis, accélère les prises de conscience et l’urgence »

En marge du sommet du Conseil européen de ce jeudi à Bruxelles, Emmanuel Macron a tout de même réitéré « son souhait de préserver l’unité européenne et aussi l’amitié et l’alliance entre l’Allemagne et la France », tout en annonçant devant la presse quelques heures plus tard que le projet Midcat avait été abandonné. Le projet de gazoduc devait relier la péninsule ibérique à l’Europe centrale et orientale afin d’acheminer plus facilement le Gaz naturel liquéfié (GNL) livré dans les terminaux méthaniers espagnols et portugais. Le problème, c’est que pour ce faire, le gazoduc aurait dû passer par la France. « C’est l’une des pierres d’achoppement », analyse Dorota Dakowska, professeure de Science politique à Sciences Po Aix, quelques minutes avant que le Président de la République n’enterre le projet : « C’était un projet important pour l’Europe, et la France semble s’y opposer. À l’inverse, l’autre pomme de discorde, c’est la possibilité de limiter le prix du gaz et de l’énergie, et là-dessus c’est l’Allemagne qui a fait cavalier seul avec ce plan de 200 milliards [de soutien des ménages face à l’inflation et de plafonnement des prix de l’énergie] annoncé sans consulter ses partenaires européens et en particulier la France. »

Le dossier Midcat incarne les divergences importantes qui existent entre la France et l’Allemagne, que la guerre en Ukraine est venue mettre au goût du jour, d’après Dorota Dakowska : « La guerre en Ukraine cristallise très fortement des tensions qui ne datent pas d’hier, mais qui ont été exacerbées par l’invasion russe. Le conseil des ministres franco-allemand était un rendez-vous symboliquement et politiquement important, et son annulation est très dommageable pour les relations franco-allemandes, mais aussi pour l’UE. Ce n’était pas le moment d’afficher des divisions entre Européens. »

Et il y en aura pourtant. Lors du sommet de ce jeudi, l’Allemagne ne semble pas très encline à signer pour des achats groupés de gaz, pourtant proposés par la Commission européenne, et encore moins pour soutenir des prix planchers. Des positions qui peuvent rappeler les tractations post-crise des dettes souveraines au début des années 2010. Marie-Sixte Imbert estime ainsi, elle aussi, que le conflit ukrainien a joué un rôle de catalyseur : « S’il n’y avait de soucis que dans un seul domaine, ça n’empêcherait pas la coopération. Là il y a une période de tensions extrêmes, la crise ukrainienne met tous les sujets sur le tapis, accélère les prises de conscience et l’urgence sur la défense ou la sortie du gaz. Cela crée un moment de crise particulier. »

« Sur la défense, les difficultés sont plus anciennes »

Parce que si la crise énergétique provoquée par la guerre en Ukraine a mis de l’eau dans le gaz, l’invasion russe a aussi mis la lumière sur des problématiques de défense, structurelles dans les difficultés rencontrées par la coopération franco-allemande. Tout commençait pourtant si bien dans le contrat de la coalition « feu tricolore » qui reprenait le vocabulaire de « souveraineté européenne » poussé par la France au sein de l’Union Européenne depuis des années. D’autant plus qu’Olaf Scholz annonçait dans la foulée 100 milliards pour relancer un budget de la Défense en sous-investissement chronique depuis des années.

L’Elysée se félicitait que l’Allemagne prenne ainsi enfin sa part de la défense européenne, mais depuis, de l’eau a coulé sous les ponts. Il y a quelques jours, Olaf Scholz a annoncé le développement d’un bouclier antimissile avec 14 pays de l’OTAN, dont la France ne fait pas partie, et qui sera basé sur des technologies américaines, allemandes et peut-être israéliennes, mais pas françaises. En mars dernier, avant le début du conflit ukrainien, Berlin avait décidé d’acheter des F-35 américains pour remplacer leur flotte de Tornado devenue « obsolète », selon les mots du chancelier Scholz.

Un choix qui a fait craindre en France pour le projet franco-germano-espagnol SCAF (système de combat aérien du futur), qui n’avait pourtant pas besoin de ça, explique Marie-Sixte Imbert : « Sur le SCAF, les difficultés sont plus anciennes. Au départ, l’Allemagne devait avoir le leadership sur le projet de chars de combat (MGSC) et la France sur le système de combat aérien du futur (SCAF). Mais le diable est dans les détails, le partage est extrêmement compliqué à faire quand vous mettez dans la balance les enjeux économiques, industriels, politiques et géopolitiques. Les façons de travailler ne sont pas forcément les mêmes. » La consultante en affaires publiques explique d’ailleurs que le conseil des ministres était « très attendu des industriels » en termes de « soutien politique à cette coopération. »

« On parle du volet aérien de notre dissuasion nucléaire, on n’est plus dans la symbolique de la réconciliation franco-allemande »

En même temps, Marie-Sixte Imbert rappelle aussi que ces sujets sont voués à produire certaines tensions. « Quand on avance sur certains sujets, d’autres se complexifient. Sur le SCAF, on parle du volet aérien de notre dissuasion nucléaire, on n’est plus dans la symbolique de la réconciliation franco-allemande. La coopération franco-allemande s’est lancée sur des jumelages d’établissements et des échanges scolaires, sur la question des jeunes, ce qui est très important, mais c’est plus facile. » Finalement, les difficultés actuelles sont aussi le signe que l’Allemagne et la France rentrent dans le cœur du sujet. « On n’est plus dans une problématique de réconciliation. Il y a certaines choses à construire et cela peut être le moment d’oser la confrontation pour dire ce qui ne nous va pas. L’Union Européenne, comme la coopération franco-allemande, grandissent dans les crises », veut croire Marie-Sixte Imbert.

D’après elle, une partie de la solution pourrait venir de la démocratie parlementaire, et notamment de l’Assemblée parlementaire franco-allemande, créée en 2019, qui réunit 50 députés de l’Assemblée nationale et 50 du Bundestag, issus de tous les groupes politiques : « L’objectif est d’institutionnaliser la coopération parlementaire entre les deux pays qui ne repose pas sur les individualités des dirigeants et de créer un espace pour pouvoir aborder les sujets qui fâchent. Les résolutions adoptées sont ensuite transmises à l’Assemblée nationale et au Bundestag pour pouvoir être adoptées en des termes communs. »

En quelque sorte, si l’exécutif franco-allemand (le conseil des ministres) échoue, le législatif (l’Assemblée parlementaire franco-allemande) pourrait prendre le relais. « Une réunion entre l’Assemblée nationale et le Bundestag en session commune était prévue pour janvier, on n’a pas de nouvelles pour le moment, mais si le conseil des ministres n’a toujours pas eu lieu, cela pourrait être intéressant que les parlementaires se saisissent du sujet. »

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