Thierry Beaudet : « Il faut réorganiser notre système de santé, et passer à une culture de la prévention »

Thierry Beaudet : « Il faut réorganiser notre système de santé, et passer à une culture de la prévention »

Ségur de la santé, gestion de l'épidémie de Covid-19, projet de loi sur le grand âge : entretien avec Thierry Beaudet, président de la Fédération nationale de la Mutualité Française.
Public Sénat

Par Steve Jourdin

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Publié le

Le Ségur de la Santé a débouché sur des augmentations de salaire estimées à 8 milliards d’euros. Le compte y est selon vous ?

C’est un effort très significatif. Je me souviens que pendant la crise du Covid, les Français sortaient pour applaudir les soignants à 20 heures. On avait été nombreux à dire que les soignants attendraient beaucoup plus que des applaudissements. Ces quinze dernières années, on a fait payer à l'hôpital les exigences d'équilibre des comptes.

L'hôpital et ses personnels étaient exsangues avant même la crise du Covid. Ils ont tenu le coup et sont parvenus à s'organiser. Les annonces du Premier ministre et du ministre de la Santé sont des annonces importantes.

 

Certains syndicats critiquent pourtant les accords du Ségur et considèrent que les revalorisations sont insuffisantes. La crise de notre système de santé est encore loin d’être terminée ?

C'est aux professionnels de santé d’apprécier si le compte y est. On peut néanmoins déplorer l’absence de réforme structurelle. Il faudra aller plus loin. À certains égards, le Ségur de la santé s'est transformé en Ségur de l'hôpital. Ce qui m'a beaucoup frappé pendant la crise sanitaire, c’est que l’on a fait peser tout le poids de l’urgence sur l’hôpital. On a choisi de ne s’appuyer que sur la moitié des professionnels de santé. Les professionnels de ville, les médecins, les infirmiers, les kinés ont été oubliés. Pour pouvoir s'appuyer demain sur l'ensemble des ressources médicales françaises, il faudra se préoccuper des soins de premier recours.

 

Vous plaidez pour une nouvelle organisation de notre système de santé ?

La Mutualité française plaide pour un exercice coordonné, regroupé, pluriprofessionnel de l’offre de soins. Il faut réorganiser l'ensemble de notre système de santé. Je me souviens de la crise des Gilets jaunes et du grand débat national initié par le Président de la République. La santé ne faisait pas partie des thèmes identifiés par l’exécutif. Pourtant, tous les maires qui ont organisé des débats sont unanimes : l’un des principaux sujets de préoccupation de la population était la santé.

Il y a une impatience des Français. On ressent une inquiétude face à la montée des déserts médicaux et des difficultés d'accès aux soins. Les Français ont conscience d’avoir un bon système de santé. Mais ils ont aussi le sentiment que les réformes sont toujours des régressions, et que demain sera moins bien qu’aujourd'hui. Ils attendent de vraies réponses pour une prise en charge de proximité afin de permettre à l'hôpital de se concentrer sur ses missions premières.

 

Est-ce que les assurances et les mutuelles ont suffisamment joué le jeu lors de la crise ?

Mutuelles et assurances privées ont répondu présentes : tous les contrats et garanties ont été exécutés. Lorsque de petits patrons ont eu des difficultés, les mutuelles leur ont accordés des délais pour payer leurs cotisations.

 

Vous avez été aux premières loges pendant cette crise. Qu'est ce qu'on a mal fait selon vous?

Nous n'étions pas prêts. L’hôpital était à bout de souffle avant même le début de la pandémie, mais les personnels hospitaliers ont su dépasser les carcans administratifs pour s'adapter. J'en tire quelques conséquences pour l'avenir.

On mesure désormais tout le potentiel d'une société de la bienveillance, de l'attention à l'autre, du soin mutuel. Il faut ancrer dans notre pays la culture de la prévention. Il faut aussi saluer l’engagement des personnels des EHPAD. Ils ont montré des capacités d'adaptation et d'inventivité extraordinaires. Pour l’avenir, faisons le pari des territoires et des acteurs de terrain. Nous devons miser sur l'intelligence collective et tenter de casser les carcans administratifs.

 

On constate un relâchement des gestes barrières ces dernières semaines. Ça vous agace ?

En France, nous n’avons pas une culture de la santé publique, ni de culture de la prévention. Pendant la crise, on a vu émerger des attitudes positives. C'était plutôt encourageant.

Mais il faut faire davantage de pédagogie. Les questions d'éducation à la santé sont ignorées dans notre pays. Elles sont pourtant centrales. Il faut appeler l'ensemble de nos concitoyens à continuer d’être vigilants, à respecter les gestes barrières pour soi-même, mais aussi et surtout pour les autres.

 

Vous appelez au port du masque obligatoire dès aujourd'hui dans les lieux clos?

Il faut généraliser le port du masque. On a beaucoup reproché au gouvernement le manque de masques. Mais si ces masques avaient été disponibles, est-ce que les Français les auraient utilisés ? Nous sommes un peu contradictoires, nous, les Français : on râle parce qu'il n'y avait pas suffisamment de masques ; aujourd’hui, il y a beaucoup de masques à des tarifs tout à fait accessibles, et nous ne les portons pas. Encore une fois, la prévention, et donc le port du masque, est un geste civique : il sert à protéger les autres.

 

Durant la crise, on a vu que les EHPAD ont sombré. Comment expliquez-vous cette faillite de la société française?

Je réfute le terme de « faillite ». Je considère que les professionnels des EHPAD ont été remarquables dans la gestion de cette crise. Les personnes accueillies dans les EHPAD sont des personnes âgées, lourdement dépendantes et vulnérables. Cela peut expliquer la forte mortalité.

Il faut néanmoins opérer une mutation des EHPAD. Nous devons renforcer leur capacité médicale afin d’aboutir à des prises en charge complètes. Lors de la crise, nous avons parfois été confrontés à des médecins de ville qui ne se déplaçaient pas. Nous avons aussi manqué d’infirmières, y compris la nuit, alors que les besoins étaient très forts.

 

Une loi sur la dépendance et le grand âge est promise pour l’automne, deux textes sont par ailleurs actuellement discutés au Parlement. La création d’une cinquième branche de la Sécurité sociale est à l’étude. Vous vous en félicitez ?

Cela fait longtemps que l’on réclame cette loi sur le grand âge. Il y a eu de nombreux rapports (Libault, El Khomri) sur la question. Les données du problème sont assez bien connues. Notre société vieillit. Il va y avoir de plus en plus de personnes en situation de dépendance. La première génération concernée est celle du baby boom, qui va entrer dans le grand âge dans les années qui viennent.

On sait que la plupart des personnes âgées souhaiteraient rester au domicile le plus longtemps possible. Il faut donc mettre des moyens importants, et flécher des fonds pour que les carrières de soin à domicile soient plus attractives. Nous devons aussi renforcer le taux d'encadrement et la médicalisation au sein des EHPAD.

 

Selon le rapport Libault, il faudra trouver 6 milliards par an à partir de 2024 pour financer la dépendance. Qui va payer ?

C’est à l’État de prendre les choses en main. Nous, les mutualistes, nous pensons qu’il faut regarder toutes les sources de financement. Il faudra aussi réfléchir à une assurance dépendance généralisée. Cette assurance ne se substituerait pas à la responsabilité des financements publics, mais elle pourrait par exemple servir à diminuer le reste à charge supporté par les familles.

 

En quelques mots, qu’est-ce que bien vieillir pour le patron des mutuelles françaises?

Bien vieillir, c'est pouvoir exercer son libre choix le plus longtemps possible, notamment le choix de rester à domicile. C'est vivre dans une société inclusive où la ville, les transports, les moyens de transport sont accessibles pour les personnes âgées. C'est aussi vivre dans une société inclusive où, quand on est une personne âgée, on est toujours une personne socialement utile. En définitive, bien vieillir, c'est continuer à être utile.

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